ABÛ BAKR IBN YÛSUF ASTRONOME DU 13ème SIECLE ET
SON ASTROLABE EXPOSÉ AU MUSEE PAUL-DUPUY
La conférence a eu lieu le lundi
25 avril à 17 heures. M. Michel Durand a ouvert la séance par une
présentation de la conférence et conduit, de main de maître, les discussions au terme de
l’exposé. L’assistance, assez nombreuse pour un sujet passablement technique, est
constituée en majorité par "Les Amis du Musée Paul-Dupuy de Toulouse".
Toutefois, sur l’information donnée par Mme
Brigitte Alix*, la Société Astronomique de France a fait diffuser, quelques
jours auparavant, un communiqué sur la tenue de cette conférence. Cette action
a eu pour effet d’amener de nombreux autres auditeurs à la salle du Sénéchal. Cette conférence
s’est déroulée en présence de M. Mohammed Fadili, Consul général du Maroc à
Toulouse.
ABÛ BAKR IBN YÛSUF
Il s’agit d’un astronome marocain,
de l’époque almohade, 12ème -13ème siècle. Il est issu de l’Ecole
hispano-mauresque et deviendra le leader du style « maghribi » en
matière de fabrication d’astrolabes. Le catalogue adopté des étoiles, au nombre
de 28, est le même pour tous ses astrolabes. Ces derniers ont été tous
fabriqués à Marrakech entre 1208 et 1218.
ASTROLABES FABRIQUÉS PAR ABÛ BAKR
Il y a d’abord celui qui est exposé au musée Paul-Dupuy. Il a été conçu pour fonctionner dans les villes et sous les latitudes suivantes :
Saragosse (40°30’), Tolède (40°),
Cordoue (38°30’), Séville (37°30), Almeria (36°30), Ceuta (35°30), Fès (33°40),
Marrakech (31°), Jérusalem (32°), Misr/Le Caire (29°30), Médine (25°) et La
Mecque (21°40’).
Il est possible que cet astrolabe
soit parvenu en France, par la présence
du tympan de Saragosse qui indique qu’il a fonctionné dans cette ville, assez
proche de Toulouse. Depuis le XVIIème
siècle, il a appartenu à différents astronomes (Gabriel Amable Riquet, Jacques
Vidal…) et servi quelque temps à l’observatoire de Toulouse.
Il y a une dizaine d’astrolabes
construits par Abû Bakr dont cinq sont encore conservés, selon David A KING
« A Catalogue of Medieval Astronomical Instruments », dans les musées
suivants : Paul-Dupuy de Toulouse,
Observatoire de Strasbourg, Archéologique de Rabat, Sciences de Londres et San
Juan de Valencia de Madrid., ainsi que celui de l’ancienne collection du Baron
D.J Larrey.
CONCEPTION ET FONCTIONNEMENT D’UN
ASTROLABE
Cet instrument est prévu pour
donner l’heure et mesurer le temps qui passe
Les savants de l’antiquité et du
moyen âge avaient une vision géocentrique
de l’Univers : la Terre est ronde et immobile. Elle est enveloppée par une
sphère céleste sur laquelle sont fixés les étoiles, le soleil et les planètes.
Sur cette sphère, le soleil décrit un grand cercle dont le plan, l’écliptique fait un angle de 23°26’ avec le plan de
l’équateur céleste. Ces savants avaient compris que ce montage pouvait donner
l’heure; le jour avec le soleil et la nuit avec des étoiles choisies brillantes
en positionnant ces deux sphères comme le sont le ciel et la Terre au moment de
la mesure. La hauteur mesurée de l’astre de référence permet ce bon positionnement des deux sphères
et donc la lecture de l’heure sur le cercle équatorial, gradué de 1 à 24
heures.
Par la suite, on a trouvé plus
pratique de travailler avec des disques plans plutôt qu’avec des sphères.
Hipparque, astronome grec (v. 200 av. J.-C.), avait proposé une projection qui
donne une image de la sphère sur le plan de son équateur. Un point (une étoile)
a comme image un point, un cercle (orbite du Soleil) aura comme image un cercle.
Pour une interprétation pratique des mesures, la sphère représentant la Terre
aura les mêmes dimensions que la sphère céleste et sera désignée par sphère
locale céleste. Le résultat est l’astrolabe planisphérique composé de :
- L’araignée, projection de la sphère céleste. Elle comprend le cercle écliptique et les représentations des étoiles choisies à partir d’un catalogue.
- Le tympan réservé à une latitude donnée et indiquant les projections des cercles de hauteur (Almicantarats), des cercles d’égal azimut, ainsi que l’équateur et les deux tropiques.
Ces deux pièces s'encastrent dans un socle (mère de l'astrolabe, al oum) , l'araignée au dessus du tympan. On a construit ainsi un modèle plan réduit de la sphère céleste (Araignée) qui peut tourner autour de la Terre à une latitude précise. L'exemple présenté lors de l'exposé est le suivant: La
manipulation consiste à mesurer la hauteur de l’astre de référence à l’aide
d’une règle pivotante, l'alidade الحدادة , portant deux pinnules et située au dos de l'astrolabe. Ensuite, on travaille sur
la face de l’astrolabe en tournant l’araignée de manière à positionner l’instrument
comme l’est le ciel par rapport à la Terre, au moment de la mesure. Cette
position s’obtient en amenant l’astre de référence sur le cercle de hauteur
mesurée auparavant. La lecture de l’heure solaire se fait sur le limbe de la
mère de l’astrolabe, grâce à l’ostenseur qu’il faut faire passer par la
position du Soleil sur l’écliptique le jour de la mesure.
Par la suite, l’astrolabe, sans l’araignée,
a eu d’autres utilisations comme la mesure des hauteurs des arbres, des
bâtiments, la largeur des fleuves, la profondeur des puits. Il a également
fourni aux navigateurs la valeur des latitudes avec la mesure des hauteurs au
dessus de l’horizon de l’étoile polaire ou encore du soleil quand il se trouve dans le plan
méridien du lieu de la mesure.
QUESTIONS POSÉES
Le nombre et la variété des
questions posées sont une indication sur l’intérêt porté par les auditeurs au
sujet traité dans cette conférence. Voici quelques unes avec les réponses
données sur le vif :
Qui est l’inventeur de l’astrolabe ?
Selon la tradition, c’est le savant
grec Hipparque qui a utilisé la projection qui porte son nom. Les savants
arabes ont développé son utilisation entre le 8ème et le 16ème siècle. Ils ont introduit de nombreuses modifications
comme la trigonométrie sphérique avec les notions de zénith, azimut, almicantarat, ainsi que le carré des
ombres au dos de l'astrolabe.
Quelle est la date de la première
apparition en France de l’astrolabe d’Abû Bakr du musée Paul- Dupuy ?
Les documents parlent de la
famille Riquet de Bonrepos de Toulouse qui serait entrée en possession de cet astrolabe, en provenance de Saragosse, ce qui pourrait indiquer une éventuelle
utilisation de cet instrument dans la construction du Canal du Midi, par Pierre Paul Riquet. Un
auditeur affirme que cet astrolabe apporté de Saragosse aurait transité par
Pézenas avant d’appartenir à Jean Gabriel Amable Riquet, petit-fils de
Pierre-Paul Riquet, qui était lui-même
un astronome du XVIIème siècle.
Quelle a été l’évolution de l’astrolabe
entre Hipparque et Abû Bakr Ibn Yûsuf ?
De très nombreux astrolabes ont
été construits en Syrie, en Irak, en Turquie, en Egypte et en Iran depuis le 8ème siècle. Abû Bakr est le
représentant style « maghribi » du 13ème siècle. Les étoiles sont indiquées par des crochets
fixés à l’aide de rivets et leur nombre est de 28.
Existe-t-il un catalogue d’étoiles
associé à chaque astrolabe ?
Chaque astrolabe utilise un
catalogue d’étoiles choisies selon le lieu d’utilisation.
Traditionnellement, ce catalogue donne également les coordonnées équatoriales de
chaque étoile, ce qui aide à la construction de l’araignée. Les astrolabes d’Abû
Bakr utilisent un catalogue de 28 étoiles, bien visibles dans l’espace
méditerranéen.
Utilisation de l’astrolabe dans
la navigation maritime?
L’astrolabe nautique n’a pas d’araignée.
Avec cet instrument, on mesure la latitude du lieu. La nuit on utilise l’étoile
polaire qui indique la direction du nord. La hauteur de l’étoile polaire au
dessus de l’horizon est égale à la latitude cherchée. On utilise également la
position du soleil quand il se trouve dans le plan méridien du lieu, en
mesurant sa hauteur à cet instant. Les navigateurs, portugais en particulier, ont
longtemps utilisé cet instrument avant que la mesure des longitudes avec des
montres ne vienne donner des positions plus précise sur les océans.
Comment procède-t-on pour
calculer la largeur d'un fleuve avec un astrolabe ?
On se met en hauteur ou à l’étage
d’un bâtiment. On utilise le dos de l’astrolabe pour viser la rive la plus
proche du fleuve ou du détroit et on relève l’angle de visée. On a alors un
triangle rectangle dont on connaît un angle et un côté (hauteur du lieu de la
mesure). On en déduit la distance à la rive la plus proche. On procède de la même
manière pour mesurer la distance jusqu'à la rive la plus éloignée. La largeur du
fleuve est la différence entre les deux distances.
On peut aussi mesurer une hauteur d'un mur, d'un bâtiment.... Connaissant la distance jusqu'à l'objet dont on cherche la hauteur et l'angle de visée, on en déduit la hauteur.
Mesure d'une hauteur avec un astrolabe |
*Brigitte Alix est une astronome
et astrolabiste de renom (www.astrolabes.fr).
Il y a quelques années, elle a fabriqué l’astrolabe que j’utilise pour les
démonstrations au cours de mes exposés
Abdelmalek Terkemani
Expert et chercheur international