jeudi 23 mars 2023

L' ASTROLABE DE SIDI ABDALLAH BEN SASSI




ASTROLABE DE SIDI ABDALLAH BEN SASSI: Histoire, théorie et fonctionnement


SAINT À SAFI , ASTRONOME À OXFORD...

Sidi Abdallah Ben Sassi est un saint de la ville de Safi. C’est aussi un savant astronome marocain qui a exercé au service du Sultan Moulay Ismaïl et d’autres Sultans alaouites. En mai 2018, lors d’un voyage d’études en Angleterre, sur les savants astronomes marocains, j’ai découvert qu’un astrolabe de sa fabrication et signé de lui-même était exposé dans la vitrine dédiée aux savants marocains et maroco-andalous, du « Musée de l’Histoire des Sciences »* à Oxford. Pour retracer l’Histoire des sciences, ce musée est l’un des plus anciens et des plus prestigieux dans le monde. Abdallah Ben Sassi (écrit Abdoullah Ibn Sasi au musée) y a donc sa place, et le Maroc aussi !, aux côtés d’Albert Einstein, d’Alexander Fleming, d’Isaac Newton, de Guglielmo Marconi et d’autres savants illustres. Son astrolabe est conservé dans une vitrine solennelle de ce musée, ce qui est une immense fierté pour la ville de Safi et pour tout le Maroc. Malheureusement, j’ai appris par la suite, que sa tombe et le cimetière environnant à Safi avaient été rasés, dans les années 90, lors des travaux d’extension du port de cette ville!

A la suite de cette découverte et pour marquer le souvenir de ce vénérable savant, l’Association Mémoire de Safi, avait organisé une Rencontre « Astronomie et Sainteté », le 23 octobre 2019 à la Faculté Polydisciplinaire de Safi et une stèle avait été inaugurée en ville, à proximité de l’ancien cimetière. 

La présente étude de l’astrolabe d’Abdallah Ben Sassi est réalisée pour servir de base à des cours/présentations d’un instrument de grande valeur scientifique et historique, à la Faculté de Safi et dans des lycées techniques. Elle est destinée à toute future réalisation (musée, stèle) pour rendre l’hommage solennel et nécessaire dû à ce savant. Enfin, elle a pour ambition de  perpétuer et d'honorer la mémoire du savant Abdallah Ben Sassi et de ses travaux, pour la sauvegarde d'un savoir rare, en cours de disparition. Un savoir qui risque de se perdre définitivement, comme l'a été le tombeau du savant lui-même, mais un savoir qui reste, pourtant, la source principale du précieux patrimoine scientifique marocain. 

INAUGURATION D'UNE STÈLE EN MÉMOIRE DE SIDI ABDALLAH BEN SASSI


ASTRONOMIE MUSULMANE

L’astronomie musulmane est née au 7ème siècle, quand les savants musulmans avaient commencé à utiliser le mouvement des astres pour connaître l’heure (des prières) et s’orienter (par rapport à la Mecque). Elle est l’héritière des savoirs égyptiens, perses et grecs. L’assimilation des apports des civilisations (égyptienne, grecque, perse, indienne et  latine ) rencontrées par les savants musulmans et les savoirs de ces civilisations, ajoutés et confrontés les uns aux autres dans des lieux d’échanges des connaissances comme la "Maison de la Sagesse" de Baghdad (Bayt Al-Hikma), au début du 9ème siècle, allaient constituer les bases de lancement  des sciences musulmanes, notamment la chronométrie et l’astronomie. 

 Dans la tradition musulmane, les heures de prière sont déterminées par la course apparente du Soleil dans le ciel. Les premières lueurs du jour, le passage du Soleil sur le méridien  local, sa situation à une hauteur donnée l’après-midi, son coucher et les dernières lueurs du jour, étaient devenus des instants-clés dans la vie sociale des populations islamisées, sous différentes latitudes.  En outre,  les mosquées devaient être orientées selon la direction de la Mecque, dans des contrées situées aux quatre points cardinaux. Ce sont là les facteurs qui avaient poussé les savants musulmans  à reprendre les anciens instruments de mesure du temps, de longueur et des angles et à les perfectionner. Ces savants n’allaient pas se contenter de cet héritage mais allaient chercher à l’enrichir : La numérotation arabe, l’utilisation du zéro, l’invention de l’algèbre, la création de la trigonométrie  sphérique avec de nouveaux éléments (azimut, zénith, nadir, almicantarat etc.) pour une meilleure définition des objets dans l’espace, allaient procurer à ces savants de puissants outils mathématiques pour perfectionner les instruments d’observation et de mesure. Ces derniers allaient devenir de véritables instruments scientifiques au service de la recherche. A partir de là, ces appareils n’allaient plus servir seulement à mesurer le temps ou à s’orienter mais à aider ces savants à explorer le ciel. Les travaux menés dans les observatoires et les résultats obtenus, grâce à ces instruments, vont être transcrits dans des ouvrages qui guideront les recherches des astronomes européens, comme Copernic, savant polonais au 15ème siècle et  ensuite Galilée, savant italien. 

Les sciences de la mesure du temps et de l’astronomie avaient été entièrement refondées par les savants musulmans, au point que  ce sont leurs livres, traduits en latin, qui étaient devenus les ouvrages de référence, dans ces sciences, entre le 9ème et le 16ème siècle, en Occident.

ASTROLABE

C’est l’instrument emblématique de l’astronomie musulmane. Il allie science et élégance. Son nom dérive du grec ; Astro = Astre et labe = capteur, donc c’est un  instrument pour viser les astres et mesurer l’angle de hauteur. À partir de cette mesure, on peut déduire l’heure avec la position du soleil ou des étoiles sur leur orbite. Si au départ l’astrolabe devait aider à donner l’heure et à s’orienter, les savants musulmans avaient introduit (comme on le verra plus loin) d’autres éléments qui permettent d’étendre son utilisation à d’autres fonctions :

1.Connaître les levers et couchers du soleil et des  étoiles

2.Déterminer la latitude d’un  lieu.    
3.Connaître la hauteur d'une montagne, d'un mur, d'un rempart, d'un arbre...
4. Connaître la largeur d’un fleuve.
5. Connaître la profondeur d’un puits. 
6.Faire  des mesures de longueur dans des lieux inaccessibles.

DEUX VISIONS DE L'UNIVERS

L’homme a appris, par instinct et par habitude, à se repérer et à mesurer le temps qui passe grâce au mouvement  apparent du soleil (le jour) et des étoiles (la nuit). Partant de ces mouvements, les savants devaient donner une représentation de l’Univers. 
Comment alors dans le passé, les savants voyaient-ils l’Univers, sans avions, sans télescopes (Hubble, Webb) et sans satellites dans l'espace ? Avec le temps qui avance avec une certaine régularité : après le jour la nuit et après la nuit le jour…
Ptolémée, savant  grec d’Alexandrie (100-168), avait une vision géocentrique de l’Univers : La Terre est une sphère  fixe. Autour d’elle tourne une sphère plus grande sur laquelle sont fixés le Soleil, les planètes et les étoiles.
Depuis le 16ème siècle, Copernic avait proposé une vision héliocentrique, bien différente de la première: Le Soleil est fixe et autour de lui tournent la Terre et 7 autres planètes (des sphères aussi). Elles tournent également autour d’elles-mêmes. Au loin, les étoiles sont fixes. 
La construction de l’astrolabe d’Abdallah Ben Sassi est basée sur la vision des deux sphères, l’une tournant autour de l’autre, c’est cette théorie que nous allons considérer pour la conception de l’astrolabe. Ce dernier continue de fonctionner, même avec le changement de vision de l’Univers, car les mouvements des astres considérés ici sont relatifs, l’un par rapport à l’autre.
Les deux sphères sont concentriques et ont le même axe des pôles. Elles ont le même plan équateur. 
La première représente la Terre et est fixe.
La deuxième sphère beaucoup plus grande tourne, dans le sens des aiguilles d’une montre, autour de la première. Les étoiles sont fixes et disséminées sur sa surface (donc toutes à égale distance de la Terre !). Le Soleil se trouve également sur cette sphère mais a deux mouvements : en un jour, il fait un tour complet, comme toute la sphère. Mais de manière imperceptible, il se déplace chaque jour et décrit une orbite qui représente un grand cercle de la sphère, en une année. Le plan de cette orbite (écliptique) est incliné et fait un angle de 23°27’ avec le plan de l’équateur (cet angle est la latitude des tropiques de part et d’autre de l’équateur). Tout au long de l’année, sur cette orbite, le soleil va éclairer douze constellations du Zodiaque (ensemble remarquable d’étoiles), l'une après l'autre :  الجدى (Capricorne), الدلو (Verseau), الحوت (Poissons), الحمل  (Bélier), التور (Taureau), الجوزاء (Gémeaux), السرطان (Cancer), الاسد (Lion), السنبله (Vierge), الميزان (Balance), العقرب (Scorpion), القوس (Sagittaire).
Donc,  cette orbite du Soleil est le calendrier du Zodiaque qui figure sur tous les astrolabes musulmans ! (En astrologie,  l’horoscope du Zodiaque est utilisé pour l’interprétation de la « carte du ciel »).



DEUX VISIONS DE L'UNIVERS

UNE QUESTION DE SPHERES !

Le problème se présente ainsi : Nous sommes sur une petite sphère entourée par une grande sphère qui nous tourne autour. Et nous voulons connaître l’heure, par exemple, en observant le mouvement du soleil et des étoiles qui sont fixés sur cette grande sphère ! Ces deux sphères ont des dimensions très inégales. Les savants anciens, et Ben Sassi avec, ont pensé à la chose pratique suivante : il vaut mieux représenter la Terre par une  sphère qui a le même centre et les mêmes plans méridiens, mais qui a les mêmes dimensions que la sphère représentant le ciel ! On l’appelle la sphère céleste locale. 
Dans ces conditions, une sphère glisse sur l’autre et il est plus facile de déterminer la position de l’une par rapport à l’autre.Si nous dessinons sur la sphère représentant la Terre des repères de déplacement du Soleil et des étoiles, nous pourrons alors plus facilement faire des mesures ! Donc à partir de maintenant, les deux sphères sur lesquelles nous travaillons, sont de même grandeur. Sur la surface de l’une, on représente  le Soleil et les étoiles, sur l’autre on représente les repères qui vont nous aider à positionner ces astres, pendant nos mesures.
Pour un observateur A qui fait des mesures depuis la Terre, on considère que sa verticale passe par le centre de la Terre d’un côté et perce la sphère céleste locale au point Z (zénith). Les astres peuvent être repérés sur des cercles tracés sur cette sphère et dont le centre se trouve sur le segment AZ. Ces cercles s’appellent Almicantarates , المقنطرات ,  des cercles de hauteur. On peut également repérer les astres sur les grands cercles, passant par Z, de la sphère céleste locale, appelés خطوط السمت , cercles d’azimut.
Donc, nous disposons de deux sphères d’égale dimension :
-La sphère externe, qui représente le ciel, sur laquelle on a représenté un ensemble d’étoiles (bien visibles dans la zone d’observation) et l’orbite du Soleil en une année. [La lune et les planètes du système solaire ne sont pas représentées sur l’astrolabe, car elles ont des mouvements différents de ceux du Soleil et des étoiles].
- La sphère interne, qui représente la Terre, sur laquelle on a représenté les repères, cercles de hauteur  المقنطرات , cercles d’azimut  خطوط السمت , l’équateur , les deux tropiques et quelques méridiens. 
Ce sont ces deux sphères qui constituent l’astrolabe !! Ce dernier n’est pas autre chose qu’une reconstitution en miniature de l’ensemble Ciel-Terre.
Voici un astrolabe sphérique gravé en langue arabe, conservé au Musée de l’Histoire des Sciences à Oxford en Angleterre. La sphère externe représentant le ciel est réduite aux pointes des étoiles et à l’orbite du Soleil. On peut lire le nom d’une étoile  الرامي. Et sur l’orbite du soleil, on peut lire le nom de quelques constellations : الميزان (Balance) -  العقرب (Scorpion) -  القوس (Sagittaire)…

ASTROLABE SPHÉRIQUE (15ème Siècle)

Cet astrolabe sphérique est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’astrolabe musulman est plan ou planisphérique. En effet, construire des sphères métalliques, l’une à l’intérieur de l’autre est assez compliqué. De plus, graver dessus de très nombreux cercles dont les plans sont parallèles ,  avec précision est très difficile. Enfin, il n’est pas possible de transporter un tel instrument composé de sphères l’une à l’intérieur de l’autre, sans en déranger le mécanisme. D’où l’idée de construire un astrolabe plan. 
C’est Hipparque, mathématicien grec (200 av J.C) qui a eu le premier l’idée de passer de la sphère au plan. 
Comment alors, peut-on arriver à représenter sur un plan ce qui se trouve sur une sphère ? [A noter que ce problème se posera aussi, par la suite, pour les cartes géographiques qui doivent refléter fidèlement sur un plan, ce qui se trouve sur le globe sphérique terrestre].
Pour ce qui nous concerne ici, Hipparque avait proposé la projection stéréographique (d’une sphère sur un plan) : Sur une sphère, on a repéré trois astres A, B, et C. On suppose qu’un œil les observe depuis le point sud S. Les rayons AS, BS, CS coupent le plan équateur de cette sphère aux points a, b, et c. L’œil perçoit donc les astres A, B et C à travers les rayons émis comme s’ils étaient placés en a, b, et c. Donc ces derniers points sur un plan sont des images des astres A, B, et C situés sur une sphère ! On prouve, par des raisonnements mathématiques, que les proportions entres les distances sont conservées, dans la projection. On montre également que la projection d’un cercle (sur la sphère, ne passant pas par S) est un cercle sur le plan équateur de cette sphère. 
               PROJECTION STÉRÉOGRAPHIQUE (UNE SPHERE SUR UN PLAN)                               


Nous partons donc de l’astrolabe composé de deux sphères et nous allons appliquer la projection stéréographique pour chacune des deux sphères, afin d’obtenir un astrolabe plan.
Sur la sphère extérieure (le ciel), il y a les étoiles et l’orbite du Soleil. La projection donnera des points pour les étoiles et un cercle pour l’orbite du soleil. Cette projection de la sphère céleste s’appelle l’araignée  العنكبوت. C’est cette appellation d’il y a quatorze siècles, qui a été reprise aujourd’hui sous forme de " la toile (d’araignée !)"  ou web, pour qualifier ce qui enveloppe la Terre.
Sur la sphère intérieure (qui a le même rayon que la sphère céleste !) et qui représente la Terre, sont représentés  les cercles de hauteur, les cercles d’azimut, 12 méridiens , les deux tropiques (Cancer et Capricorne) et l’équateur. Maintenant que les éléments sont matérialisés sur ces sphères, nous allons étudier, plus en détail, comment Abdallah Ben Sassi a construit son astrolabe. 

ARAIGNÉE  العنكبوت      

Les étoiles les plus brillantes dans le ciel marocain ont été mentionnées par l’astronome andalou Maslama Al- Majriti (960-1007), le madrilène, car né à Madrid. C’est un ensemble homogène d’étoiles, visible tout au long de l’année dans Al Andalous et la majorité des Pays arabes. Tous les astrolabes construits dans cette zone utilisent la liste d’étoiles donnée par Maslama, mais certains astrolabistes musulmans ont ajouté  quelques étoiles dans leur astrolabe, comme  Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome de Marrakech, 13ème siècle. Naturellement, un astrolabe construit sous d’autres latitudes, comme en Australie ou en Suède représentera d’autres étoiles que celles utilisées par Ben Sassi, car d’autres étoiles sont plus visibles depuis ces territoires.Le positionnement des étoiles sur la sphère céleste est donné par leurs coordonnées sur cette sphère. En général, on opte pour des coordonnées équatoriales, semblables aux latitudes et aux longitudes, appelées ascension directe α (en degrés ou en heures, minutes et secondes) et déclinaison δ (degrés). Le point origine de l’ascension directe est le point vernal γ (21 mars). Une fois les étoiles fixées avec leurs coordonnées sur la sphère céleste, leur projection se fait, l’une après l’autre sur le plan de l’équateur pour constituer l’araignée de l’astrolabe. Exemple de coordonnées d’étoiles : Altaïr, α = 297,6° et δ= 8,8°. [Il faut noter que de nos jours, avec des applications gratuites comme Google Earth téléchargées dans un Smartphone, il est possible de trouver une étoile en indiquant ses coordonnées et en pointant le téléphone vers le ciel pour la localiser].
Voici le tableau d’étoiles représentées par Ben Sassi ainsi que l’araignée de son astrolabe avec ces étoiles numérotées. Les étoiles de 1 à 12 sont au dessous de l'écliptique, les étoiles de 13 à 25 se trouvent au dessus.


N° Etoile

Nom arabe

Traduction

Identification européenne

1

بطن قيتوس

Ventre de la baleine

  Baleine

2

الدبران

La suivante

Aldébaran

3

رجل الجوزاء

Le pied d’al-gawza

Rigel

4

منكب الجوزاء  

Epaule d’al-gawza

Bételgeuse

5

العبور

 Traverse la voie lactée

Sirius

6

الجميزة

Avec les yeux noyés de larmes

Procyon

7

قلب الأسد

Le cœur de lion

Régulus

8

جناح الغراب

Aile de corbeau

Gienah

9

الأعزل

Sans armes

Epi

10

قلب العقرب

Le cœur de scorpion

Antarès

11

نب الجادي ذ

Queue du capricorne

Capricorne

12

 نب قيتوس ذ

Queue de baleine

Baleine

13

رأس الغول

Tête de monstre

Algol

14

العيوب

Al Ayyouk

Chèvre

15

الرجل

Le pied

Ursae minoris

16

الركبة

Le genou

Ursae maioris

17

بناة النعش

Filles du cercueil

Alkaïd

18

الرميح

Armé d’une lance

Arcturus

19

منير الفكة

Brillante d’al-fakka

Perle

20

رأس الحواء 

Tête de serpent

Rasalhague

21

الواقع

L’aigle tombant

Véga

22

الطائر

L’aigle volant

Altaïr

23

الدلفين

Le dauphin

Dauphin

24

الردف

Monté derrière le cavalier

Deneb

25

منكب الفرس

Epaule du cheval

Pégase


Tableau des 25 étoiles utilisées par Ben Sassi



TYMPANS

Les tympans sont la projection stéréographique de la sphère intérieure (la Terre), sur le plan de l'équateur. Comme les sphères de départ sont égales, les tympans sont donc des disques de même rayon que l’araignée ! Un tympan est conçu pour une latitude donnée. Les tympans sont montés dans la mère de l’astrolabe (الأم), de manière à ce que l’araignée tourne dessus, et donc reproduise le mouvement initial d’une sphère (ciel) qui tourne autour d’une autre (Terre). Sur le tympan, on représente la projection des cercles de hauteur et des cercles d’azimut (qui sont des cercles), de 12 méridiens pour l'heure diurne, des deux tropiques et de l’équateur. L’astrolabe de Ben Sassi comprend trois tympans :

Un tympan pour la ville de Safi, latitude indiquée : 32°.
- Un tympan pour la ville de Marrakech, latitude indiquée : 31°
Un tympan pour le Palais royal de Meknès, latitude indiquée : 35°

Nota : Le Musée de l’Histoire des Sciences d’Oxford conserve également deux tympans inachevés, avec les traces de l’équateur et des tropiques. Ben Sassi les destinait, certainement, à d’autres villes marocaines !

Le tympan sur lequel est gravé  لعرض القصر , pour la latitude du Palais 35°, est une preuve incontestable que Ben Sassi utilisait cet astrolabe pour le service du Palais royal de Meknès. La date indiquée sur cet astrolabe, Année 1099 H soit 1687, correspond au règne du Sultan Moulay Ismaïl. On peut remarquer que la latitude actuelle de Meknès, donnée par des instruments modernes est de 34°, ce qui représente 1° de différence avec la latitude donnée par Ben Sassi, il y a plus de trois siècles. (on notera le meilleur état de ce tympan, comparé aux autres !).



DOS DE L'ASTROLABE

Le dos de l’astrolabe est conçu pour mesurer les angles de hauteur des astres. Le disque est partagé en quatre quadrants, allant chacun de 0° à 90°. Une règle pivotante, l’alilade  الحدادة, dotée de deux trous, permet de viser un astre et de mesurer l’angle de hauteur. Sur le dos de l’astrolabe, Ben Sassi a gravé deux calendriers circulaires concentriques : l’un est zodiacal, l’autre est le calendrier civil. Cette disposition permet une conversion rapide des dates. Exemple : nous travaillons, en observant le Soleil (attention aux yeux!) le 27 juillet- يليوز . Le bord de l’alidade passe par le 27 juillet, ce qui correspond à 5° dans la constellation du Lion- الأسد. Pour positionner le Soleil ce jour sur l’araignée, on tourne l’astrolabe et on considère que le Soleil se trouve sur la graduation 5° du Lion sur son orbite. 

Ben Sassi a gravé sur le dos de son astrolabe deux figures : Les carrés des ombres et une table trigonométrique. Ces deux figures font partie des innovations introduites par les savants musulmans pour faciliter les calculs. 

CARRÉS DES OMBRES

Deux carrés sont gravés de part et d’autre de l’axe Nord-Sud. Le côté de chaque carré est divisé en 12 graduations. De cette manière, la tangente de l’angle de hauteur α est égale à la longueur lue sur le côté vertical divisée par 12.
L’une des dizaines d’application de l’astrolabe est de mesurer les hauteurs de murailles, de sommets, de monuments…Voici la mesure de hauteur d’un minaret, utilisant le carré des ombres.



Le rayon rouge venant du sommet du minaret, passe par les deux trous de l’alilade et rencontre l’œil de l’observateur. Ce rayon coupe le côté vertical du carré au point B de graduation 2,8. La tangente de l’angle α est égale à 2,8 /12. Si L est la distance minaret-observateur, la hauteur H du minaret est alors : H = L x tg α
Si L= 250m,     H= 250 x  2,8/12 =  53,33 m 

(L’astrolabe et le minaret ne sont pas à la même échelle. L’astrolabe est agrandi pour montrer le détail du carré des ombres).
Cette méthode peut être utilisée pour la mesure de hauteur de certaines parties inaccessibles de monuments, de murailles, de profondeur de puits, de largeur de fleuves…

TABLE TRIGONOMÉTRIQUE DE BEN SASSI


Elle se trouve dans le dos de l’astrolabe, dans le quadrant en haut et à droite. Les rayons OA et OB sont gradués de 0 à 6. Ben Sassi a gravé un quadrillage, comme indiqué sur la figure.
On veut calculer le sinus de 38°, à l’astrolabe avec la table de Ben Sassi. On fait passer le bord de l’alilade par la graduation 38°. Les angles AOC et DCO sont égaux (alternes-internes). On lit sur l’abaque OD = 3,7. On sait que OB= OA=OC=6, rayon du cercle, donc : Sinus 38°= OD/OB= 3,7/6= 0,616 .
Le résultat donné par des tables modernes est de 0,615 ! On peut arriver à des résultats plus précis en utilisant des quadrillages de plus petites dimensions. On procède de la même manière pour le calcul des cosinus et des tangentes. 

FONCTIONNEMENT DE L'ASTROLABE

L’utilisation la plus courante de l’astrolabe est le calcul de l’heure du jour en observant le Soleil ou la nuit en observant une étoile.

Calcul de l’heure le jour 

Au départ, on connaît la date du jour d’observation 
1. Sur le dos de l’appareil, on cherche la correspondance entre la date du jour du calendrier civil avec la date du calendrier zodiacal. Exemple : 27 juillet, le Soleil est devant la constellation du Lion et a parcouru 5°  
2. On lit la hauteur du Soleil, c'est-à-dire sa position sur l’écliptique en degrés, soit 39°.
3. On retourne l’astrolabe pour situer la position 5° du Lion, sur l’orbite du Soleil 
4. On amène la position du soleil (5° du Lion) sur le cercle de hauteur 39°.
5. Comme la mesure est faite l’après-midi, cette position se trouve sur le quart sud-ouest de l’astrolabe (attention le sud de l’astrolabe est en haut !).
Si la mesure est faite à Safi (latitude 32°), on lit l’heure 15H40mn.

Calcul de l’heure de nuit 

Nous travaillons avec l’étoile Rasalhague    رأس الحواء   (α Oph), le 21 juin.
1. Sur le dos de l’astrolabe, le 21 juin correspond au début du Cancer 
2. On mesure la hauteur de l’étoile α Oph, avec le dos de l’astrolabe en la visant à travers les deux trous de l’alilade, on lit 45°. On note que l’étoile se situe entre sud et est.
3. On retourne l’astrolabe et on amène l’étoile α Oph sur le cercle de hauteur 45° 
4. Dans cette position de l’araignée, on lit l’heure indiquée en faisant passer  l’ostenseur par la position du Soleil le 21 juin, donc au début du Cancer : 2h22mn.

Nota : l’heure donnée par l’astrolabe est l’heure solaire. Pour avoir l’heure civile, il faut faire trois corrections (heure légale, longitude, équation du temps).

DONNÉES SUR L'ASTROLABE DE BEN SASSI

Date et lieu de fabrication:1099 Hégire,1687/1688. Safi-Maroc
Description : En laiton. Mère ; Araignée de 25 étoiles ; Alidade.
Dimension : Diamètre 124 mm 
Inscription : الحمد لله صنعه عبد الله بن ساسي غفر الله له و لوالديه 
 "Louange à Dieu ! Fabrication de Abdallah Ben Sassi que Dieu lui pardonne à lui et à ses parents". 
Provenance : Présenté par Lewis Evans. Acheté chez Webster (mars 1918) qui l’a acheté lui-même chez M. Gélis à Paris. 
PROPOSITION 

Abdallah Ben Sassi contribue grandement, avec d’autres savants marocains, par leur présence au « Musée de l’Histoire des Sciences » d’Oxford en Angleterre, à la connaissance et au prestige du Patrimoine scientifique marocain, à l'étranger. Parmi toutes les actions à réaliser, pour la réhabilitation de ce savant, dans le futur, il sera juste, judicieux et opportun que, dans l'immédiat, la Faculté de Safi qui dispense des enseignements scientifiques, porte le nom du savant astronome, natif de Safi : ABDALLAH BEN SASSI.

Abdelmalek Terkemani




* Site du "Musée de l'Histoire des Sciences" d'Oxford : https://hsm.ox.ac.uk/collections  

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