samedi 28 novembre 2020

RESTAURATION D'UN VIEUX CADRAN SOLAIRE DE CASABLANCA

 


 

L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Ce cadran solaire se trouve au n° 111 de la rue Al Araar (العرعار),  dans le quartier de Mers Sultan, derrière la Préfecture de Casablanca.

Il est dessiné sur un mur,  donc vertical. Les lettres de la devise sont faites en fer forgé et les chiffres sont romains. La tige (style) dont l'ombre indique l'heure, est scellée dans le mur et soutenue par deux pattes en fer forgé. Ces dernières sont soudées à la tige et scellées dans le mur, de manière symétrique par rapport à la ligne horaire du midi, pour assurer la fixation de la tige et sa stabilité.

Il n’y a pas de date sous ce cadran, mais des habitants de cette rue m’ont assuré que dans les années 40, il y était déjà. A cette époque, le quartier Mers Sultan était en construction et la vue était suffisamment dégagée pour que ce cadran soit exposé au soleil.  

On peut seulement dire avec certitude que l’actuelle rue Al Araar s’appelait rue Gay Lussac. Ce dernier était un savant physicien et chimiste (1778-1850, travaux sur les gaz). Il y avait donc une certaine logique avec la présence de ce cadran solaire, objet scientifique, dans cette rue. Lors du changement du nom de la rue, il y a quelques années, et pour  garder cette cohérence, on aurait dû choisir le nom d’un savant astronome marocain, au lieu du genévrier, arbre d’ailleurs inexistant dans cette rue et à Casablanca. Malheureusement, tant au niveau local que gouvernemental au Maroc, les savants marocains n’ont aucune existence ni dans les musées marocains ni dans les programmes d’enseignement primaire, secondaire et universitaire. Et donc comme on peut le constater, l’absence de nos savants s’étend également à l’espace public marocain. Pour certains responsables, le grand "courage" politique  est de ne jamais parler des savants marocains. Donner le nom d’un arbre à cette rue, les dispense de montrer aux Marocains qu’ils ont eu des savants dans leur Histoire. Quand on parle de choses qui cachent la vérité aux gens, on dit « l’arbre qui cache la forêt », nous y sommes en plein ! 

COMMENT CE CADRAN SOLAIRE A-T-IL ÉTÉ CONSTRUIT ?

Il y a quelques cadrans solaires prestigieux au Maroc qui donnaient les heures de prière aux fidèles. On peut citer ceux de la mosquée Al Karaouyyines à Fès, du mausolée Sidi Belabbas Sebti à Marrakech, du mausolée Moulay Ismaïl à Mèknès, de la mosquée Mohammadi des Habous à Casablanca...Il est certain qu'il y a eu de nombreux cadrans solaires par le passé, au Maroc, seulement quand les murs sont détruits ou s'écroulent, ces cadrans disparaîssent aussi. 

Le principe pour la construction de ces cadrans solaires muraux est le même : Une tige est plantée dans le mur et son ombre au soleil, projetée sur ce mur va tourner, du lever au coucher du soleil. Des lignes horaires vont donner l'heure (solaire) dans la journée. Les deux problèmes à résoudre dans la construction d’un tel cadran solaire sont :

1.    Trouver l’orientation de la tige et donc l’angle qu’elle fait avec le plan du mur

2.    Trouver l’angle que fait chaque ligne horaire avec celle du midi, c'est-à-dire avec la trace  du plan méridien qui contient la tige.

Comme je l’ai indiqué dans d’autres documents, pour un cadran solaire la tige n’est pas orientée de manière quelconque. Pour réaliser un cadran solaire fiable et permanent, quel que soit le lieu sur le globe terrestre, il faut que la tige soit parallèle à l’axe des pôles Nord-Sud. De cette manière, chaque  jour le cadran présentera la même face au soleil.      

Positionnement du cadran solaire à Casablanca


Considérons notre cadran de la rue Al Araar.  Imaginons une plaque horizontale sous le cadran, donc perpendiculaire au mur. La tige perce cette plaque au point A. On voit donc que nous obtenons un deuxième cadran solaire, horizontal cette fois-ci. La tige projette son ombre sur les deux plans. Elle doit faire un angle de 33°, latitude de Casablanca, avec le plan horizontal.  La tige fait donc un angle de  90°- 33° =  57° avec un mur orienté est-ouest.[ La position optimale du mur serait qu'il soit orienté est-ouest. Ce n'est pas le cas ici]. 

Pour trouver les angles horaires, il faut faire le raisonnement inverse : donc construire d’abord un cadran solaire horizontal et le positionner perpendiculairement au mur vertical. Il faut s’assurer que la ligne horaire du midi soit confondue avec la direction nord-sud, méridien du lieu. Dans cette position, la tige est la même pour les deux cadrans. Les lignes horaires du cadran horizontal coupent le mur aux points qui se trouvent sur les lignes horaires du cadran vertical. On pourra donc construire une maquette de ce cadran solaire sur une table avant de le reproduire sur le mur. Il faut mesurer l’angle que fait le mur de la rue El Araar avec la direction est-ouest et placer la plaque verticale avec cet angle. Le mur de la rue El Araar n’est pas orienté est-ouest et pour cette raison, les lignes horaires ne doivent pas être symétriques par rapport à la ligne horaire du midi.

Construction d'un cadran solaire vertical 


Pour la construction d’un cadran solaire horizontal à Casablanca, voir l’article "Comment construire des cadrans solaires au Maroc"

https://marocitineraires.blogspot.com/2017/12/comment-construire-des-cadrans-solaires.html

Pour Casablanca, la tige doit être inclinée de 33°, latitude de la ville, sur la plaque horizontale du cadran. Les angles horaires entre la ligne du midi et les heures 11, 10 et 9 heures du matin (symétriques de 1, 2 et 3 heures de l’après midi) sont les suivants :

 

Heures

     Midi

  11-1heure

10-2 heures

9 - 3 heures

Angle

0

18°

29°


  Non scribo horas nisi serenas

Dans la tradition des cadrans solaires, il est courant d’ajouter sous le cadran une devise  sur le temps qui passe. Ici, cette devise est écrite en latin : Non scribo horas nisi serenas. Sa traduction littérale est : Je n’écris que les heures lumineuses.

C’est le calendrier qui parle ! Il faut comprendre par cette phrase, « je ne marque que les heures ensoleillées ». Evidemment, ce cadran ne fonctionne qu'avec le soleil et non la nuit ou par temps couvert.  

Il faut savoir que les Anciens laissaient quelques énigmes derrière leurs écrits. Dans cette phrase, il y a le sens d’heures ensoleillées qui signifient heures heureuses. La devise latine que l'on retrouve le plus souvent sur les cadrans solaires est CARPE DIEM qui veut dire : Profite de ce jour ou encore du temps présent. On retrouve donc cette idée dans ce cadran solaire de Casablanca: Je ne marque que les heures heureuses, sous entendu dont il faut profiter. Ce qui est un bon conseil, même par ces temps tristes de pandémie chez nous et dans le monde... 

RESTAURATION DE CE CADRAN SOLAIRE

Cet ancien  cadran solaire se trouve dans un état déplorable. Le mur est sali par les dépôts de fumée et de poussière, un mot de la devise a disparu et des bouts de fils téléphoniques sont encore fixés sur des pièces de ce cadran solaire. La restauration consistera à :

·       Nettoyer et repeindre le mur

·       Repeindre en noir les lettres de la devise

·       Reconstituer le mot manquant de la devise : « Serenas »

·       Consolider la tige

On peut également éclairer les passants et les visiteurs, en ajoutant en bas de ce cadran solaire la traduction de la devise :

أعطي فقط الساعات السعيدة

Je ne marque  que les heures heureuses

Il était important d'expliquer le sens de cette phrase pour que nous (et nos responsables surtout) sachions ce qui est écrit sur nos murs. Il sera temps alors pour que les instances concernées ( Région de Casablanca, Ministère de la Culture...) traitent ces objets, comme doit l'être le patrimoine de Casablanca et du Maroc, avec respect et dignité. 

Abdelmalek  Terkemani






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