jeudi 15 septembre 2022

LE SOUTIEN DE LA REINE ELISABETH II AU ROI MOHAMMED V DANS LA TOURMENTE DE 1953, QUE LE MAROC NE PEUT OUBLIER.


Nous sommes en 1953. C’est, peut-on dire, l’année « horribilis » au Maroc, à marquer d'une pierre noire…

En ce temps-là, il n’y avait pas encore la télévision partout et le monde entier suivait les actualités avec des postes de radio antiques ou des transistors collés aux oreilles : les guerres, en Corée et en Indochine, le coup d’Etat de 1952 en Egypte et ses répercussions dans le monde arabe, et… les préparatifs du couronnement de la Reine Elisabeth II, en Angleterre.

Et au Maroc, se tramait un complot mi-civil, mi-militaire pour exiler le Sultan Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V) et, probablement, mettre un terme à la monarchie au Maroc.

Depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale en 1945, les cartes avaient été redistribuées. Le Maroc avait abrité la Conférence d’Anfa à Casablanca en janvier 1943 et, en accord avec le Sultan, les Alliés allaient mettre sur pied les armées de la reconquête en Europe : Les troupes marocaines avaient constitué le plus important contingent pour livrer bataille aux troupes nazies, en Sicile, en Italie, en Corse et au sud de la France, pour la libération de l’Europe.

Après la fin de la guerre et la victoire, sur invitation de De Gaulle, Mohammed Ben Youssef a bien assisté à Paris au défilé des armées victorieuses parmi lesquelles les troupes marocaines et était fait "Compagnon de la Libération", à cette occasion. Cependant, la situation politique au Maroc n’avait guère changé malgré les quelques promesses d’indépendance, faites en marge de la Conférence d’Anfa, par le Président américain Franklin Roosevelt (mort le 12/4/1945).

Manifeste de l'Indépendance et liste des signataires

En plein accord avec le roi, le Manifeste de l’Indépendance du 11 janvier 1944, signé par les Nationalistes marocains, toutes origines confondues, allait résulter en une répression féroce, des incarcérations/éxils des militants et des condamnations à mort de résistants, de la part d’une administration largement pétainiste et collaborationniste.

Après le discours du Roi à Tanger en 1947, dans lequel il avait rappelé que les milliers de soldats marocains étaient morts pour la libération de la France et de l’Europe du joug nazi et qu’il était temps de procéder à l’indépendance du Maroc, Mohammed Ben Youssef était dans le collimateur de généraux français, Juin et Guillaume. Ces derniers dont le bâton de maréchal et les étoiles du képi ont été attribués grâce au sacrifice des milliers de soldats marocains, sous leur commandement, dans les batailles autour de Cassino (Italie), avaient été l’un après l’autre les Résidents généraux au Maroc entre 1947 et 1954. La mission prioritaire et essentielle qu’ils s'étaient attribués eux-mêmes, était la déposition et l’exil du Sultan Mohammed Ben Youssef. Et ces actions inqualifiables allaient être préparées dans un contexte d’une grande brutalité à l’égard des militants nationalistes et de la personne-même du Sultan, avec la complicité et la collaboration actives d’oulémas, de caïds et de Pachas. Parmi ces derniers, le plus hargneux et le plus concerné était le Pacha de Marrakech, Thami El Glaoui.

En 1953, la tension au Maroc était à son comble. Les pièges et les provocations de la Résidence générale de France au Maroc, envers le Sultan et la population marocaine devenaient trop flagrants et trop fréquents. Le maréchal Juin (ancien pied-noir d’Algérie) avait quitté le Maroc en 1951 mais avait imposé le général Guillaume, son adjoint et compagnon d’armes, comme Résident général au Maroc. Juin, même loin du Maroc, considérait notre  pays comme sa chasse gardée et avait maintenu ses « amitiés », en particulier avec le pacha de Marrakech.


Le trio Juin-El Glaoui- Guillaume n’attendait qu’une occasion pour mettre en application leur plan A de déposition du Sultan du Maroc, Mohammed Ben Youssef. Et… le couronnement de la Reine Elisabeth II va leur en procurer une, pensaient-ils.
El Glaoui et le maréchal Juin en grands complices

Elisabeth II accéda au trône britannique, à l’âge de 25 ans le 2 février 1953, à la mort de son père George VI. Son couronnement n’aura lieu que le 2 juin 1953. Comme on le voit actuellement, ces événements attiraient les regards du monde entier, et de plus ce couronnement était le premier à être transmis à la télévision. Londres était donc, à cette occasion, la place où il faut être (the place to be), parmi les têtes couronnées et les chefs d’Etat, pour… qui aspire à le devenir.

C’est donc entre le 2 février 1952 et le 2 juin 1953 que ce trio de comploteurs eut « une idée lumineuse » : Le pacha de Marrakech profitera de son "amitié" avec Winston Churchill, premier ministre britannique, pour se faire inviter aux cérémonies de couronnement de la Reine Elisabeth II. Là, il apportera avec lui des « cadeaux royaux » et sera vu parmi les têtes couronnées qui comptent dans le monde, comme le futur Sultan du Maroc. Après, il suffira d’exiler le Sultan légitime du Maroc. Dans ce plan machiavélique, la Résidence générale fermera les yeux sur les allées et venues du pacha et de sa suite (et sur ce qu’ils transportent) entre le Maroc et l’Angleterre.

À l’approche de la date de couronnement de la Reine, la presse Mas va donc distiller quelques rumeurs de voyage du pacha en Angleterre (sans en indiquer la raison !). La rumeur avait fini par atteindre sa cible : Winston Churchill. Ce dernier, souvent à Marrakech, à la Mamounia ou à la Villa Taylor, appréciait beaucoup l’accueil et les services rendus par le pacha, durant ses séjours. À Londres, il se devait donc de faire un geste envers le pacha, surtout en période de couronnement de la Reine d’Angleterre !! À cette occasion, les lettres, qui suivent, de Winston Churchill adressées au Glaoui, sont publiées dans le livre d’Abdessadeq El Glaoui, «Le ralliement. Le Glaoui, mon père ». Voici la lettre d’invitation de Churchill au pacha, aux cérémonies de couronnement:

My dear Glaoui,

J'ai compris que vous alliez vous trouver en Angleterre cet été au moment du couronnement. Si c'est vraiment le cas, je serais heureux, si cela vous intéresse de voir la procession royale du 2 juin [1953], que vous soyez mon invité personnel. J'espère que vous serez en mesure d'accepter cette invitation et dans tous les cas, je suis impatient de vous voir quand vous serez dans ce pays.

                                  Winston S. Churchill 

La première étape du complot était donc réussie ! Mais le Premier ministre britannique, voulant s’éviter des problèmes avait bien précisé « invité personnel » et non officiel. La suite du plan allait être un fiasco retentissant et cela parce que ceux qui avaient préparé ce plan n’avaient aucune idée de l’éthique de la Cour d’Angleterre.

En effet, le Glaoui avait débarqué à Londres avec un coffre somptueux qui contenait des « cadeaux royaux » offerts par lui à la Reine à l’occasion de son couronnement! Abdessadeq El Glaoui a fait la description de ces cadeaux dans son livre : "une tiare d'or sertie d'une douzaine d'émeraudes, grosses comme des œufs de pigeons et de brillants pour la Reine, et pour le prince Philip, une dague marocaine gainée d'or et sertie de pierreries".

Imaginons l’impensable ! Que serait-il advenu au Maroc, si la Reine avait porté cette tiare sur sa tête ou s’était montrée sur des photos entrain de recevoir ce pacha, comme le Représentant du Maroc ? Heureusement, les événements allaient prendre une autre tournure.

Car à partir de là, alors que les festivités devaient se dérouler sans accroc, il y avait en Angleterre deux événements : celui du couronnement de la Reine et celui de la présence inopportune du pacha avec ses cadeaux que la Reine refuse de manière catégorique. Elle considère la présence de ce pacha à Londres comme un double affront : Elle avait décidé de ne recevoir de cadeaux à cette occasion que de la part de Chefs d’Etat, ce que le Glaoui n’était pas, et de plus ce personnage utilisait ce stratagème pour paraître parmi les Chefs d’Etat et avec le but de remplacer le Sultan légitime de son pays. La Cour britannique ne pouvait accepter d’être impliquée dans un « coup d’Etat » dans un pays, le Maroc, avec lequel l’Angleterre avait des relations très amicales depuis de nombreux siècles !

Il est fort probable que Churchill ne connaissait pas les intentions du pacha en débarquant à Londres avec ses "cadeaux royaux ». On peut penser que, voulant protéger son invité personnel, il aurait souhaité que cette affaire se conclût dans la discrétion. Mais la Reine a du être ferme dans sa position au regard de cet affront : Winston Churchill, Premier Ministre britannique et vainqueur de la Seconde guerre mondiale, se doit d'écrire une lettre au pacha sur cette affaire, qui va rester dans les archives. Cette lettre est publiée dans le livre d’Abdessadeq El Glaoui. Voici la lettre originale, sa traduction est donnée à la suite :


Lettre de Churchill, traduite en français.

Privé et confidentiel                                                                                 10, Downing Street

                                                                                                                    Le 14 juin 1953  

Mon cher Glaoui,

J'ai fait part à la Reine de votre désir le plus généreux d'offrir à Sa Majesté le magnifique diadème serti d'émeraudes et de diamants que vous avez apporté avec vous à Londres et en même temps d’offrir au Duc d'Edimbourg, un poignard à gaine d'or, fabriqué à Marrakech. .

Sa Majesté est très sensible à vos bonnes intentions et m'a chargé de vous en exprimer ses très vifs remerciements. Elle m'a cependant chargé de vous expliquer la règle stricte qu'elle s'est donnée pour accepter des présents à l'occasion du couronnement. Sa Majesté a reçu des cadeaux de la part du peuple canadien et de plusieurs de ses dominions, mais elle a fermement décidé de n'accepter que des cadeaux de chefs d'État, à cette occasion en particulier. La reine estime donc que, bien qu'elle soit reconnaissante pour tout ce que vous avez proposé, elle et le Duc d'Édimbourg, se sentent tenus de refuser ces cadeaux.

Il y a eu aussi, comme vous le savez, certaines répercussions politiques au Maroc à la suite de votre propre décision de faire un cadeau à la Reine, ce qui a nécessairement constitué un argument important dont Sa Majesté a dû tenir compte, pour justifier ce refus.

Je ne doute pas qu'en tant que vieil et estimé ami de ce pays, vous comprendrez parfaitement les raisons qui ont poussé Sa Majesté à prendre cette décision de refus de ces cadeaux, avec laquelle je suis moi-même en total accord.

Je m'arrange pour que le ministère des Affaires étrangères vous renvoie, en toute sécurité, le beau diadème et le poignard.

                            Sincèrement vôtre

                     Signé : Winston S. Churchill

 

C’est ainsi que le plan A qui devait mettre le pied à l’étrier au pacha de Marrakech se termina de manière lamentable, en juin 1953. La Résidence allait pondre, dans la répression et l’improvisation, un plan B qui faisait du vieillard Ben Arafa, un sultan éphémère entre aout 1953 et novembre 1955.

Le Sultan Mohammed Ben Youssef et sa famille étaient exilés le 20 aout 1953. Le lendemain le 21 aout, alors que le peuple marocain était assommé et accablé par cet événement, le pacha déclarait, avec acharnement, à la presse Mas :  "Maintenant, je peux mourir tranquille, le Maroc va vivre en paix !". Et quelques jours après, il échappa à un attentat à la grenade dans une mosquée à Marrakech, dans lequel Ben Arafa était blessé.

Durant l’exil de Mohammed V, les Marocains suivaient les nouvelles qui filtraient de Madagascar en écoutant Radio Le Caire -  هنا القاهرة  -  ou encore la BBC, Radio Londres -  هنا لندن, jusqu’au retour triomphal au Maroc du Roi Mohammed V en novembre 1955, l’Indépendance étant acquise.

Au moment des funérailles d’Elisabeth II, il était  important de rendre un vibrant hommage à cette  grande Reine. Et de  rappeler ces événements qui ont marqué cette époque où elle avait soutenu fermement le Roi Mohammed V et notre pays, dans la tourmente où l’avaient plongé des généraux pétainistes et des comploteurs marocains pour perpétuer la colonisation française au Maroc.    


Abdelmalek  Terkemani

 

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vendredi 8 juillet 2022

LES AMOURS ET LES AMBITIONS DU PACHA HAJ THAMI EL GLAOUI À PARIS

Le pacha Haj Thami El Glaoui et Simone Berriau
                  

Après la signature du document instaurant "Le  Protectorat français au Maroc" le 30 mars 1912, il s'était posé la question cruciale suivante : Comment un gouvernement étranger, à travers son armée et ses administrateurs, allait-il  s'y prendre pour diriger un pays dont l'histoire, la religion, les langues et les coutumes sont si différentes des siennes ? La réponse à cette question se trouve dans le document  conservé à la Bibliothèque nationale de France : "L'Officier de renseignements au Maroc"

Ce document a été préparé par le Colonel Henri Berriau, bras droit et tête pensante de Lyautey. Avec un ton militaire et un style plutôt colonial ( il est question de population "indigène", de société "indigène" et jamais il n'est mentionné de population marocaine ou de peuple marocain), ce document analyse la situation au Maroc et propose une stratégie pour administrer ce pays, en cours de conquête. Voici simplement résumée cette stratégie: 

La population "indigène" est divisée en deux catégories bien distinctes : ceux qui ont des pouvoirs et des privilèges (une infime minorité) et ceux qui n'ont rien dans tous les sens du terme (la grande majorité). Après la "pacification"du pays, il faudra donner encore plus de pouvoirs et plus de privilèges à ceux qui en ont déja, avec quelques réformes mineures.  De cette manière, les éléments de la première catégorie (Pachas, Caïds...) assureront l'ordre pour appliquer la politique qui garantit essentiellement les intérêts français. 

C'est ce que l'on a appelé "La politique des grands Caïds". Et c'est exactement ce qui a été appliqué par la suite. Mais, il n'est dit nulle part dans ce document que cette politique s'est traduite dans le terrain par l'oppression de tous les instants des masses marocaines et par le dépouillement des richesses du Maroc. La personnalité-star sinon le modèle parfait dans l'application de cette politique a été le pacha de Marrakech, Haj Thami El Glaoui (1879-1956).

Ce dernier avait déja participé à la "pacification" de la partie sud du Maroc, avec son frère Madani et tenu d'une main de fer toutes ces régions quand la France manquait de bras et était engluée dans la Pemière guerre mondiale. 

Il allait donc appliquer la stratégie du colonel Berriau sur le terrain, tellement à la lettre qu'il va prendre pour commencer comme maîtresse, la femme de ce même colonel, Simone Berriau de 1921 à 1956. 

Cette liaison, bien improbable, qui va durer plus de 35 ans, va fournir un nouvel angle d'analyse de la personnalité et des ambitions politiques de Haj Thami El Glaoui.


Simone Berriau, donc, va publier en 1973 (17 ans après la mort du Glaoui) un livre autobiographique " SIMONE EST COMME ÇA " et s'étendre longuement sur cette liaison. Au moment où ce livre était publié, elle était la propriétaire et la directrice du théâtre Antoine à Paris ( actuellement ce théâtre porte le nom: Antoine-Simone Berriau). Elle devait avoir alors 73 ans et savait, à cet âge, ce qu'il fallait dire et ce qu'il fallait taire dans ce livre. Certains détails sont un peu crus, mais ce livre donne un éclairage nouveau sur la grande puissance et l'ambition devenue démesurée d'un acteur marocain majeur sous la colonisation française au Maroc.


Simone Berriau (née Bossis)  avait 17 ans quand elle arrive au Maroc en 1917, au bras d'un jeune chatelain breton qui cherchait une situation dans ce pays nouvellement colonisé. Le hasard des rencontres lui fit croiser le colonel Berriau. Elle abandonna son compagnon de voyage à Casablanca et choisit de rejoindre Rabat pour se marier avec Berriau qui était le Directeur des "Affaires indigènes". Ce dernier était alors le bras armé de Lyautey, une sorte de ministre de la Guerre et de l'Intérieur, en même temps. Du jour au lendemain, la jeune Simone (c'est elle qui raconte) était devenue à Rabat, la maîtresse d'une immense demeure avec un personnel de maison de 16 domestiques. La vie nocturne alors, dans un milieu militaire, se passait en veillées où il était question de batailles pour la "pacification" de zones insoumises, justement avec le grand concours et l'implication directe du pacha Glaoui.
 

"Pacification" est un mot assez anodin qui revient souvent dans les archives militaires. Il laisse supposer qu'une certaine paix a été instaurée dans une région du Maroc, mais dans les faits, il s'agit de guerres de conquête très meurtières dans lesquelles nos combattants marocains devaient défendre leurs terres, sans les mêmes moyens et avec une grande bravoure, face aux deux puissantes armées coloniales, française et espagnole. Et cette dernière l'a bien appris à ses dépens, lors de la Guerre du Rif (1921-1926), menée sous la conduite du héros mythique du Maroc, Mohammed Ben Abdelkrim Al Khattabi.       

 À LDECOUVERTE DU HAREM DU PACHA

Un jour en 1919, le pacha Glaoui invita à Marrakech les hauts dignitaires militaires français au Maroc, dont M. et Mme Berriau. Ecoutons Simone Berriau raconter ce séjour au palais du Glaoui de la Stinia  الستينية  à Marrakech (ce mot dérive du nom de l'étoile en mosaïque à 60 branches, qui décore les salons du palais). De larges extraits du livre sont donnés ici, car cette rencontre sera décisive dans sa relation de plus de 35 ans avec le Pacha. 

"Le colonel et moi étions les invités du Glaoui qui lui devait d'avoir été nommé Pacha de Marrakech et l'aimait comme un frère. Cet homme svelte et nerveux, à l'esprit vif-argent était ardemment francophile et faisait preuve d'une grande efficacité: c'était un allié d'autant plus précieux que la France, engagée dans la première guerre mondiale, manquait d'hommes pour poursuivre la conquête du Maroc. Nous ne fûmes pas reçus chez le Pacha comme des hôtes officiels, mais comme des membres de la famille. Plantant là le colonel, amusé et peu inquiet, je pénétrai tout de suite dans les appartements les plus secrets du palais, dans ce harem aux moiteurs parfumées, opulent et doré, qui était le royaume interdit des femmes du Glaoui. Elles étaient cinq qui pépiaient autour de moi, ravies de rencontrer pour la première fois cet être étrange et dévoilé qu'est une occidentale, heureuses de découvrir que je comprenais un peu l'arabe et que je le parlais tant bien que mal... Elles vivaient hors du temps, confinées sans le regretter dans leur minuscule et moelleux univers, séparées du monde par des moucharabieh...

J'expliquai à mes nouvelles amies comment vit une occidentale, ce qui était presque séditieux, mais elles m'écoutaient comme une sorte de Shéhérazade: mes histoires leur paraissaient des contes de fée parfaitement irréels. Elles n'avaient aucune envie de se "libérer" et me trouvèrent fort drôle lorsque je leur demandai si elles étaient jalouses. Elles me répondirent que le Pacha tenait à la bonne entente entre elles et ajoutèrent avec un bon sens bien oriental:

-Nous sommes cinq femmes qui vivons ensemble. La vie serait infernale si nous nous jalousions. Quant aux autres, nous n'en tenons pas compte, on n'est pas jalouse des esclaves !

Le Pacha n'avait pas pour habitude de dîner avec ses femmes, mais il vînt les voir ce soir-là, curieux de voir comment je me conduisais et prit le café avec nous. Je l'horrifiai en offrant des cigarettes à ses épouses, mais il consentit, à leur demande, à ce que je passe la nuit au harem. Lorsqu'il partit rejoindre le colonel Berriau, les cinq femmes m'escortèrent jusqu'à une chambre invraisemblable, dans laquelle flottaient les effuves de différents parfums. J'étais impressionnée par le luxe et les soieries qui couvraient le somptueux lit de cuivre, mais plus encore étonnée par les réveils et pendules de toutes sortes dans cette pièce: il y en avait plus d'une douzaine ! 

Les épouses du Pacha ne firent même pas semblant de s'éloigner lorsque je me déshabillai. Elles étaient intriguées par mes vêtements qu'elles voulaient essayer. A cinq heures du matin, mes hôtesses m'entrainèrent au hammam où je manquai d'étouffer. Nous prîmes ensuite le petit déjeuner avec le Glaoui, puis je retrouvai mon mari qui m'attendait...

Quelques mois plus tard, le colonel Berriau allait décéder, suite à une otite mal soignée (une blessure de guerre ?). Lyautey et tous les hauts responsables militaires étaient présents aux funérailles. Le Glaoui avait déposé son burnous sur la tombe du colonel, en disant : 

- Il y en aura toujours la moitié pour sa femme, puisque c'est un frère que j'ai perdu. 

Le pacha m'assurait de son amitié et jurait que je pourrais continuer à vivre dans son pays comme si j'appartenais aux siens."

Le Glaoui avait de la suite dans les idées comme on le verra plus loin. Mais Simone Berriau, enceinte (de Berriau) , regagna la France à bord du bateau qui rappatriait la dépouille de son mari, colonel Berriau.

Elle s'installa à Paris, avec comme seule ressource la pension militaire de son mari. Un jour de 1922, elle allait recevoir un curieux appel téléphonique.

"A Paris, j'eus la surprise de recevoir, un jour, un coup de téléphone du général Nehlil, que j'avais connu au Maroc lorsqu'il était officier-interprète dans le service du colonel Berriau : le pacha de Marrakech venait d'arriver (c'était son premier séjour en France) et voulait me voir. J'acceptais avec joie le principe d'une proche rencontre, mais fus très étonnée de l'insistance du général: il désirait que je l'accompagne immédiatement au Grand Hôtel, où le Glaoui était descendu avec sa suite. Intriguée, je l'autorisais à passer me prendre immédiatement, rue Guénégaud...

Lakhdar, le valet  de chambre noir, nous a ouvert la porte; j'ai été prise dans le tourbillon d'une djellaba, empoignée, embrassée. Ignorant le général Nehlil, dont la raideur masquait l'embarras, le Glaoui me serrait dans ses bras, me faisait une ahurissante déclaration:

- Je suis venu pour toi ! je dois tout à Berriau, c'était mon protecteur et mon frère, je prendrai charge de celle qu'il a laissée. Tu repartiras au Maroc avec moi, je t'épouserai ! 

- C'est Berriau qui m'a  mis sur ta route. J'ai épousé la veuve de mon frère pour ne pas qu'elle reste seule; je t'épouserai aussi...

Servis par les domestiques du Glaoui, des Marocains aux gestes feutrés qui se déplaçaient comme des ombres, nous avons déjeuné dans la "suite", au milieu des gerbes de fleurs qui la transformaient en jardin. Le général Nehlil était impassible, le pacha presque muet: je bavardais à tort et à travers, espérant que notre hôte oublierait de donner suite à son étonnante déclaration. C'était mal connaître ce diable d'homme. Laissant à peine le général terminer son cigare, le Glaoui le congédia sans y mettre trop de formes et me reprit dans ses bras. Je ne désirais aucunement me retrouver dans sa chambre, et pourtant c'est ce qui  arriva."

Vous lisez bien qu'un général français insiste pour accompagner une dame et la laisse dans la suite du Pacha à Paris. Cela fait-il aussi partie des privilèges qu'il fallait accorder au Glaoui pour s'assurer de sa collaboration ?

Seulement voilà, après cette soirée Simone Berriau va découvrir et profiter de l'immense pouvoir financier du pacha et prendre goût à cette liaison.

"Je lui ai fait découvrir Paris: nous partions chaque jour en expédition dans sa Rolls-Royce noire, nous faisions la tournée des grands ducs, sans soucis de l'heure. En fin d'après-midi, nous allions dévaliser les magasins et nous nous attardions souvent dans les parfumeries : le Pacha, qui avait une passion de cocotte pour les parfums, en achetait des litres pour lui, pour moi, pour tous mes amis (je lui avais présenté mes familiers qu'il comblait de cadeaux). Je me demande comment nous faisions pour avoir de si terribles additions dans les restaurants (Grand Vattel, Laperouse), que le Glaoui réglait en laissant d'énormes pourboires."

En fait, le Glaoui ne mettait jamais la main à la poche, il avait toujours à proximité , son secrétaire financier juif Sam Ben Rimoj, pour régler les notes. Et celles-ci devenaient, de plus en plus importantes. 

Car la nature et le volume des cadeaux allaient changer, très rapidement : "J'habitais un nouvel appartement, boulevard Malesherbes; il était immense avec ses quatorze fenêtres et son grand balcon. Mes sorties avec le Glaoui et sa présence dans l'appartement ne passaient pas inaperçues et tout Paris a bientôt été au courant de notre liaison."

Simone Berriau se lançait alors dans une carrière de chanteuse et d'actrice. Le Pacha allait même financer un film dans lequel elle jouait le rôle d'une Marocaine. " Dans ce film, on avait besoin de montrer quelques moutons, en train de brouter devant une tente, le Pacha en fit venir 2.000...!".


Mais surtout, dans les années quarante, au terme d'une carrière au cinéma moyenne, Simone Berriau fit l'acquisition, naturellement avec l'assistance financière de Haj Thami, du Théâtre Antoine à Paris ! Et c'est l'un des grands quiproquos de théâtre qui se puissent imaginer: C'est dans ce théâtre parisien acheté par un Pacha féodal marocain pour sa maîtresse française, que Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe  emblématique de la gauche française, venait faire jouer ses pièces de théâtre sur l'existentialisme...

Bon là au moins, quand les Marocains de Paris ou d'ailleurs, passeront devant ce théâtre, sis au 14 boulevard de Strasbourg (Paris 10ème), ils sauront qu'il y a de l'argent marocain qui a été englouti dedans et sans retour, il y a plus de 80 ans!

 La liaison entre le Glaoui et Simone Berriau n'avait pas résisté au temps, mais sans rupture. Lors de ses fréquents passages à Paris, le Glaoui préférait s'installer dans une suite du Claridge, pour sa proximité avec le Lido, car dit-elle, il y appréciait beaucoup les spectacles de nu. Simone de son côté, allait se remarier à deux reprises avec André Wolff un musicien, ensuite avec Yves Mirande, un scénariste. Mais elle continuait de passer, régulièrement, ses vacances à Marrakech avec ses maris, en étant reçue par son amant ! Et la meilleure (c'est toujours elle qui raconte) c'est que le Glaoui pris de sympathie pour  Mirande, souvent désargenté, lui avait assuré, en cachette, une rente. Un grand coeur !

Malheureusement, la population de Marrakech qui vivait dans une misère noire et sous le joug d'un pouvoir moyenâgeux à cette époque, n'avait pas été secourue par l'immense générosité de ce grand coeur!

COMPLOT ET EPILOGUE 

Après la 2ème Guerre mondiale, les choses au Maroc vont changer de fond en comble: Le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef a été partie prenante dans la grande Conférence d'Anfa (14-24/1/1943)  et avait engagé notre pays à fond avec les Alliés. Mais le sacrifice de milliers de soldats marocains dans cette guerre pour la libération de l'Europe et de la France, en particulier, n'avait rien modifié à la politique française au Maroc. Le discours de Mohammed Ben Youssef à Tanger en 1947, devait être alors le premier acte solennel de la lutte pour l'Indépendance de notre pays, après la signature du Manifeste de l'Indépendance (11 janvier 1944).

Depuis ce discours, les deux Résidents généraux français militaires (Juin, Guillaume) qui étaient nommés, avaient pour mission principale et prioritaire d'organiser la déposition du Sultan Mohammed Ben Youssef. Et le fomenteur principal de ce complot était le pacha Glaoui. Car, naturellement, l'Indépendance du Maroc signifiait la fin de son monde à lui.  

Au début des années cinquante, la vie parisienne du Glaoui était alors très intense. A Paris, chez Simone Berriau (chez lui donc), il recevait des généraux, des hommes politiques, des hommes d'affaires, des intellectuels qui avaient en vue de perpétuer la colonisation au Maroc. La présence de ce beau monde autour de lui, nourrissait l'ambition du Pacha, devenue de plus en plus démesurée. En même temps au Maroc, il organisait l'éloignement du Sultan et de sa famille, en magouillant avec certains Oulémas et d'autres comploteurs, mais à sa manière propre et certainement pour son propre compte. Car alors pourquoi prendrait-il tous ces risques, ferait-il tous ces efforts, avec le soutien de ses "Amis" de Paris et de Rabat si ce n'est pas pour en récolter le bénéfice lui-même et donc devenir, peut être, roi du Maroc ! 

Un événement va donner plus de sens à ce qui est plus qu'une hypothèse : c'est le couronnement de l'actuelle Reine Elisabeth II d'Angleterre, en 1953 !! 

Cette année 1953, à marquer d'une pierre noire dans l'histoire du Maroc, le conflit entre Mohammed Ben Youssef et le résident général Guillaume est à son comble, à cause du rapprochement entre le Sultan et le Mouvement national marocain. Et pendant ce temps, le Glaoui avait pris  fait et cause, ouvertement, contre le Sultan et savait que la déposition du Sultan était dans les plans, puisqu'il y travaillait lui-même.  

En mai 1953, une rumeur (qui en est à l'origine ?) circula pour indiquer que le Glaoui se rendrait en Angleterre. Winston Churchill, Premier ministre britannique et "ami" du Glaoui, pris au dépourvu par cette nouvelle, s'était alors senti obligé de l'inviter au couronnement de la Reine qui devait avoir lieu le 2 juin 1953, comme par hasard ! Voici cette invitation datée du 4/5/1953 ( extraite du livre de Abdessadeq El Glaoui, "Le ralliement-Le Glaoui, mon père"): 

 My dear Glaoui,

J'ai compris que vous alliez vous trouver en Angleterre cet été au moment du couronnement. Si c'est vraiment le cas, je serais heureux, si cela vous intéresse de voir la procession royale du 2 juin [1953], que vous soyez mon invité personnel. J'espère que vous serez en mesure d'accepter cette invitation et dans tous les cas, je suis impatient de vous voir quand vous serez dans ce pays.

                                                              Winston S. Churchill  

      Ce qu'il faut noter ici c'est qu'il est question d'un "invité personnel" et non officiel.  Winston Churchill, en vieux politicien, voulait s'épargner des problèmes et il avait raison. Car dans l'événement principal qui était le couronnement de la Reine Elisabeth II, il y avait un autre événement qui était la présence inopportune du Glaoui !  Ce dernier, en effet, était arrivé à Londres, avec des cadeaux "royaux" à l'intention de la Reine et du Prince  Philip. Abdessadeq El Glaoui en fait la description dans son livre: "une tiare d'or sertie d'une douzaine d'émeraudes, grosses comme des oeufs de pigeons et de brillants pour la Reine, et pour le prince Philip, une dague marocaine gainée d'or et sertie de pierreries".

Le plus embarrassé dans cette histoire est Churchill, car la Reine lui a fait dire  qu'elle et le prince Philip n'acceptent que les cadeaux des seuls chefs d'Etat ! C'est seulement après ce reproche que lui-même découvre cette histoire de cadeaux. C'est donc lui qui devait adresser une lettre au Glaoui, qui est un modèle de message diplomatique, pour qu'il ramène ses cadeaux avec lui : on vous remercie, mais la Reine ne peut accepter que des cadeaux de chefs d'Etat, et sous entendu, vous ne l'êtes pas encore... 

Il y a donc cette tentative, pour une première reconnaissance, qui a été un fiasco retentissant, en juin 1953. Il est presque sûr que la Résidence générale était au courant et, certainement, était même l'instigatrice de cette action. Mais comme dit le dicton marocain, " Ce à quoi pense le chameau, les chameliers y ont pensé aussi"   اللى فراس الجمل فراس الجماله

L'ambition du Glaoui d'aller encore plus haut s'était arrêtée net à Londres. Par la suite, le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef a été exilé le 20 aout 1953 (le jour de l'Aïd Al Adha), et c'est Ben Arafa qui a été désigné sultan éphémère, non reconnu par l'Etat marocain (21/8/1953-1/10/1955), dans un Maroc en ébullition.

En novembre 1955, au retour triomphal, au terme d'un exil en Corse et à Madagascar, le Roi Mohammed V fait un passage par Paris, pour officialiser les Accords de l'Indépendance du Maroc. Et là à Saint Germain-en-Laye, c'est Haj Thami El Glaoui, le premier parmi les visiteurs, qui vient se prosterner devant le Souverain pour demander le pardon royal. 

En s'inclinant devant le roi Mohammed V, il prononça quelques mots, en guise de défense : Ils m'ont trahi !  غضرونى . 

Comme les jeunes de ma génération, j'ai vécu ces moments uniques d'une immense ferveur populaire au Maroc. Cette scène était projetée, en novembre 1955, sur les écrans de cinéma avant les films, à Marrakech et dans les autres villes marocaines. Des quatre coins de la salle de cinéma, fusaient les عاش الملك محمد الخامس "Vive le roi Mohammed Al Khamis", dans l'allégresse générale. Les temps avaient vraiment changé, car seulement quelques jours auparavant, le Marocain qui disait cette phrase en public était passible, au minimum, de prison immédiate, dans des conditions dégradantes.  

Le Pacha El Glaoui demande pardon au Roi Mohammed V


Abdelmalek Terkemani

    Documents de référence:

"L'officier de renseignements au Maroc" Henri Berriau

"Simone est comme ça", Simone Berriau

"Le ralliement-le Glaoui, mon père", Abdessadeq El Glaoui 



vendredi 10 juin 2022

SCANDALE AU MUSÉE DU LOUVRE PARIS - LA VENGEANCE D’ABÛ BAKR IBN YÛSUF, ASTRONOME MAROCAIN DU 13ème SIECLE


Astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf exposé au musée Paul-Dupuy à Toulouse


Jean-Luc Martinez a été le Président-Directeur du musée du Louvre à Paris. Ce n’est pas rien ; quand il parlait au nom du Louvre, il semblait avoir le rang de chef d’Etat dans ses relations avec certains pays arabes (Maroc, Egypte, Emirats Arabes Unis…).

Le 23 mai dernier, il a été placé en garde à vue par la police française pour « blanchiment  par facilitation mensongère et complicité d’escroquerie en bande organisée ». Dans le monde feutré des arts et des musées, cela fait l’effet d’un tremblement de terre et il y a de quoi car on a dû en sentir les secousses jusqu’à chez nous !! Car nous connaissons bien Jean-Luc Martinez au Maroc…

De quoi s’agit-il exactement ? En cause, l’acquisition par le musée Louvre-Abou Dhabi de plusieurs pièces d’antiquité égyptiennes, dont une stèle en granit rose gravée  au nom du pharaon Toutânkhamon (actuellement exposée au musée des Emirats) pour une somme globale de 15,2 millions d’euros. Le problème est que ces pièces ont été pillées lors des émeutes du Printemps arabe en 2011 et, par la suite,  de faux certificats ont été réalisés pour permettre leur réintroduction dans le circuit légal. Opération qui a permis de les fourguer au musée des Emirats Arabes Unis. Le Président du Louvre, responsable de l’authenticité des documents  dans cette acquisition, a donné son accord et donc fermé les yeux (au moins) sur ces faux certificats. L’affaire est extrêmement grave et les deux musées du Louvre à Paris et à Abou Dhabi se sont constitués partie civile dans cette affaire, qui va avoir (qui a déjà) des retombées absolument négatives sur la crédibilité de tous les musées du monde.

Stèle litigieuse exposée au musée Louvre Abou Dhabi


Mais voilà, Jean-Luc Martinez a déjà des antécédents chez nous au Maroc. Quand il intervient dans les Pays arabes, il se croit en territoire « exotique » et  s’autorise donc des méthodes « exotiques ». On a dû lui souffler à l’oreille qu’ici, il peut faire les choses à sa guise, car il n’y a jamais de compte à rendre. En 2015, pendant que se préparait cette vente de pièces pillées au musée du Louvre Abou Dhabi, le Louvre Paris organisait, avec la Fondation des Musées du Maroc, l’exposition « Le Maroc Médiéval ». Cet événement s’était déroulé pendant cinq mois au musée du Louvre à Paris et pendant sept mois au musée MMVI à Rabat. Le grand ordonnateur, à coups de milliards (du budget marocain), était Jean-Luc Martinez.

Ayant suivi cette exposition aussi bien à Toulouse et Paris qu’à Rabat, j’avais senti quelque parfum de scandale pendant son déroulement. Tout le long de l’exposition, j’avais dénoncé, avec force, dans de nombreux articles les méthodes du président du Louvre et de ses correspondants marocains aussi bien au niveau de l’opacité financière de l’organisation que du traitement indigne et, pour tout dire innommable, réservé aux savants astronomes marocains, à Rabat, dans la capitale-même  du Maroc !!!.

I. Cette  exposition a duré environ une année entre Paris et Rabat. Au musée du Louvre, 300 pièces ont été exposées. Une grande partie de ces pièces avaient été prêtées, par d’autres musées français et de par le monde, contre des montants très importants. Quand on sait que certaines pièces constituent la principale ressource du musée qui les conserve, on imagine que le musée qui les prête veuille bien compenser son manque à gagner. C’est le cas de l’astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain du 13ème siècle, qui appartient au musée Paul-Dupuy à Toulouse. On m’a assuré dans ce musée que les prêts de cet astrolabe marocain à des musées à travers le monde, générait une partie importante des ressources annuelles du musée. On peut imaginer les coûts faramineux d’une telle exposition quand on sait que des dizaines de pièces avaient été prêtées par d’autres musées après des transactions financières.

Cette partie financière de l’organisation de l’exposition s’est déroulée dans l’opacité la plus totale alors qu’il s’agit de l’argent public marocain. Aucune information financière, de quelque nature que ce soit,  n’a été donnée par les organisateurs. C’est Jean-Luc Martinez, président du Louvre Paris qui négociait les prêts des pièces exposées et présentait les factures, lesquelles sont réglées par le Maroc, rubis sur l’ongle. Maintenant que l’ancien président du Louvre est accusé « d’escroquerie en bande organisée » sur des affaires similaires et datant de la même période que le « Maroc Médiéval », on a le droit de se poser des questions au Maroc…

II.  Pour la même exposition, « Le Maroc Médiéval », si  300 pièces ont été  exposées au Louvre à Paris, seulement 220 le seront au musée MMVI à Rabat. Qu’est-il advenu des 80 autres pièces ? Le Maroc a-t-il payé pour des pièces que personne n’a vues à Rabat ? Aucune information de l’organisation sur ce sujet et circulez, il n’y a rien à voir !! Toujours est-il que les organisateurs, Jean-Luc Martinez en premier lieu, ont donc décrété que des pièces sur l’Histoire du Maroc pourraient être montrées au public français à Paris et doivent être cachées au public marocain à Rabat, lequel public est, naturellement, le premier concerné par cette Histoire ! 

III.  Au cours du « Maroc Médiéval », deux astrolabes fabriqués par des astronomes marocains ont été exposés. L’un a été fabriqué par Mohamed Ibn Fattouh Al Khamairi à Marrakech ou à Séville au 13ème siècle. [J’ai découvert par la suite qu’un astrolabe de cet astronome était exposé dans le Musée de l’Histoire des Sciences à Oxford, Angleterre et évidemment avec son nom indiqué !!]. L’autre astrolabe a été fabriqué par le savant astronome marocain, Abû Bakr Ibn Yûsuf et est conservé  normalement au musée Paul-Dupuy à Toulouse (France).

Eh bien, si ces astrolabes étaient exposés à Paris avec des cartels donnant la date de fabrication et le nom du facteur d’astrolabe, à Rabat ils ont été exposés, de manière anonyme ! Les noms de ces savants marocains ont été effacés. Un acte indigne de hauts responsables de musées et une honte absolue !!

L’astrolabe d’Abû Bakr est une pièce fabriquée à Marrakech sous l’ère almohade, en l’an 613 de l’Hégire (1216-1217).  

Les astrolabes fabriqués par Abû Bakr Ibn Yûsuf et exposés dans des musées en Europe sont de précieux témoins autant sur l’Histoire du Maroc que sur la période faste des sciences marocaines. Ils font de leur facteur, l’ambassadeur de la culture marocaine en Europe, depuis de nombreux siècles.

Son astrolabe de Toulouse a été pris comme modèle de rigueur scientifique et présenté dans tous ses détails de construction par Raymond D’Hollander (1918-2013). Ce dernier, polytechnicien et ancien Directeur de l’Ecole des Sciences Géographiques de Paris, avait réalisé l’ouvrage sur l’astrolabe  le plus complet et le plus abouti (Histoire, Théorie et Pratique). En couverture de cet ouvrage, une photo magnifique de l’astrolabe d’Abû Bakr.

Dans tous les musées du monde, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada où cet astrolabe a été exposé, il a été accompagné d’un cartel de présentation portant l’inscription suivante : 

                                    صنعه أبو بكر بن يوسف بمدينة مراكش عمرها الله سنة    

Fabriqué  par Abû Bakr Ibn Yûsuf dans la ville de Marrakech qu’Allah la rende prospère, en 613 de l’Hégire (1216-1217).

Cette phrase célèbre est  gravée en demi-cercle et en lettres coufiques, par Abû Bakr au dos de tous ses astrolabes. 

                                      


Mais cela est valable dans tous les musées du monde sauf, chez lui au Maroc, à Rabat. Car Jean-Luc Martinez, Président du Louvre Paris et son homologue marocain ont décrété que l’on ne doit pas indiquer le nom d’un savant marocain dans cette exposition au Maroc ! Pourtant la présence des astrolabes des savants marocains Abû Bakr Ibn Yûsuf  et  Mohamed Ibn Fattouh Al Khamairi est la seule note scientifique dans cette exposition qui devait présenter une période médiévale faste des sciences marocaines et andalouses. Et de plus, le musée du Louvre et son président ont reçu des milliards pour montrer le nom de ces savants marocains aux publics  marocain et international. Oui mais voilà, certains ont décidé de dépouiller, impunément,  le Maroc de son Histoire et de ses savants.

Concernant ces malversations, j’avais saisi le Ministère de la Culture et la Fondation nationale des musées du Maroc en 2015, pendant que l’exposition se déroulait à Rabat. J’avais également rédigé de nombreux articles sur ces sujets, donnés ci-dessous.

Il n’y a eu aucune réponse officielle à ces demandes,  côté marocain, ce qui est normal. Par contre,  le musée du Louvre (qui a une réputation à défendre), m’a répondu en ligne. L’essentiel de cette réponse était : …. L’absence du nom des savants marocains dans l’exposition « Le Maroc Médiéval » à Rabat est un oubli malencontreux  [cette réponse est enregistrée dans la Grande Galerie, le Journal du Louvre du 31/8/2015 à 14 : 12].

Après cette réponse, l’exposition s’était prolongée quelque temps encore à Rabat sans aucune modification : les noms des deux savants marocains étaient toujours inexistants.

Comme je le soupçonnais, la réponse du Louvre était donc un gros mensonge. La volonté et la décision de Jean-Luc Martinez et de son homologue marocain étaient d’effacer les noms des savants marocains dans cette exposition comme c’est le cas dans les autres musées du Maroc. D’une certaine manière, c’est une tentative de falsification de l’histoire du Maroc et de celle de ses savants. Un acte scandaleux.

Mais maintenant que Jean-Luc Martinez, ancien Président-Directeur du Louvre est accusé « d’escroquerie en bande organisée » pour une vente de pièces pillées en Egypte, organisée à la même époque que l’exposition de Rabat, on pourrait chercher à y voir plus clair sur ce qui s’est passé exactement dans l’organisation bien opaque du « Maroc Médiéval ». 

Car ce qui reste comme souvenir de cette exposition, ce sont des milliards dépensés sur le budget de notre pays, et l'organisateur est maintenant accusé "d'escroquerie en bande organisée", dans des affaires similaires. Ce qu'il en reste aussi, c'est que "Le Maroc Médiéval" censé faire la promotion du Maroc et de son Histoire, a surtout fait la négation de ses savants! 

En attendant, l’ancien président du Louvre aura à réfléchir dans sa cellule, pour son manque de respect aux pharaons d’Egypte et aux savants du Maroc, à la malédiction de Toutânkhamon et à la vengeance d’Abû Bakr Ibn Yûsuf.


Abdelmalek Terkemani

On peut lire sur ce sujet:

 

EXPOSITION "LE MAROC MÉDIÉVAL". Ma discussion avec le musée du Louvre à propos de l'absence des savants marocains.  

PLEURER FACE À PICASSO 

On peut laisser des commentaires dans la page facebook  Maroc histoire et culture


mardi 12 avril 2022

LA GUERRE EN UKRAINE ET LES ÉCRITS DU GÉOGRAPHE MAROCAIN MOHAMED AL-IDRISSI, AU 12 ème SIÈCLE

 

STATUE DU GÉOGRAPHE MAROCAIN MOHAMED AL-IDRISSI (1100-1165) A SEBTA

LA GUERRE EN UKRAINE ET... LES PAYS D'ISLAM (!)

 La guerre actuelle entre la Russie et l'Ukraine constitue, pour les atrocités extrêmes commises et le  risque réel de conflit nucléaire (qui ferait de notre pauvre Terre "La planète des singes"), le sujet principal de tous les médias mondiaux. Les débats quotidiens en Europe, autour de ce sujet font intervenir des commentateurs militaires, des historiens, des politologues pour tenter de cerner les problèmes. Très curieusement, et même si ce conflit se déroule géographiquement loin du monde arabo-musulman, ce dernier quand il est cité ou "impliqué", c'est toujours et tout le temps pour être présenté sous un mauvais jour. Ces débats deviennent alors de vrais réquisitoires contre le monde  arabo-musulman, pour un lien virtuel et hypothétique avec ce conflit, pendant que la barbarie se déroule sous nos yeux en Europe!

Quelques exemples: Pour les crimes commis au cours de ce conflit, on espère et on entrevoit, au cours des débats, que le maître du Kremlin aura une fin comme celle des dictateurs dans les ... Pays arabes !! ( on cite alors l'Irak, la Libye). On ne voit pas trop le rapport, mais comme modèle de dictateur, on devrait citer plutôt quelques dictateurs notoires de la zone-même du conflit, pas trop mal dans le genre dictateur-génocidaire. Ceux qui ont provoqué un nombre inimaginable de morts à travers le monde (plus de 100 millions) et laissé  des qualificatifs terrifiants dans les langues européennes:  hitlérien, stalinien...

Parlant des populations victimes de cette guerre,  certains débatteurs se félicitent presque que l'Europe (sauf l'Allemagne) ait édifié des murs et des grillages barbelés contre les réfugiés du Moyen-orient (victimes alternativement des armées occidentales américaines ou russes) pendant qu'on réserve un  accueil, disons plus humain, aux réfugiés de l'actuel conflit. Et un accueil un peu moins humain aux résidents et étudiants arabes et africains en Ukraine, refoulés des frontières vers les zones de combats!!. Théoriquement, tous les réfugiés victimes de guerre sont égaux devant la tragédie et la détresse. En théorie seulement...

On aura remarqué, certaines fois dans ce conflit, que quand la barbarie atteint son paroxysme, les TV montrent alors des combattants tchétchènes musulmans à l'oeuvre, pour ajouter un autre degré à l'échelle de terreur, à l'exemple des films d'épouvante, comme s'il s'agit d'êtres exterminateurs! Personne ne sait vraiment s'il s'agit des Tchétchènes et de plus, le peuple tchétchène a déja payé son tribut aussi, puisqu'une partie de cette population a été exterminée et  que la capitale Grosny a été rasée de la surface de la Terre, par l'armée russe, il y a une vingtaine d'années (sans que personne n'ait levé le petit doigt). 

En fait, les raisonnements et les réflexions, stupides et xénophobes envers les Musulmans, prolifèrent en période d'élections dans certains pays en Europe; le conflit en Ukraine est l'occasion (!) pour certains politiciens et politologues d'en propager d'autres.   

Dans les débats autour de ce conflit, il arrive aussi que l'on aborde la question de l'Histoire la plus ancienne de cette région Russie-Ukraine-Pologne, et alors là plus personne ne fait appel au savoir et aux connaissances des érudits, des savants, des historiens et des géographes du monde arabe et musulman. Comme si ce monde n'a et n'a jamais eu rien à dire dans ces domaines. C'est soit que ces "experts" communicants sont de vrais ignorants, soit et c'est pire encore, qu'ils occultent, volontairement, certaines références.   

Avant même la fondation de Moscou (1250), de Saint Petersbourg (1703) et de la majorité des villes dans cette zone, Mohamed Al-Idrissi, géographe et cartographe marocain (1100-1165) parlait des populations slaves de ces régions, au 12ème siècle. Il décrivait la vie sociale et économique de Cherson (ancienne Sébastopol) sur les bords de la Mer Noire.  Et surtout, il décrivait la voie Kiev-Vladimir à la frontière avec la Pologne, et plaçait avec précision sur ses cartes géographiques, les villes de cet itinéraire pour la première fois dans l'Histoire. Cette voie constituait alors  la principale liaison entre le monde russe avec  l'Allemagne et le reste de l'Europe. Avant les gazoducs intercontinentaux, avant les routes aériennes internationales et les autoroutes qui relient la Russie à l'Europe, cette voie représentait à elle seule l'essentiel de l'activité économique et militaire entre ces deux ensembles.

Qui est Al-Idrissi et comment il a préparé son ouvrage sur la géographie mondiale au 12ème siècle ?

Abou Abdallah Mohamed Ibn Mohamed Ibn Abdallah Ibn Idriss al-Qurtubi Al-Idrissi est né en 1100 à Sebta (Ceuta), au nord du Maroc almoravide , dans une famille idrisside. Il fait ses études à Cordoue alors capitale d'Al-Andalous, Espagne musulmane. Ses travaux devaient alors être suffisamment connus au delà de l'empire almoravide pour que le roi normand, Roger II de Sicile, l'invite en 1138 à Palerme. Al-Idrissi va alors rester 17 ans en Sicile pour réaliser, sur la proposition de ce roi, une œuvre monumentale, sans égale depuis de nombreux siècles, sur la géographie du monde habité au Moyen Âge : Nuzhat al-mushtaq fî ikhtirâq al-âfâq      


                        نزهة المشتاق في اختراق الآفاق
Ce titre a eu plusieurs traductions. On va en proposer une autre : "Voyage d'un passionné pour explorer les horizons". Ce livre est également connu sous le titre كتاب روجر, "Livre de Roger". [ La plus ancienne copie de cet ouvrage datant de 1553 est conservée dans la Bodleian Library à Oxford, parmi les trésors de cette dernière. J'ai eu l'immense chance, il y a quelques années, d'avoir été autorisé par cette bibliothèque à le feuilleter, à titre   exceptionnel.]

Al-Idrissi avait voyagé en Al-Andalous, dans les pays du nord de l'Afrique, au sud de l'Italie et en Sicile. Ses autres sources sont:

  • Les autres géographes musulmans qui l'ont précédé, comme Ibn Hawqal, né en Turquie actuelle au 10ème siècle.
  • La "Géographie" de Ptolémée (90-168).
  • Les archives diplomatiques du palais à Palerme, mises à sa disposition par le roi normand, Roger II.
  • Les voyageurs, les commerçants, et les ambassades à Palerme. La Sicile était un carrefour maritime au milieu de la Méditerranée, et donc une source inépuisable d'informations.     
Al-Idrissi a répertorié 5000 noms de lieux, de villes, de lacs, de mers et de montagnes. Il est le premier géographe à "oser" dessiner une carte du monde sur un globe sphérique (il y a neuf siècles!!). 

La carte du monde (sans le continent américain   et l'Océanie encore inconnus) dessinée par lui-même, est divisée en latitude (verticalement) selon 7 zones appelées "climats" et en longitude (horizontalement) selon des sections. Le résultat est un ensemble de 70 cellules. Il a alors dessiné 70 cartes géographiques, chacune désignée par son "climat" et sa section. Le "Kitâb" donne alors pour chaque carte, la description de la province correspondante: nature, routes, architecture, commerce, moeurs, coutumes et situation politique. 
La localisation de ces provinces est donnée avec des noms de l'époque, dans le tableau suivant (on notera au climat IV section 1 Andalus et non Espagne): 

RUSSIE-UKRAINE 

La zone actuelle de guerre correspond à la province  de climat 7 et de section 5. Les villes de Crimée sont décrites: Kherson, Yalta (Jalita), Partenit (Bartânîtî), Livadia, Alushta, Soldaia, Feodosia-Caffa, Matrega...
Le fleuve Don et ses villes d'embouchure de la mer d'Azov sont également décrits. Dniepr et Dniestr se jettent dans la mer Noire, appelée par Al-Idrissi البحر الزفتي ,Albahr Azziftî (mer de goudron), sans que l'on sache si le goudron est là pour sa couleur ou en relation avec le pétrole. Al-Idrissi décrit l'esprit combatif des habitants de cette zone : "Les populations de ces territoires sont inexpugnables (qu'on ne peut pas vaincre). Elles ont pour coutume constante de ne point se séparer de leurs armes, même un instant, et sont extrêmement belliqueuses (aiment faire la guerre) et intrépides (courageuses-   شجاع ").

LA VOIE KIEV-VLADIMIR, PAR  LE GÉOGRAPHE AL-IDRISSI AU 12ème SIÈCLE.

 Deux historiens polonais, Joachim Lelewel homme politique, ministre de l'Enseignement (1786-1861) et Tadeusz Lewicki, chercheur et arabisant, (1906-1992) ont, l'un après l'autre, exploré le "Nuzhat" pour en dégager la description actualisée de la plus importante artère économique qui reliait Kiev à l'Europe, en passant par Cracovie en Pologne : Voie Kiev-Vladimir.
Le travail de J. Lelewel (Géographie des Arabes) poursuivi par T. Lewicki, a consisté à déchiffrer la partie de l'ouvrage d'Al-Idrissi, qui traite du pays des Slaves. Ces deux historiens ont travaillé sur la base de la traduction de l'arabe en français de cet ouvrage, réalisée par P.A. Jaubert, orientaliste français, en 1840. Voici une partie du texte d'Idrissi qui traite de cette voie:

" Kaw (Kiev), ville sur les bords de ce fleuve (Danabrus-Dniepr)... De là à Berizoula, ville au nord du fleuve, 50 milles. De là à Awsia, petite ville bien peuplée, par terre, 2 journées. De là Barasansa (ou Narasansa), par terre, 2 journées. De là à Loudjag ha, vers le nord, 2 journées. De Loudjagha à Armen, en se dirigeant vers l'occident, 3 faibles journées".

Les difficultés rencontrées par les deux historiens polonais ont été multiples. Ils ont travaillé sur une traduction française, ce qui a introduit déjà quelques différences, quant à la prononciation des noms des villes. En arabe, il n'y a pas d'équivalent pour les lettres v et g. Quand le texte n'est pas vocalisé, ou qu'il manque des points diacritiques, il y a un risque de confusion entre le b ب , le t ت, le th ث et le n ن, par exemple. Pour les distances , il fallait choisir entre le mille arabe (1.878m) et le mille sicilien (1.555 m). Al-Idrissi donne les distances en journées de marche et, quelquefois, en jounées "faibles" et journées "fortes". En tenant compte du terrain en Pologne/Russie du sud, et des expéditions militaires de l'époque (Iziaslaw en 1149/1150), ils en ont conclu qu'une journée de marche ne devrait pas excéder 31,1 km. La traduction d'une journée de marche en kilomètres au départ d'une ville, donne une plus grande chance pour le bon choix de la ville d'arrivée, désignée par le géographe marocain. 
Tous ces travaux de recherche et ces considérations ont fait intervenir des historiens, des géomètres et des traducteurs de la langue arabe. Ils ont permis de révéler l'itinéraire décrit, il y a 9 siècles, par le géographe marocain Mohamed Al-Idrissi: Kiev-Usomierz-Peresopnica-Luck-Vlodzimierz Wolynski,  qui passe ensuite par Cracovie (ancienne capitale) en Pologne pour aboutir en Allemagne et dans le reste de l'Europe.
Cette artère a joué un rôle essentiel dans l'histoire des relations entre l'Europe et la Russie autant dans les échanges économiques en temps de paix, que lors des invasions militaires, en temps de guerre. Et dans les deux sens. 

Ainsi, vers le milieu du 12ème siècle, Mohamed Al-Idrissi présentait à la Cour de Palerme, un ouvrage monumental sur la géographie mondiale. Entre autres lieux, il décrivait une route de commerce (et d'invasion) qui reliait Kiev au reste de l'Europe. Six et huit siècles plus tard deux historiens polonais, patriotes, honnêtes et objectifs ont procédé à des recherches sur la base de cet ouvrage, pour préciser le tracé de cette route et lever le voile sur l'histoire des relations entre le sud de la Russie et le reste de l'Europe.

Il se déroule actuellement une guerre en Ukraine, avec de vraies victimes et de vraies tragédies humaines. En Europe, certains politologues et historiens (métiers qui exigent une certaine objectivité et une grande honnêteté intellectuelle) , qui en commentent le déroulement, confortablement installés dans leur fauteuil sur les plateaux de télévision, en racontent une autre. Car ils font sciemment le tri dans leurs références et ne donnent alors que celles qui correspondent au propre point de vue politique de leurs employeurs.  
                  
Les noms des villes et lieux de la Voie Kiev-Vladimir, écrits de la main d'Al-Idrissi, il y a 9 siècles. 

Abdelmalek Terkemani

Lire sur le même sujet :

"Al-Idrissi, géographe et cartographe marocain, à la croisée des chemins"