vendredi 8 juillet 2022

LES AMOURS ET LES AMBITIONS DU PACHA HAJ THAMI EL GLAOUI À PARIS

Le pacha Haj Thami El Glaoui et Simone Berriau
                  

Après la signature du document instaurant "Le  Protectorat français au Maroc" le 30 mars 1912, il s'était posé la question cruciale suivante : Comment un gouvernement étranger, à travers son armée et ses administrateurs, allait-il  s'y prendre pour diriger un pays dont l'histoire, la religion, les langues et les coutumes sont si différentes des siennes ? La réponse à cette question se trouve dans le document  conservé à la Bibliothèque nationale de France : "L'Officier de renseignements au Maroc"

Ce document a été préparé par le Colonel Henri Berriau, bras droit et tête pensante de Lyautey. Avec un ton militaire et un style plutôt colonial ( il est question de population "indigène", de société "indigène" et jamais il n'est mentionné de population marocaine ou de peuple marocain), ce document analyse la situation au Maroc et propose une stratégie pour administrer ce pays, en cours de conquête. Voici simplement résumée cette stratégie: 

La population "indigène" est divisée en deux catégories bien distinctes : ceux qui ont des pouvoirs et des privilèges (une infime minorité) et ceux qui n'ont rien dans tous les sens du terme (la grande majorité). Après la "pacification"du pays, il faudra donner encore plus de pouvoirs et plus de privilèges à ceux qui en ont déja, avec quelques réformes mineures.  De cette manière, les éléments de la première catégorie (Pachas, Caïds...) assureront l'ordre pour appliquer la politique qui garantit essentiellement les intérêts français. 

C'est ce que l'on a appelé "La politique des grands Caïds". Et c'est exactement ce qui a été appliqué par la suite. Mais, il n'est dit nulle part dans ce document que cette politique s'est traduite dans le terrain par l'oppression de tous les instants des masses marocaines et par le dépouillement des richesses du Maroc. La personnalité-star sinon le modèle parfait dans l'application de cette politique a été le pacha de Marrakech, Haj Thami El Glaoui (1879-1956).

Ce dernier avait déja participé à la "pacification" de la partie sud du Maroc, avec son frère Madani et tenu d'une main de fer toutes ces régions quand la France manquait de bras et était engluée dans la Pemière guerre mondiale. 

Il allait donc appliquer la stratégie du colonel Berriau sur le terrain, tellement à la lettre qu'il va prendre pour commencer comme maîtresse, la femme de ce même colonel, Simone Berriau de 1921 à 1956. 

Cette liaison, bien improbable, qui va durer plus de 35 ans, va fournir un nouvel angle d'analyse de la personnalité et des ambitions politiques de Haj Thami El Glaoui.


Simone Berriau, donc, va publier en 1973 (17 ans après la mort du Glaoui) un livre autobiographique " SIMONE EST COMME ÇA " et s'étendre longuement sur cette liaison. Au moment où ce livre était publié, elle était la propriétaire et la directrice du théâtre Antoine à Paris ( actuellement ce théâtre porte le nom: Antoine-Simone Berriau). Elle devait avoir alors 73 ans et savait, à cet âge, ce qu'il fallait dire et ce qu'il fallait taire dans ce livre. Certains détails sont un peu crus, mais ce livre donne un éclairage nouveau sur la grande puissance et l'ambition devenue démesurée d'un acteur marocain majeur sous la colonisation française au Maroc.


Simone Berriau (née Bossis)  avait 17 ans quand elle arrive au Maroc en 1917, au bras d'un jeune chatelain breton qui cherchait une situation dans ce pays nouvellement colonisé. Le hasard des rencontres lui fit croiser le colonel Berriau. Elle abandonna son compagnon de voyage à Casablanca et choisit de rejoindre Rabat pour se marier avec Berriau qui était le Directeur des "Affaires indigènes". Ce dernier était alors le bras armé de Lyautey, une sorte de ministre de la Guerre et de l'Intérieur, en même temps. Du jour au lendemain, la jeune Simone (c'est elle qui raconte) était devenue à Rabat, la maîtresse d'une immense demeure avec un personnel de maison de 16 domestiques. La vie nocturne alors, dans un milieu militaire, se passait en veillées où il était question de batailles pour la "pacification" de zones insoumises, justement avec le grand concours et l'implication directe du pacha Glaoui.
 

"Pacification" est un mot assez anodin qui revient souvent dans les archives militaires. Il laisse supposer qu'une certaine paix a été instaurée dans une région du Maroc, mais dans les faits, il s'agit de guerres de conquête très meurtières dans lesquelles nos combattants marocains devaient défendre leurs terres, sans les mêmes moyens et avec une grande bravoure, face aux deux puissantes armées coloniales, française et espagnole. Et cette dernière l'a bien appris à ses dépens, lors de la Guerre du Rif (1921-1926), menée sous la conduite du héros mythique du Maroc, Mohammed Ben Abdelkrim Al Khattabi.       

 À LDECOUVERTE DU HAREM DU PACHA

Un jour en 1919, le pacha Glaoui invita à Marrakech les hauts dignitaires militaires français au Maroc, dont M. et Mme Berriau. Ecoutons Simone Berriau raconter ce séjour au palais du Glaoui de la Stinia  الستينية  à Marrakech (ce mot dérive du nom de l'étoile en mosaïque à 60 branches, qui décore les salons du palais). De larges extraits du livre sont donnés ici, car cette rencontre sera décisive dans sa relation de plus de 35 ans avec le Pacha. 

"Le colonel et moi étions les invités du Glaoui qui lui devait d'avoir été nommé Pacha de Marrakech et l'aimait comme un frère. Cet homme svelte et nerveux, à l'esprit vif-argent était ardemment francophile et faisait preuve d'une grande efficacité: c'était un allié d'autant plus précieux que la France, engagée dans la première guerre mondiale, manquait d'hommes pour poursuivre la conquête du Maroc. Nous ne fûmes pas reçus chez le Pacha comme des hôtes officiels, mais comme des membres de la famille. Plantant là le colonel, amusé et peu inquiet, je pénétrai tout de suite dans les appartements les plus secrets du palais, dans ce harem aux moiteurs parfumées, opulent et doré, qui était le royaume interdit des femmes du Glaoui. Elles étaient cinq qui pépiaient autour de moi, ravies de rencontrer pour la première fois cet être étrange et dévoilé qu'est une occidentale, heureuses de découvrir que je comprenais un peu l'arabe et que je le parlais tant bien que mal... Elles vivaient hors du temps, confinées sans le regretter dans leur minuscule et moelleux univers, séparées du monde par des moucharabieh...

J'expliquai à mes nouvelles amies comment vit une occidentale, ce qui était presque séditieux, mais elles m'écoutaient comme une sorte de Shéhérazade: mes histoires leur paraissaient des contes de fée parfaitement irréels. Elles n'avaient aucune envie de se "libérer" et me trouvèrent fort drôle lorsque je leur demandai si elles étaient jalouses. Elles me répondirent que le Pacha tenait à la bonne entente entre elles et ajoutèrent avec un bon sens bien oriental:

-Nous sommes cinq femmes qui vivons ensemble. La vie serait infernale si nous nous jalousions. Quant aux autres, nous n'en tenons pas compte, on n'est pas jalouse des esclaves !

Le Pacha n'avait pas pour habitude de dîner avec ses femmes, mais il vînt les voir ce soir-là, curieux de voir comment je me conduisais et prit le café avec nous. Je l'horrifiai en offrant des cigarettes à ses épouses, mais il consentit, à leur demande, à ce que je passe la nuit au harem. Lorsqu'il partit rejoindre le colonel Berriau, les cinq femmes m'escortèrent jusqu'à une chambre invraisemblable, dans laquelle flottaient les effuves de différents parfums. J'étais impressionnée par le luxe et les soieries qui couvraient le somptueux lit de cuivre, mais plus encore étonnée par les réveils et pendules de toutes sortes dans cette pièce: il y en avait plus d'une douzaine ! 

Les épouses du Pacha ne firent même pas semblant de s'éloigner lorsque je me déshabillai. Elles étaient intriguées par mes vêtements qu'elles voulaient essayer. A cinq heures du matin, mes hôtesses m'entrainèrent au hammam où je manquai d'étouffer. Nous prîmes ensuite le petit déjeuner avec le Glaoui, puis je retrouvai mon mari qui m'attendait...

Quelques mois plus tard, le colonel Berriau allait décéder, suite à une otite mal soignée (une blessure de guerre ?). Lyautey et tous les hauts responsables militaires étaient présents aux funérailles. Le Glaoui avait déposé son burnous sur la tombe du colonel, en disant : 

- Il y en aura toujours la moitié pour sa femme, puisque c'est un frère que j'ai perdu. 

Le pacha m'assurait de son amitié et jurait que je pourrais continuer à vivre dans son pays comme si j'appartenais aux siens."

Le Glaoui avait de la suite dans les idées comme on le verra plus loin. Mais Simone Berriau, enceinte (de Berriau) , regagna la France à bord du bateau qui rappatriait la dépouille de son mari, colonel Berriau.

Elle s'installa à Paris, avec comme seule ressource la pension militaire de son mari. Un jour de 1922, elle allait recevoir un curieux appel téléphonique.

"A Paris, j'eus la surprise de recevoir, un jour, un coup de téléphone du général Nehlil, que j'avais connu au Maroc lorsqu'il était officier-interprète dans le service du colonel Berriau : le pacha de Marrakech venait d'arriver (c'était son premier séjour en France) et voulait me voir. J'acceptais avec joie le principe d'une proche rencontre, mais fus très étonnée de l'insistance du général: il désirait que je l'accompagne immédiatement au Grand Hôtel, où le Glaoui était descendu avec sa suite. Intriguée, je l'autorisais à passer me prendre immédiatement, rue Guénégaud...

Lakhdar, le valet  de chambre noir, nous a ouvert la porte; j'ai été prise dans le tourbillon d'une djellaba, empoignée, embrassée. Ignorant le général Nehlil, dont la raideur masquait l'embarras, le Glaoui me serrait dans ses bras, me faisait une ahurissante déclaration:

- Je suis venu pour toi ! je dois tout à Berriau, c'était mon protecteur et mon frère, je prendrai charge de celle qu'il a laissée. Tu repartiras au Maroc avec moi, je t'épouserai ! 

- C'est Berriau qui m'a  mis sur ta route. J'ai épousé la veuve de mon frère pour ne pas qu'elle reste seule; je t'épouserai aussi...

Servis par les domestiques du Glaoui, des Marocains aux gestes feutrés qui se déplaçaient comme des ombres, nous avons déjeuné dans la "suite", au milieu des gerbes de fleurs qui la transformaient en jardin. Le général Nehlil était impassible, le pacha presque muet: je bavardais à tort et à travers, espérant que notre hôte oublierait de donner suite à son étonnante déclaration. C'était mal connaître ce diable d'homme. Laissant à peine le général terminer son cigare, le Glaoui le congédia sans y mettre trop de formes et me reprit dans ses bras. Je ne désirais aucunement me retrouver dans sa chambre, et pourtant c'est ce qui  arriva."

Vous lisez bien qu'un général français insiste pour accompagner une dame et la laisse dans la suite du Pacha à Paris. Cela fait-il aussi partie des privilèges qu'il fallait accorder au Glaoui pour s'assurer de sa collaboration ?

Seulement voilà, après cette soirée Simone Berriau va découvrir et profiter de l'immense pouvoir financier du pacha et prendre goût à cette liaison.

"Je lui ai fait découvrir Paris: nous partions chaque jour en expédition dans sa Rolls-Royce noire, nous faisions la tournée des grands ducs, sans soucis de l'heure. En fin d'après-midi, nous allions dévaliser les magasins et nous nous attardions souvent dans les parfumeries : le Pacha, qui avait une passion de cocotte pour les parfums, en achetait des litres pour lui, pour moi, pour tous mes amis (je lui avais présenté mes familiers qu'il comblait de cadeaux). Je me demande comment nous faisions pour avoir de si terribles additions dans les restaurants (Grand Vattel, Laperouse), que le Glaoui réglait en laissant d'énormes pourboires."

En fait, le Glaoui ne mettait jamais la main à la poche, il avait toujours à proximité , son secrétaire financier juif Sam Ben Rimoj, pour régler les notes. Et celles-ci devenaient, de plus en plus importantes. 

Car la nature et le volume des cadeaux allaient changer, très rapidement : "J'habitais un nouvel appartement, boulevard Malesherbes; il était immense avec ses quatorze fenêtres et son grand balcon. Mes sorties avec le Glaoui et sa présence dans l'appartement ne passaient pas inaperçues et tout Paris a bientôt été au courant de notre liaison."

Simone Berriau se lançait alors dans une carrière de chanteuse et d'actrice. Le Pacha allait même financer un film dans lequel elle jouait le rôle d'une Marocaine. " Dans ce film, on avait besoin de montrer quelques moutons, en train de brouter devant une tente, le Pacha en fit venir 2.000...!".


Mais surtout, dans les années quarante, au terme d'une carrière au cinéma moyenne, Simone Berriau fit l'acquisition, naturellement avec l'assistance financière de Haj Thami, du Théâtre Antoine à Paris ! Et c'est l'un des grands quiproquos de théâtre qui se puissent imaginer: C'est dans ce théâtre parisien acheté par un Pacha féodal marocain pour sa maîtresse française, que Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe  emblématique de la gauche française, venait faire jouer ses pièces de théâtre sur l'existentialisme...

Bon là au moins, quand les Marocains de Paris ou d'ailleurs, passeront devant ce théâtre, sis au 14 boulevard de Strasbourg (Paris 10ème), ils sauront qu'il y a de l'argent marocain qui a été englouti dedans et sans retour, il y a plus de 80 ans!

 La liaison entre le Glaoui et Simone Berriau n'avait pas résisté au temps, mais sans rupture. Lors de ses fréquents passages à Paris, le Glaoui préférait s'installer dans une suite du Claridge, pour sa proximité avec le Lido, car dit-elle, il y appréciait beaucoup les spectacles de nu. Simone de son côté, allait se remarier à deux reprises avec André Wolff un musicien, ensuite avec Yves Mirande, un scénariste. Mais elle continuait de passer, régulièrement, ses vacances à Marrakech avec ses maris, en étant reçue par son amant ! Et la meilleure (c'est toujours elle qui raconte) c'est que le Glaoui pris de sympathie pour  Mirande, souvent désargenté, lui avait assuré, en cachette, une rente. Un grand coeur !

Malheureusement, la population de Marrakech qui vivait dans une misère noire et sous le joug d'un pouvoir moyenâgeux à cette époque, n'avait pas été secourue par l'immense générosité de ce grand coeur!

COMPLOT ET EPILOGUE 

Après la 2ème Guerre mondiale, les choses au Maroc vont changer de fond en comble: Le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef a été partie prenante dans la grande Conférence d'Anfa (14-24/1/1943)  et avait engagé notre pays à fond avec les Alliés. Mais le sacrifice de milliers de soldats marocains dans cette guerre pour la libération de l'Europe et de la France, en particulier, n'avait rien modifié à la politique française au Maroc. Le discours de Mohammed Ben Youssef à Tanger en 1947, devait être alors le premier acte solennel de la lutte pour l'Indépendance de notre pays, après la signature du Manifeste de l'Indépendance (11 janvier 1944).

Depuis ce discours, les deux Résidents généraux français militaires (Juin, Guillaume) qui étaient nommés, avaient pour mission principale et prioritaire d'organiser la déposition du Sultan Mohammed Ben Youssef. Et le fomenteur principal de ce complot était le pacha Glaoui. Car, naturellement, l'Indépendance du Maroc signifiait la fin de son monde à lui.  

Au début des années cinquante, la vie parisienne du Glaoui était alors très intense. A Paris, chez Simone Berriau (chez lui donc), il recevait des généraux, des hommes politiques, des hommes d'affaires, des intellectuels qui avaient en vue de perpétuer la colonisation au Maroc. La présence de ce beau monde autour de lui, nourrissait l'ambition du Pacha, devenue de plus en plus démesurée. En même temps au Maroc, il organisait l'éloignement du Sultan et de sa famille, en magouillant avec certains Oulémas et d'autres comploteurs, mais à sa manière propre et certainement pour son propre compte. Car alors pourquoi prendrait-il tous ces risques, ferait-il tous ces efforts, avec le soutien de ses "Amis" de Paris et de Rabat si ce n'est pas pour en récolter le bénéfice lui-même et donc devenir, peut être, roi du Maroc ! 

Un événement va donner plus de sens à ce qui est plus qu'une hypothèse : c'est le couronnement de l'actuelle Reine Elisabeth II d'Angleterre, en 1953 !! 

Cette année 1953, à marquer d'une pierre noire dans l'histoire du Maroc, le conflit entre Mohammed Ben Youssef et le résident général Guillaume est à son comble, à cause du rapprochement entre le Sultan et le Mouvement national marocain. Et pendant ce temps, le Glaoui avait pris  fait et cause, ouvertement, contre le Sultan et savait que la déposition du Sultan était dans les plans, puisqu'il y travaillait lui-même.  

En mai 1953, une rumeur (qui en est à l'origine ?) circula pour indiquer que le Glaoui se rendrait en Angleterre. Winston Churchill, Premier ministre britannique et "ami" du Glaoui, pris au dépourvu par cette nouvelle, s'était alors senti obligé de l'inviter au couronnement de la Reine qui devait avoir lieu le 2 juin 1953, comme par hasard ! Voici cette invitation datée du 4/5/1953 ( extraite du livre de Abdessadeq El Glaoui, "Le ralliement-Le Glaoui, mon père"): 

 My dear Glaoui,

J'ai compris que vous alliez vous trouver en Angleterre cet été au moment du couronnement. Si c'est vraiment le cas, je serais heureux, si cela vous intéresse de voir la procession royale du 2 juin [1953], que vous soyez mon invité personnel. J'espère que vous serez en mesure d'accepter cette invitation et dans tous les cas, je suis impatient de vous voir quand vous serez dans ce pays.

                                                              Winston S. Churchill  

      Ce qu'il faut noter ici c'est qu'il est question d'un "invité personnel" et non officiel.  Winston Churchill, en vieux politicien, voulait s'épargner des problèmes et il avait raison. Car dans l'événement principal qui était le couronnement de la Reine Elisabeth II, il y avait un autre événement qui était la présence inopportune du Glaoui !  Ce dernier, en effet, était arrivé à Londres, avec des cadeaux "royaux" à l'intention de la Reine et du Prince  Philip. Abdessadeq El Glaoui en fait la description dans son livre: "une tiare d'or sertie d'une douzaine d'émeraudes, grosses comme des oeufs de pigeons et de brillants pour la Reine, et pour le prince Philip, une dague marocaine gainée d'or et sertie de pierreries".

Le plus embarrassé dans cette histoire est Churchill, car la Reine lui a fait dire  qu'elle et le prince Philip n'acceptent que les cadeaux des seuls chefs d'Etat ! C'est seulement après ce reproche que lui-même découvre cette histoire de cadeaux. C'est donc lui qui devait adresser une lettre au Glaoui, qui est un modèle de message diplomatique, pour qu'il ramène ses cadeaux avec lui : on vous remercie, mais la Reine ne peut accepter que des cadeaux de chefs d'Etat, et sous entendu, vous ne l'êtes pas encore... 

Il y a donc cette tentative, pour une première reconnaissance, qui a été un fiasco retentissant, en juin 1953. Il est presque sûr que la Résidence générale était au courant et, certainement, était même l'instigatrice de cette action. Mais comme dit le dicton marocain, " Ce à quoi pense le chameau, les chameliers y ont pensé aussi"   اللى فراس الجمل فراس الجماله

L'ambition du Glaoui d'aller encore plus haut s'était arrêtée net à Londres. Par la suite, le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef a été exilé le 20 aout 1953 (le jour de l'Aïd Al Adha), et c'est Ben Arafa qui a été désigné sultan éphémère, non reconnu par l'Etat marocain (21/8/1953-1/10/1955), dans un Maroc en ébullition.

En novembre 1955, au retour triomphal, au terme d'un exil en Corse et à Madagascar, le Roi Mohammed V fait un passage par Paris, pour officialiser les Accords de l'Indépendance du Maroc. Et là à Saint Germain-en-Laye, c'est Haj Thami El Glaoui, le premier parmi les visiteurs, qui vient se prosterner devant le Souverain pour demander le pardon royal. 

En s'inclinant devant le roi Mohammed V, il prononça quelques mots, en guise de défense : Ils m'ont trahi !  غضرونى . 

Comme les jeunes de ma génération, j'ai vécu ces moments uniques d'une immense ferveur populaire au Maroc. Cette scène était projetée, en novembre 1955, sur les écrans de cinéma avant les films, à Marrakech et dans les autres villes marocaines. Des quatre coins de la salle de cinéma, fusaient les عاش الملك محمد الخامس "Vive le roi Mohammed Al Khamis", dans l'allégresse générale. Les temps avaient vraiment changé, car seulement quelques jours auparavant, le Marocain qui disait cette phrase en public était passible, au minimum, de prison immédiate, dans des conditions dégradantes.  

Le Pacha El Glaoui demande pardon au Roi Mohammed V


Abdelmalek Terkemani

    Documents de référence:

"L'officier de renseignements au Maroc" Henri Berriau

"Simone est comme ça", Simone Berriau

"Le ralliement-le Glaoui, mon père", Abdessadeq El Glaoui