samedi 28 novembre 2020

RESTAURATION D'UN VIEUX CADRAN SOLAIRE DE CASABLANCA

 


 

L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Ce cadran solaire se trouve au n° 111 de la rue Al Araar (العرعار),  dans le quartier de Mers Sultan, derrière la Préfecture de Casablanca.

Il est dessiné sur un mur,  donc vertical. Les lettres de la devise sont faites en fer forgé et les chiffres sont romains. La tige (style) dont l'ombre indique l'heure, est scellée dans le mur et soutenue par deux pattes en fer forgé. Ces dernières sont soudées à la tige et scellées dans le mur, de manière symétrique par rapport à la ligne horaire du midi, pour assurer la fixation de la tige et sa stabilité.

Il n’y a pas de date sous ce cadran, mais des habitants de cette rue m’ont assuré que dans les années 40, il y était déjà. A cette époque, le quartier Mers Sultan était en construction et la vue était suffisamment dégagée pour que ce cadran soit exposé au soleil.  

On peut seulement dire avec certitude que l’actuelle rue Al Araar s’appelait rue Gay Lussac. Ce dernier était un savant physicien et chimiste (1778-1850, travaux sur les gaz). Il y avait donc une certaine logique avec la présence de ce cadran solaire, objet scientifique, dans cette rue. Lors du changement du nom de la rue, il y a quelques années, et pour  garder cette cohérence, on aurait dû choisir le nom d’un savant astronome marocain, au lieu du genévrier, arbre d’ailleurs inexistant dans cette rue et à Casablanca. Malheureusement, tant au niveau local que gouvernemental au Maroc, les savants marocains n’ont aucune existence ni dans les musées marocains ni dans les programmes d’enseignement primaire, secondaire et universitaire. Et donc comme on peut le constater, l’absence de nos savants s’étend également à l’espace public marocain. Pour certains responsables, le grand "courage" politique  est de ne jamais parler des savants marocains. Donner le nom d’un arbre à cette rue, les dispense de montrer aux Marocains qu’ils ont eu des savants dans leur Histoire. Quand on parle de choses qui cachent la vérité aux gens, on dit « l’arbre qui cache la forêt », nous y sommes en plein ! 

COMMENT CE CADRAN SOLAIRE A-T-IL ÉTÉ CONSTRUIT ?

Il y a quelques cadrans solaires prestigieux au Maroc qui donnaient les heures de prière aux fidèles. On peut citer ceux de la mosquée Al Karaouyyines à Fès, du mausolée Sidi Belabbas Sebti à Marrakech, du mausolée Moulay Ismaïl à Mèknès, de la mosquée Mohammadi des Habous à Casablanca...Il est certain qu'il y a eu de nombreux cadrans solaires par le passé, au Maroc, seulement quand les murs sont détruits ou s'écroulent, ces cadrans disparaîssent aussi. 

Le principe pour la construction de ces cadrans solaires muraux est le même : Une tige est plantée dans le mur et son ombre au soleil, projetée sur ce mur va tourner, du lever au coucher du soleil. Des lignes horaires vont donner l'heure (solaire) dans la journée. Les deux problèmes à résoudre dans la construction d’un tel cadran solaire sont :

1.    Trouver l’orientation de la tige et donc l’angle qu’elle fait avec le plan du mur

2.    Trouver l’angle que fait chaque ligne horaire avec celle du midi, c'est-à-dire avec la trace  du plan méridien qui contient la tige.

Comme je l’ai indiqué dans d’autres documents, pour un cadran solaire la tige n’est pas orientée de manière quelconque. Pour réaliser un cadran solaire fiable et permanent, quel que soit le lieu sur le globe terrestre, il faut que la tige soit parallèle à l’axe des pôles Nord-Sud. De cette manière, chaque  jour le cadran présentera la même face au soleil.      

Positionnement du cadran solaire à Casablanca


Considérons notre cadran de la rue Al Araar.  Imaginons une plaque horizontale sous le cadran, donc perpendiculaire au mur. La tige perce cette plaque au point A. On voit donc que nous obtenons un deuxième cadran solaire, horizontal cette fois-ci. La tige projette son ombre sur les deux plans. Elle doit faire un angle de 33°, latitude de Casablanca, avec le plan horizontal.  La tige fait donc un angle de  90°- 33° =  57° avec un mur orienté est-ouest.[ La position optimale du mur serait qu'il soit orienté est-ouest. Ce n'est pas le cas ici]. 

Pour trouver les angles horaires, il faut faire le raisonnement inverse : donc construire d’abord un cadran solaire horizontal et le positionner perpendiculairement au mur vertical. Il faut s’assurer que la ligne horaire du midi soit confondue avec la direction nord-sud, méridien du lieu. Dans cette position, la tige est la même pour les deux cadrans. Les lignes horaires du cadran horizontal coupent le mur aux points qui se trouvent sur les lignes horaires du cadran vertical. On pourra donc construire une maquette de ce cadran solaire sur une table avant de le reproduire sur le mur. Il faut mesurer l’angle que fait le mur de la rue El Araar avec la direction est-ouest et placer la plaque verticale avec cet angle. Le mur de la rue El Araar n’est pas orienté est-ouest et pour cette raison, les lignes horaires ne doivent pas être symétriques par rapport à la ligne horaire du midi.

Construction d'un cadran solaire vertical 


Pour la construction d’un cadran solaire horizontal à Casablanca, voir l’article "Comment construire des cadrans solaires au Maroc"

https://marocitineraires.blogspot.com/2017/12/comment-construire-des-cadrans-solaires.html

Pour Casablanca, la tige doit être inclinée de 33°, latitude de la ville, sur la plaque horizontale du cadran. Les angles horaires entre la ligne du midi et les heures 11, 10 et 9 heures du matin (symétriques de 1, 2 et 3 heures de l’après midi) sont les suivants :

 

Heures

     Midi

  11-1heure

10-2 heures

9 - 3 heures

Angle

0

18°

29°


  Non scribo horas nisi serenas

Dans la tradition des cadrans solaires, il est courant d’ajouter sous le cadran une devise  sur le temps qui passe. Ici, cette devise est écrite en latin : Non scribo horas nisi serenas. Sa traduction littérale est : Je n’écris que les heures lumineuses.

C’est le calendrier qui parle ! Il faut comprendre par cette phrase, « je ne marque que les heures ensoleillées ». Evidemment, ce cadran ne fonctionne qu'avec le soleil et non la nuit ou par temps couvert.  

Il faut savoir que les Anciens laissaient quelques énigmes derrière leurs écrits. Dans cette phrase, il y a le sens d’heures ensoleillées qui signifient heures heureuses. La devise latine que l'on retrouve le plus souvent sur les cadrans solaires est CARPE DIEM qui veut dire : Profite de ce jour ou encore du temps présent. On retrouve donc cette idée dans ce cadran solaire de Casablanca: Je ne marque que les heures heureuses, sous entendu dont il faut profiter. Ce qui est un bon conseil, même par ces temps tristes de pandémie chez nous et dans le monde... 

RESTAURATION DE CE CADRAN SOLAIRE

Cet ancien  cadran solaire se trouve dans un état déplorable. Le mur est sali par les dépôts de fumée et de poussière, un mot de la devise a disparu et des bouts de fils téléphoniques sont encore fixés sur des pièces de ce cadran solaire. La restauration consistera à :

·       Nettoyer et repeindre le mur

·       Repeindre en noir les lettres de la devise

·       Reconstituer le mot manquant de la devise : « Serenas »

·       Consolider la tige

On peut également éclairer les passants et les visiteurs, en ajoutant en bas de ce cadran solaire la traduction de la devise :

أعطي فقط الساعات السعيدة

Je ne marque  que les heures heureuses

Il était important d'expliquer le sens de cette phrase pour que nous (et nos responsables surtout) sachions ce qui est écrit sur nos murs. Il sera temps alors pour que les instances concernées ( Région de Casablanca, Ministère de la Culture...) traitent ces objets, comme doit l'être le patrimoine de Casablanca et du Maroc, avec respect et dignité. 

Abdelmalek  Terkemani






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jeudi 10 septembre 2020

AL-ANDALOUS ET LE "PATRIMOINE MONDIAL" EN ESPAGNE: RETOUR SUR DES TRAGÉDIES OUBLIÉES...


Monument à Antequera (Andalousie): Famille musulmane expulsée d'Antequera, en 1410, après un siège de plusieurs mois de l'Alcazaba.                                           Oeuvre de Jésus Gavira Alba, Octobre 2010

Ce monument rappelle, qu'entre le 14ème siècle et 1609, environ un million de Musulmans ont été expulsés d'Espagne. Cette famille musulmane, jetée sur les routes de l'exil et des privations, va se réfugier à Grenade d'abord, avant d'être expulsée définitivement d'Espagne. L'homme tient dans sa main droite la clé de la maison familiale, qu'il ne reverra plus jamais; il voit au loin les sommets de la sierra Nevada qui vont leur indiquer le chemin de Grenade. La femme protège leurs enfants, en les enveloppant avec son corps. Six siècles plus tard, la ville et les monuments  que cette famille a contribué à édifier et qu'elle a été forcée de quitter, vont être déclarés "patrimoine mondial" de l'humanité. Sans évocation des siècles de souffrance que vont subir cette famille et sa descendance...


À L’ORIGINE DU PATRIMOINE MONDIAL…

Le  patrimoine mondial ou certaines fois le patrimoine mondial de l'humanité,  est un ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité.
Dans les années soixante du siècle dernier, le temple d’Abou Simbel, en Egypte, allait être englouti définitivement,  en raison de la construction programmée du Haut barrage d’Assouan (السد العالي). L’Unesco (organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture)  avait lancé alors une campagne mondiale pour le sauvetage de ce temple. Au cours de travaux réellement pharaoniques (1962-1968), ce temple a été découpé bloc par bloc (1305 blocs dont certains atteignaient trente tonnes) et l’ensemble  de ces  monuments ont été remontés 64 mètres au dessus de leur emplacement initial. Depuis ce sauvetage impressionnant des eaux du Nil, ce temple a été visité et admiré  par des millions de touristes. Il continue d’être l’un des témoins fidèles de l’une des plus grandes et des plus anciennes civilisations dans l’Histoire humaine.

 Cette opération et d’autres,  allaient attirer l’attention du monde entier sur l’importance  de préserver le patrimoine légué à l’humanité et, par la suite, donner naissance au concept de « Patrimoine mondial ».   
Ce dernier fait l’objet d’un traité international, intitulé « Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel », adopté en 1972 par tous les pays membres de l’Unesco.

« Le patrimoine est l'héritage du passé dont nous profitons aujourd'hui et que nous transmettons aux générations à venir. Nos patrimoines culturel et naturel sont deux sources irremplaçables de vie et d'inspiration. »
— Extrait de la convention de 1972.

Après la création du Comité du patrimoine mondial et l’adoption de 10 critères de sélection, les premiers sites ont été inscrits en 1978.  
A ce jour, la liste des sites,  inscrits comme patrimoine mondial culturel, compte 1121 biens répartis dans les cinq continents. Ce sont l’Italie et la Chine, les pays  qui en possèdent le plus grand nombre (55), suivies par l’Espagne (48), l’Allemagne (46), la France (45)…  Voici, à titre d’indication, les 9 sites marocains inscrits au patrimoine mondial :

1981- Médina de Fès
1985- Médina de Marrakech
1987- Ksar d’Aït-Ben-Haddou
1996- Ville historique de Meknès
1997- Site archéologique de Volubilis
1997- Médina de Tétouan (ancienne Titawin)
2001- Médina d’Essaouira (ancienne Mogador)
2004- Ville portugaise de Mazagan (El Jadida)
2012- Rabat capitale moderne et ville historique : un patrimoine en partage

Les sites inscrits au patrimoine mondial font généralement l'objet d'une exploitation touristique très poussée, mettant en avant cette reconnaissance. Le succès du concept de  patrimoine mondial  a été considérable, dès les premières années, et a dépassé largement les attentes de l’Unesco et les espérances des pays lieux des sites inscrits. Dans la majorité des cas, l'inscription d’un site sur la liste du Patrimoine mondial et la publicité faite autour ont donné lieu à une multiplication par  2 à 5 fois le nombre de visiteurs,  dans les mois qui suivent. Les pays comme l’Espagne, la Grèce, l’Egypte, l’Italie ont articulé une partie importante de leur politique touristique autour de leurs sites inscrits au Patrimoine mondial.

 11 SITES DU « PATRIMOINE MONDIAL » EN ESPAGNE, ASSOCIÉS À AL-ANDALOUS.

En 2019 (dans le monde d'avant le Covid-19), l'Espagne comptait 48 sites inscrits au patrimoine mondial, dont 42 culturels, 4 naturels et 2 mixtes. Sur les 42 sites culturels, 11 sites inscrits au patrimoine mondial sont directement associés à Al-Andalous, Espagne musulmane, compte tenu de leur histoire et des monuments qui y sont édifiés.
Le tableau 1 donne la liste de ces 11 sites, par ordre chronologique d’inscription au patrimoine mondial. Les cases « archives » indiquent les liens aux documents officiels (publics) présentés par le gouvernement d’Espagne à l’Unesco, pour la candidature de ces sites à leur inscription. La carte 1 donne l’emplacement de ces sites sur le territoire espagnol.



Ville/Site  
Patrimoine mondial 



Communauté
autonome


Date Inscription


Archives

1. GRENADE

Andalousie

1984


2. CORDOUE

Andalousie

1984


3. SÉGOVIE

Castille-et- León


1985


4. TOLÈDE
Castille-la Manche

1986


5. CÁCERES

Estrémadure



1986

6.ARCHITECTURE MUDÉJARE D'ARAGON

Aragon

1986


7. SÉVILLE

Andalousie

1987


8. MÉRIDA

Estrémadure

1993


9. CUENCA

Castille-la Manche

1997


10. ELCHE

Communauté
valencienne

2000


11.MADINAT AZZAHRA 

Andalousie

2018

Tableau 1: sites du patrimoine mondial, rattachés à Al-Andalous


Carte 1: Situation géographique des sites-patrimoine mondial rattachés à Al-Andalous

J’ai lu toute cette documentation et analysé les critères et les procédures d’inscription sur la liste du patrimoine mondial. J’ai eu, par le passé, l’opportunité de visiter tous ces sites, dont certains de nombreuses fois, (sauf Cuenca). J’ai eu également l’occasion de parler de certains de ces sites dans quelques articles et de recueillir des dizaines de commentaires sur ce sujet. L’impression générale est que le monde musulman est honoré et fier de savoir que les monuments et empreintes d’Al-Andalous sont considérés comme un patrimoine mondial de toute l’humanité. On se félicite de leur existence et qu’ils continuent d’être le reflet de la splendeur d’Al-Andalous, Espagne musulmane. Seulement, il reste de grands regrets, de grandes frustrations et le sentiment d'une grande injustice, qui résultent de la manière et de la forme avec lesquelles ces sites ont été présentés au patrimoine mondial : Car le voile n’a pas été levé sur les grandes tragédies qui avaient suivi l’édification de ces sites, et qui ont été vécues par ceux qui les avaient édifiés, ainsi que par leurs descendants.

IMPRESSIONS DE LECTURE

La lecture de ces archives est réellement édifiante et traduit véritablement l’esprit dans lequel les candidatures de ces 11 sites avaient été exposées à l’Unesco : la description de cette grande Mosquée de Cordoue, de ces villes, de ces palais, de ces bibliothèques, de ces Alcazars, de ces Alcazabas, de ces remparts, de cette Palmeraie d’Elche, de ces Aljibes, de ces bassins et vasques d’eau, de ces jardins paradisiaques, de ces réseaux complexes d’irrigation, est rigoureusement limitée aux aspects artistique et technique. L’élément historique humain est pratiquement inexistant. Tout au long de ces présentations, les  choses sont exposées comme si ceux qui avaient édifié ces merveilles s’étaient évaporés dans le ciel d’Espagne, après huit siècles de présence dans ce pays, sans laisser de descendance ou de traces autres que ces monuments. Tout est présenté comme si, après l’édification de ces monuments, les choses s’étaient déroulées dans le meilleur des mondes possibles. 
Par exemple, le mot "Morisque" (de Moriscos, Musulmans ou d'origine musulmane, expulsés d'Espagne)  n’est écrit nulle part, et pour cause, car il traduit à lui seul l’immense tragédie humaine des descendants de ceux qui avaient laissé ces héritages. Rien sur les conversions forcées. Rien sur les jugements iniques des tribunaux de l’Inquisition. Rien sur les opérations génocidaires (Alpujarras). Rien sur les expulsions ethniques, en particulier de  1492 et 1609, et entre ces deux dates, dans des conditions inhumaines ayant visé les Musulmans et les Juifs. Et rien sur ceux que l’on n’a pas pu expulser et qui ont été réduits pratiquement en quasi-esclaves.  

Si l’on s’est félicité, dans leur description, que ces monuments-patrimoines de l’humanité étaient édifiés dans un environnement de grande tolérance religieuse entre Chrétiens, Musulmans et Juifs, il n’est dit nulle part que ce sont, précisément, leurs origines ethniques musulmane et juive qui ont été retenues, pour  procéder  au déracinement des Musulmans et des Juifs.

On va objecter que le cadre et les critères retenus du « Patrimoine mondial »  n’autorisent pas de telles digressions ! Mais comment ne pas faire ici seulement une allusion à ces événements ? Et quel est le meilleur endroit pour parler, même brièvement, des tragédies vécues par cette Communauté sinon, précisément, là où l’on parle de son propre héritage laissé à l’humanité ?
Si l’humanité doit être le bénéficiaire de cet héritage, elle est en droit de connaître la destinée de ceux qui le lui avaient laissé et de leurs descendants. Le legs d’un héritage a ses lois, ses règles et ses traditions qu’il faut respecter. Même, et surtout, plusieurs siècles plus tard.

Il faut bien reconnaitre qu’il y a une volonté de garder le silence sur ce qu’ont subi ceux qui avaient édifié ces sites rattachés à Al-Andalous. Et d’ailleurs, le même silence sur les tragédies vécues par cette Communauté,  se remarque de nos jours, dans les documents et les prospectus distribués aux touristes et visiteurs de ces monuments.  
 Il est vrai que de nombreux sites, inscrits sur la liste du patrimoine mondial,  ont été édifiés sous des civilisations venues d’ailleurs et, dans ce cas, l’on s’était limité à leur description artistique et technique. Pour rester en Espagne, il y a des sites qui sont l’œuvre de civilisations grecque (Ensemble archéologique d’Empúries) ou romaine (Ensemble archéologique de Tarragone, aqueduc de Ségovie…), seulement voilà : Ni les Grecs, ni les Romains n’avaient subi les affres des expulsions ethniques.

LE « PATRIMOINE MONDIAL », UNE OPPORTUNITÉ DE RÉHABILITATION .

Comme on le voit, cette opération « patrimoine mondial» en Espagne, directement associée à Al-Andalous, attire des touristes dont le nombre total,  pour toute l'Espagne, a atteint un record de 83,7 millions, en 2019. En même temps, à travers les documents et les archives présentés pour cette reconnaissance, elle exclut totalement ceux qui avaient édifié ces monuments et leurs descendants de tout bénéfice moral ou de droit de mémoire. On aurait espéré que ce  patrimoine mondial,  sous l’égide des Nations Unies et de l’Unesco soit une fenêtre ouverte et le point de départ vers une réhabilitation des Morisques, au lieu de faire oublier l’existence et les espérances d’une Communauté déjà suffisamment meurtrie, dans son Histoire.

Les textes, y compris ceux de l’Unesco, ne sont pas gravés dans le marbre. Ils sont faits pour s’adapter aux exigences du temps présent qui sont la transparence, la vérité et la justice.
Au moins un autre critère pour la désignation de ces 11 sites, devrait être inclus dans les textes, sous forme de recommandations et d’incitation pour une reconnaissance de l'injustice faite à ceux qui avaient édifié ces merveilles et  pour permettre la nécessaire réhabilitation de leurs descendants.     
 Ce qui a été adopté au 20ème siècle peut et doit être amendé au 21ème siècle, pour tenir compte de certains oublis flagrants et source permanente de grands malentendus et de graves préjudices séculaires.
 Le patrimoine mondial  devrait offrir une opportunité unique de rendre justice aux édificateurs de ces 11 sites-patrimoine mondial de l’humanité et à leurs descendants. Le rôle de l’Unesco, organisation des Nations Unies, initiatrice du concept de patrimoine mondial, sera central et essentiel. Cette approche viendra renforcer et se joindre aux voix, y compris de partis politiques espagnols, qui s’élèvent de plus en plus pour réclamer au gouvernement espagnol une « Reconnaissance de l’injustice faite aux Morisques expulsés par l’Espagne ». C’est un premier pas vers une réhabilitation nécessaire…

Dans l’espoir d’une prise en considération de ses attentes, la Communauté morisque, reste mobilisée avec le soutien de toutes les parties éprises de paix et de justice, pour obtenir les réparations des préjudices subis et pour ses droits légitimes de mémoire.

Mosquée de Cordoue: un des 11 sites-patrimoine mondial, associé à Al-Andalous et inscrit en 1984.


Abdelmalek  Terkemani
Expert et chercheur


Pour en savoir plus sur la liste du patrimoine mondial: Voir le site de l'Unesco,  https://whc.unesco.org/fr/list/ 

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mercredi 12 août 2020

CADRAN SOLAIRE ÉQUATORIAL À CASABLANCA


DES OBJETS DU PATRIMOINE DE CASABLANCA À CONNAITRE ET À RESTAURER

Cadran solaire en face de la grande Poste de Casablanca


Ce cadran solaire, ou seulement la plaque qui en reste, se trouve en face de la grande Poste de Casablanca, dans le jardin créé à coté de l’ancien théâtre de Casablanca. Il est posé sur une colonne qui porte la date de 1914-1915, à titre de décoration et ne fonctionne plus. 
C'est un Ami, Si Abdellah Naguib, administrateur de la page Facebook "CASABLANCA-DAR EL BAIDA" et infatigable défenseur de la mémoire et du patrimoine de Casablanca, qui a attiré mon attention sur la situation déplorable de quelques cadrans solaires anciens de cette ville. Ce document se propose de redonner vie à l'un d'eux et de le faire connaitre à travers l’histoire, la conception et le fonctionnement du cadran solaire. Dans l’espoir qu’une action énergique de restauration des cadrans solaires de Casablanca, soit lancée pour la sauvegarde de ces précieux objets qui font partie du patrimoine casablancais et dont la conception avait fait appel aux sciences musulmanes. Ce type de cadran solaire est dit équatorial; cela sonne un peu exotique, mais c’est le nom scientifique qui lui est attribué, du fait de la particularité de sa plaque qui lui donne quelques avantages: le plan de cette plaque est parallèle au plan équatorial de la Terre.  

Disposition du cadran solaire de Casblanca par rapport à l'équateur


BRÈVE HISTOIRE DU CADRAN SOLAIRE

On s’était aperçu, depuis des temps immémoriaux, que l’ombre au soleil d’un arbre ou d’une arête d’un mur, tourne autour de sa base, au cours d’une journée et peut donc,  selon sa direction, indiquer l’heure dans la journée. Une tige  « correctement » plantée dans une plaque, en notant les heures sur cette plaque, donne la mesure du temps qui passe. L’idéal serait que cette plaque, avec les heures ainsi indiquées, puisse servir tous les jours,  toute l’année et en toute saison, de la même manière. Le « correctement » veut dire une bonne orientation de la tige, une bonne orientation de la plaque, et une bonne position de l’une par rapport à l’autre. Ces recherches d’orientation  ont nécessité des siècles de tâtonnements. C’est seulement entre le 13ème et le 14ème siècle que les savants musulmans avaient proposé, scientifiquement, une orientation correcte et logique de la tige ou style, parallèle à l’axe des pôles Nord – Sud. Depuis, cette orientation a été adoptée à travers le monde. C’est pour cette raison que l’on voit des tiges inclinées sur les plaques horizontales ou verticales de cadrans solaires classiques. Le cadran solaire est considéré comme le plus vieil instrument scientifique créé par l’homme.

Mais pourquoi donc les savants musulmans ?

Parce que dans la tradition musulmane, les heures de prière sont déterminées par la position du soleil dans le ciel, et donc les savants astronomes musulmans ont été les plus impliqués dans les recherches au niveau des instruments de la mesure du temps et de l’orientation (des mosquées et des cimetières) comme le cadran solaire et l’astrolabe.

CONCEPTION DU CADRAN SOLAIRE ÉQUATORIAL

Le style (tige) parallèle à l’axe des pôles est dit style polaire car il est orienté vers l’étoile polaire. Un cadran solaire qui a un tel style présentera chaque jour de l’année la même face au soleil, quelle que soit la position de la Terre sur son orbite. 


Figure 1:Orientation de la tige et des plaques du cadran solaire


Proposons-nous de construire un cadran solaire à Casablanca. Sur la figure 1, on positionne la ville sur le globe terrestre avec sa latitude de 33°. Si l’on projette de construire un cadran solaire horizontal, la plaque de ce cadran correspond à la tangente ( en bleu) au globe. Comme il est dit plus haut, pour une utilisation permanente du cadran, la tige doit être parallèle à l’axe des pôles Sud-Nord. Dans ce cas, par une comparaison d’angles, on constate que l’angle au centre du globe, c'est-à-dire la latitude de Casablanca, est égal à l’angle que fait la tige avec la plaque horizontale. Ce sera la règle dans n’importe quel point du globe : pour tout cadran solaire horizontal, la tige doit faire avec la plaque un angle égal à la latitude du lieu. Par exemple, pour Dakar ce sera 15° ; pour Marrakech, 31° ; pour Casa, 33°; pour Paris, 49° et pour Stockholm, 60°.
Cadran solaire horizontal pour
Marrakech (
 construit par A. Terkemani)                     
Sur ce type de cadran, on remarque que les lignes horaires sont symétriques par rapport à la ligne horaire du midi et qu’elles ne sont pas équidistantes, comme on le voit sur un cadran solaire horizontal de Marrakech.  

Maintenant, imaginons sur la même figure 1, une plaque (en rouge) qui soit perpendiculaire à la tige. Cette plaque serait alors parallèle au plan de l’équateur et ce cadran solaire ainsi formé est appelé cadran solaire équatorial.
En un jour, ce cadran fera un tour complet autour de l’axe des pôles, comme le globe terrestre lui-même, à la même vitesse. Les rayons solaires feront avec cette plaque un angle constant pendant ce jour, donc durant 24 heures. Pendant ce temps, l’ombre de la tige, aura la même longueur et tournera à la même vitesse de rotation que la Terre. Elle tournera dans le même sens que les aiguilles de nos montres !
Dans ces conditions, en une heure l’ombre de la tige aura tourné de :
360° :  24   =   15°
Au cours de la journée, les lignes horaires sont toutes équidistantes de 15°. C’est le cas du cadran solaire équatorial de la grande Poste Casablanca.
La figure 2 donne ce cadran solaire redessiné avec des chiffres arabes au lieu de chiffres romains. La tige a été ajoutée.

Figure 2 : Cadran solaire de Casablanca redessiné avec des chiffres arabes
Photo du cadran, prise de côté  



La figure 3 donne une vue de côté de ce cadran solaire. La tige a été ajoutée et fait un angle de 33°, latitude de Casablanca, avec le plan horizontal. La plaque du cadran fait un angle de 57° (90°- latitude de Casablanca) avec le plan horizontal.
Figure 3 : Vue de côté . Cadran solaire de Casablanca


Ce type de cadran solaire a plusieurs avantages :
  •          Les lignes horaires consécutives font entre elles un angle de 15°. Ce qui facilite le traçage de ces lignes en partant de celle de midi qui est confondue avec le méridien du lieu.
  •         Ce type de cadran peut fonctionner dans n’importe point du globe. La plaque de ce cadran peut fonctionner dans d’autres villes, de latitude différente, si on l’oriente vers le nord et qu’on l’incline sur le plan horizontal d’un angle égal à 90° -  latitude du lieu.  Donc le cadran de Casablanca fonctionnera : A Dakar  avec une inclinaison de 75°,  à Marrakech ce sera 59°, à Paris  41°, à Stockholm   30°.

Et théoriquement, car les rayons solaires n’y arrivent pas, ce même cadran solaire de Casablanca, fonctionnerait aux pôles, en étant posé horizontalement.
  • Si la tige traverse la plaque et que le tout est exposé au soleil sans obstacle, face au nord, les deux faces du cadran solaire équatorial peuvent être utilisées pour lire l’heure. C’est le cas du cadran solaire équatorial monumental de Londres.

Cadran solaire équatorial monumental à Londres

CORRESPONDANCE ENTRE L’HEURE SUR LE CADRAN SOLAIRE ET L'HEURE CIVILE.

Le passage de l’heure solaire, donnée par le cadran, à l’heure civile de nos montres dépend de l’heure d’été fixée par le gouvernement marocain (GMT ou GMT+1), de la longitude de Casablanca, et du jour de la lecture de l’heure. Il faut donc effectuer trois corrections imposées par ces paramètres.
  •     Correction due au changement d’heure saisonnier

A l’heure lue sur le cadran, Il faut ajouter une heure si l’heure en cours au Maroc est GMT+1  (Greenwich Mean Time).

  •      Correction de longitude

Le méridien de Greenwich de référence passe tout près d’Oujda. Tous les cadrans solaires se trouvant à l’ouest de ce méridien doivent avoir la lecture des heures majorée du temps de décalage. (On s’aperçoit de ce décalage, pendant le Ramadan quand le jeûne est rompu à Casablanca 23 minutes après Oujda. Toutes les prières sont aussi décalées de 23 minutes). 
Le décalage d’un degré de longitude correspond à un temps de : 24 heures : 360,  c'est-à-dire 24 x 60 : 360 =  4 minutes.
La longitude de Casablanca est de 7° 35’. Pour la correction de longitude à Casablanca, il faudra ajouter à l’heure du cadran solaire,       7° 35’  x  4  =    30mn 20 s. Soit environ, une demie-heure. 
  •        Correction de l’équation du temps 


 Avec les moyens modernes de suivi des déplacements de la Terre, on s’est aperçu que dans son mouvement de révolution autour du Soleil, la Terre n’a pas une vitesse uniforme durant toute une année. A certaines périodes il y a une accélération, à d’autres au contraire il y a un ralentissement. La courbe de l’équation du temps donne le temps qu’il faut ajouter (s’il y a avance) ou retrancher (s’il y a retard) à l’heure donnée par le cadran solaire. Par exemple, le 8 aout la courbe indique qu’il faut ajouter 6 minutes. 
En résumé, si le cadran solaire de Casablanca indique 4 heures le 8 août et l’heure civile suivie au Maroc étant GMT +1, cela correspond sur nos montres à : 4 heures + 1 heure   +  30 minutes + 6 minutes =  5 h 36 mn.
Naturellement, il est plus pratique et plus confortable, aujourd'hui, de jeter un œil à nos montres pour avoir l'heure, mais il est utile et important de connaître et de prendre soin des instruments qui ont donné l'heure à nos ancêtres, durant de nombreux siècles. 



RESTAURATION DES CADRANS SOLAIRES DE CASBLANCA

Il y a quelques cadrans solaires anciens à Casablanca qui sont malheureusement à l’état d’abandon. On peut citer ceux de Jamaa Mohammedi des Habous, de l’Ecole d’horlogerie, de la Rue El Arar et enfin celui la Grande poste. Les visiteurs et les promeneurs passent devant sans savoir que ces objets ont donné l’heure, il y a longtemps, à la population casablancaise et indiqué aux mouaddines le moment d’appel à la prière. Ils ont agrémenté des façades et des jardins, et donné la mesure du temps qui passe. Malheureusement leur  temps à eux s’est arrêté…
La restauration de tels objets consistera à reconstituer, à l'identique, les chiffres détruits ou effacés, à replanter les tiges manquantes dans la bonne position. On devra aussi ajouter des notes explicatives à l’intention du public. Une telle action nécessitera une dépense et des moyens  dérisoires mais sera, certainement, une marque visible de respect dû  et nécessaire  pour la sauvegarde du  patrimoine de Casablanca.


Abdelmalek  Terkemani
Expert et chercheur
                                                                                                              

Pour en savoir plus, on peut lire :  Comment construire des cadrans solaires au Maroc.


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