UN BILAN
Périodiquement,
je reviens sur la découverte des savants marocains dans le musée de l’Histoire
des Sciences à Oxford, mais cette fois-ci, c’est pour faire un bilan.
Au
premier coup d’œil, il y a de l’espoir, avec la ferme détermination et la magnifique
mobilisation de l’Association Mémoire de SAFI, autour de l’un de ces
savants marocains d’Oxford, Abdallah Ben Sassi, originaire de Safi, lieu de
fabrication de son astrolabe, en 1687. À l'inverse et depuis de nombreuses années, côté
gouvernement, parlement et musées marocains, c’est comme si ces savants n’ont
jamais existé ! Pour dire les
choses simplement, je me sens dans la situation surréaliste de vouloir
« pistonner » ces savants marocains
auprès de ces instances marocaines qui refusent de reconnaitre qu'il y a jamais eu de savants marocains, même si de nombreux musées scientifiques à travers le monde exposent leurs oeuvres. C’est un peu le monde qui marche sur la tête ! Faut-il rappeler seulement que ces savants marocains n’ont pas attendu ces institutions pour être reconnus,
appréciés et respectés, depuis des siècles, dans le gotha scientifique mondial ? Ils ont représenté, représentent et représenteront dans le futur, l’authentique
patrimoine scientifique marocain, dans le temple universel de l’Histoire des
Sciences, malgré la volonté manifeste de ces instances! Mais commençons par l’espérance...
RENAISSANCE
DES SCIENCES ASTRONOMIQUES A SAFI
Après
la découverte des astrolabes, fabriqués par des savants marocains et conservés
au Musée de l'Histoire des Sciences d’Oxford, j’ai été approché par l’Association Mémoire de Safi au
sujet de l’un de ces savants, Abdallah Ben Sassi. Ce dernier est connu et
vénéré à Safi comme l’un des saints de cette ville. Malheureusement, il y a une
dizaine d’années, les travaux d’extension du port de cette ville avaient
emporté sa tombe et tout le cimetière environnant. Son souvenir s’évaporait
inexorablement, jusqu’à la découverte d’un astrolabe de sa fabrication, avec
son nom gravé dessus, et exposé dans ce musée à Oxford. Ce dernier avait acquis
cette pièce rare du patrimoine scientifique marocain, en 1918. Une
particularité intéressante de cet astrolabe, est que l’un de ses tympans est
gravé pour fonctionner sous la latitude du palais, et il est précisé عرض القصر ,35°, celle de la ville de Meknès. En faisant le rapprochement avec la date gravée de fabrication de cet
astrolabe, 1099 H, on en vient à confirmer qu’Abdallah Ben Sassi a bien été un
astronome au service du Sultan Moulay Ismaïl et, certainement, d’autres Sultans Alaouites.
On
est là devant une situation absolument extraordinaire : Le souvenir de Sidi Abdallah Ben Sassi est, naturellement, bien vivant
dans la mémoire de la population de Safi. Mais la seule trace matérielle qui
reste de lui et de ses travaux scientifiques se trouve en …Angleterre, dans le
Musée de l’Histoire des Sciences d’Oxford, l’un des plus
prestigieux du monde. Au cours de ma première visite préparatoire, en 2018, rendue à l’Association Mémoire de Safi, nous avons convenu de créer un événement en
vue de faire connaître et de rendre un hommage mérité à cet astronome marocain.
Astrolabe de Abdallah Ben Sassi, exposé au Musée de l'Histoire des Sciences à Oxford depuis 1918
Avec
les membres et les experts de Mémoire de Safi, une Rencontre Culturelle et
Scientifique « Astronomie et Sainteté » a été organisée le 23 octobre
2019, à la Faculté Polydisciplinaire de Safi. Cette Rencontre s’est déroulée en
présence d’un nombreux public universitaire et de nombreuses personnalités très
influentes dans la vie culturelle et sociale de la ville de Safi. La
proposition de création d’un CLUB D’ASTRONOMIE ABDALLAH BEN SASSI est
accueillie favorablement. L’appui et le soutien sont clairement marqués par les
décideurs pour le démarrage rapide de ce CLUB. Les activités de ce dernier
donneront, à la jeunesse safiote et aux amateurs de l’astronomie de cette
ville, l’occasion d’explorer les merveilles de l’espace et de faire
partie/contribuer aux travaux de la Communauté astronomique internationale. Une
stèle, en hommage à Abdallah Ben Sassi, a été inaugurée en bordure du port de
Safi, à proximité de l’emplacement de sa tombe, détruite lors des travaux
d’extension du port.
Cette stèle, édifiée en plein centre de Safi dans un espace public, qui rend hommage à un astronome marocain, est à ma connaissance, unique au Maroc: Aucun monument, aucune plaque commémorative n'évoque le souvenir d'un savant astronome marocain au Maroc. Cette stèle est donc une très grande victoire contre l'oubli, l'ignorance et l'ingratitude.
Abdallah
Ben Sassi n’a pas été et ne sera pas oublié. Cet événement constitue le
premier jalon de la renaissance de l’Ecole d’astronomie qu’il a initiée à Safi de son vivant et dont l’activité a été poursuivie par son fils Tayeb Ben Abdallah Ben Sassi. Si le Musée de
l’Histoire des Sciences d’Oxford honore Abdallah Ben Sassi, et honore tout le
Maroc, en exposant depuis plus d’un siècle son astrolabe, la ville de Safi va
faire de son saint son phare pour les Sciences et la Culture.
DES
PERSONNES ET DES OBJETS QUI FONT L’HISTOIRE DES SCIENCES
J’ai
déjà rédigé plusieurs articles sur les savants astronomes et le géographe
Mohammed Al-Idrissi, marocains, dont les astrolabes et le livre نزهة المشتاق في
اختراق الآفاق sont conservés dans un
musée et une bibliothèque à Oxford. Il me semble que les responsables/décideurs marocains au
niveau ministériel (Premier Ministre, Culture, Enseignement, Musées, Tourisme…) n’ont absolument pas réalisé la portée d’un tel événement. Depuis deux
ans, je n’ai senti, à ce niveau de responsabilité, aucun frémissement, aucune
fierté, aucune dignité à reconnaître que des savants marocains représentent la
civilisation marocaine dans de hauts lieux d’histoire et de culture. De très
nombreux pays n’ont pas cette grande chance et cet immense privilège. Notre
pays est envié pour ces atouts majeurs auxquels nos responsables/décideurs
n’attachent aucune considération par
ignorance ou par négligence ou par inconscience ou par tout cela en même
temps.
Je
me propose cette fois-ci de passer en revue quelques objets exposés dans ce même musée de l’Histoire des Sciences d’Oxford, pour que le lecteur sache à quel haut niveau se situe l’environnement dans lequel sont exposés les astrolabes de nos savants
marocains et la stature de grandes sommités mondiales que ces savants y côtoient.
1.
CULTURE DE LA PÉNICILLINE D’ALEXANDER FLEMING
Ce flacon date de 1941 et contient la culture
originale de la pénicilline du Dr Alexander Fleming. Après la "légendaire" découverte de Fleming, les laboratoires en Ecosse et aux Etats-Unis s’étaient
lancés dans une course contre la montre et contre la mort, pour produire à grande échelle, la
pénicilline, le premier antibiotique des temps modernes. Des vies vont être
sauvées à travers le monde. Des centaines de millions de vies…
Ce
qui s’était passé en 1941 ressemble beaucoup à ce que nous vivons aujourd’hui.
Imaginons seulement, avec quel espoir le monde d’alors, en pleine guerre
mondiale, avait accueilli cette découverte, nous qui sommes en face d'un péril, dans
l’attente de nouveaux médicaments et d’un vaccin pour vaincre la pandémie du coronavirus
Covid-19.
2.
PROTOTYPE D'UNE MAIN ARTIFICIELLE DU 16ème SIÈCLE
Cette
main artificielle métallique date du 16ème siècle. Les doigts peuvent
s’articuler indépendamment les uns des autres. Le mécanisme constitué de
ressorts est camouflé à l’intérieur de la main. Il est permis de sourire à la
vue de cette main artificielle, quand on voit maintenant comment des robots
peuvent procéder à des opérations chirurgicales, à distance et gérés par des
logiciels. Mais il a bien fallu commencer un jour et cette main artificielle était conçue et fabriquée
au 16ème siècle, il y a donc plus de 400 ans…
3.
ASTROLABE DE ‘ALI IBN IBRAHIM AL-HARRAR
En
mesurant l’angle sous lequel on voit le soleil (le jour) ou une étoile (la
nuit), avec le dos de l'astrolabe, on calcule, ensuite, l’heure de jour et de nuit, par la rotation d’une
pièce, représentant le ciel (araignée), au dessus d’une pièce (tympan) qui
représente la Terre. Par la suite, et durant de nombreux siècles, les savants
musulmans et le monde occidental avaient
utilisé l’astrolabe pour s'orienter (Qibla) et pour mesurer la hauteur de murailles, de remparts, la
largeur de fleuves, la profondeur de puits et, d’une manière générale, des
distances entre objets éloignés et inaccessibles. Une forme simplifiée (sans
araignée) de cet instrument avait servi pour le calcul des latitudes dans la
navigation maritime.
Cet
astrolabe a été fabriqué à Taza, en 728 H/ 1387. Il est gravé en son dos
l’inscription suivante : "Fait par 'Ali Ibn Brahim Al-Harrar, mouaddine à Taza, que
Dieu la protège, en 728 Hégire". Il avait été acquis par le MHS, grâce à
un prêt du Fonds de Lord Leigh et avait appartenu, auparavant, à une collection privée à Florence. À l’inverse d’un astrolabe classique dont le
fonctionnement dépend de la latitude du lieu d’observation, cet astrolabe est
dit universel car il fonctionne indépendamment de la latitude et porte le nom
de « Lamina universelle d’Oxford ». C’est un modèle unique au monde et sa conception se
base sur des projections géométriques dans l’espace très élaborées qui
utilisent une des sciences introduites par les savants musulmans : la trigonométrie
sphérique.
4.
PORTRAYING THE MOON- SELENOGRAPHIA
Il
ne s’agit pas d’une photo de la lune, cela lui ressemble. C’est un tableau
(plus de 1,5 m de diamètre) réalisé par John Russell en 1795, avec différentes nuances du blanc au gris.
Russell, astronome et peintre, avait observé la lune, sous tous les angles et
en différents moments, pendant plus de 30 ans. Il s’était équipé d’un télescope
spécial et avait peint l’image donnée par l’instrument, en respectant les dimensions apparentes et l’emplacement de certains cratères. J’ai beaucoup aimé ce que John
Russell a écrit dans son carnet de notes
et qui figure près de son tableau :
Tonight being in the Street I had a sight of the Stars that God was
pleas’d to preach to me from, and I had my Soul filled with the Hopes of …
Immortality’
5.
TABLEAU NOIR D’ALBERT EINSTEIN
En mai 1931, Albert Einstein avait donné une conférence sur la cosmologie à Oxford. À
cette époque, il avait déjà développé la théorie de la relativité (E=mc2) et
reçu le prix Nobel de physique (1921). A l’issue de la conférence, le tableau
noir avec le texte écrit a été récupéré et immédiatement exposé au Musée de l’Histoire des
Sciences. La conférence était faite en allemand. Les trois dernières lignes
sont des estimations des caractéristiques de l’univers, selon le modèle Friedmann-Einstein :
ρ est la densité de la matière dans l’univers
(en g/cm3)
P est la dimension de l’univers. Cette
quantité est exprimée en L.J, Lichtjahre, année-lumière
t est la durée d’expansion de l’univers en
années.
Einstein
était revenu en 1932 et 1933 à Oxford, avant de rejoindre définitivement
l’université de Princeton aux Etats Unis. [Pour en savoir plus sur ce tableau, cliquez ici ]
AVANT IL Y AVAIT LES "MILLE ET UNE NUITS", MAINTENANT CE SONT LES "VINGT MILLE MOINS UNE HISTOIRES"...
Le Musée de l’Histoire des Sciences d’Oxford conserve plus de 20.000 pièces. J’en ai choisi cinq parmi les plus emblématiques, pour traduire leur diversité et leur importance. Chacune de ces pièces a sa propre histoire et ces 20.000 histoires mises bout à bout constituent la grande Histoire du patrimoine scientifique de l’Humanité. Et malheureusement, le chaînon constitué par les savants marocains est déconsidéré et dévalorisé, de manière incompréhensible et inacceptable, par... les responsables/décideurs marocains eux-mêmes !
Ce
musée avait été organisé, du point de vue exposition des objets, selon le principe «
premier arrivé, premier servi ». Dans ces conditions, les astrolabes des
savants marocains sont exposés dans la salle principale et solennelle du musée, ce qui n'est pas le cas de toutes les pièces citées ci-dessus. Car, d'une part, les instruments de ces savants constituent les pièces des plus anciennes et, d'autre part, le fondateur de ce musée, Lewis Evans, possédait la collection d'astrolabes la plus importante du monde, autour de laquelle le MHS s'est développé.
Toutes
ces choses-là, cette chance et ce privilège, les responsables/décideurs
marocains ne le savent pas et n’ont pas la moindre envie ni peut-être la capacité intellectuelle de le savoir. Et, nos savants là-bas à Oxford,
continueront de représenter les sciences marocaines dans le temple universel
des sciences, lâchés par les leurs. Abandonnés par ceux-là
mêmes qui devraient les faire connaître, ils n’ont, pour le moment, aucune existence dans leur
propre pays, excepté la stèle Abdallah Ben Sassi, à Safi .
C'est un gâchis terrible. Mais, malgré tout, il faudra résister au désespoir. Nous avons toujours appris qu’en
cas de péril, comme ce que nous vivons actuellement, la réaction des Marocains
est toujours saine et unanime, avec des actes de solidarité et de patriotisme
sincère qui se multiplient : Les efforts ont été faits pour que notre pays soit doté des masques et des
respirateurs artificiels nécessaires, en un temps record. Nos soignants continuent de réaliser des prouesses, même s'ils ne sont pas applaudis tous les soirs. Je ne désespère pas que cet élan
patriotique entraîne, dans un avenir très
proche, une révision de beaucoup de choses qui touchent à la vie et à la marche de notre pays. Je citerais, pour rester dans le sujet, la manière avec laquelle nos Hommes
illustres sont traités. De cette façon,
nos savants et nos grands Hommes qui ont marqué l'Histoire de notre pays, devront trouver
rapidement une place dans les pages de nos livres scolaires et universitaires,
dans les vitrines de nos musées et dans le cœur des Marocains.
Prenons soin du Maroc et que Dieu vous protège.
Abdelmalek Terkemani
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