L’Héritage arabe au Portugal
Quelques leçons de respect du
Patrimoine
Portugal
Dans une autre vie, comme on dit, j’ai été l’un des organisateurs d’une grande conférence internationale sur les télécommunications (ONU) à Marrakech en 2002. Pas moins de 3000 participants représentant 180 pays.
Dans ce genre de conférences, et en dehors des débats techniques, la
tradition non écrite est de s’offrir entre délégations quelques
cadeaux-souvenirs peu onéreux. En gros, les pays du Sud puisent dans leur artisanat,
statuettes en bois ou objets en cuir, alors que les pays du Nord offrent divers
objets technologiques, mais toujours à des prix tout à fait symboliques. Le
dernier jour et à un certain moment le Maroc et le Portugal devaient procéder à
un échange de cadeaux-souvenirs. Notre délégation marocaine avait préparé les
incontournables porte-documents en cuir,
alors que celle du Portugal avait apporté pour celle du Maroc des
livres ! Et pas n’importe quels livres. Le titre était :
A Herança Árabe em Portugal الميراث العربي في البرتغال d’Aldaberto
Alves.
Livre " L'Héritage arabe au Portugal" |
Ces livres contenaient aussi,
dans de petites pochettes, de vrais timbres utilisés par les postes (Correios) portugaises,
avec des photos de pièces de monnaie, de coffres en ivoire, de vases et
d’azulejos datant de l’époque arabe. Ces cadeaux étaient bien ciblés et bien
pensés !
En un mot, nous étions
interloqués ! Les Portugais nous avaient apporté des rétroviseurs qui nous
donnaient à voir notre propre Histoire en Europe. Et forcément, ils la
connaissent mieux que nous. Autant dire que nous étions dans nos petits
souliers avec nos porte-documents, pourtant très beaux !
Alors que beaucoup de Marocains pensent que les pays de la péninsule
ibérique n’étaient pas spécialement fiers de leur histoire arabe et berbère,
ces livres viennent prouver le contraire. Il faut remarquer que le titre de ce
livre n’est pas « Les monuments arabes au Portugal » ou encore
« L’époque arabe au Portugal » mais bien « L’héritage arabe au
Portugal ». Ce n’est pas la même chose. Le Portugal considère cet héritage
et donc ce patrimoine arabe comme le sien. Ce pays, avant sa scission avec ce
qui allait devenir l’Espagne (1139), à l’époque arabe s’appelait Gharb al-Andalous ( غرب الأندلس ) ; il a gardé comme
appellation pour sa partie sud la même racine : Algarve, donc Al Gharb, c'est-à-dire l'Ouest.
J’ai donc découvert que le roi-poète de Séville Al Mu’tamid Ibn Abbad
(1040-1095) avait aussi le Gharb al-Andalous sous son autorité puisque, dans ces territoires, des pièces de monnaie à son effigie étaient en
circulation. Le livre montre aussi son mausolée à Aghmat près de Marrakech,
lieu de son exil et de sa mort. Une preuve que les Portugais sont restés
fidèles à son souvenir, même dans sa détresse.
Voilà une première leçon de respect du patrimoine
Lisbonne
Les traces de l’époque arabe sont bien présentes à Lisbonne même : le Castello arabe qui domine la vieille ville ainsi que les quartiers de Mouraria et Alfama, en fait Alhammam ce qui indique que ce quartier était le lieu de bains maures.
La plus grande fierté des Portugais, ce sont leurs
navigateurs-explorateurs, descobridores.
Ces derniers ont exploré les grands espaces maritimes bien avant Christophe
Colomb et leurs grands hommes, dans ce domaine, sont Vasco de Gama et Ferdinand
de Magellan. L’immense musée de la Marine à Lisbonne chante ces hommes et leurs
exploits. A l’entrée du musée, un tableau hors normes montre Henri le
navigateur (1394-1460), le prince de Portugal avec ces explorateurs. Dans ce sacro-saint lieu qui raconte la
grandeur portugaise, ce tableau montre aussi, à côté d’Henri, deux personnages
arabes en turban qui tiennent dans leurs mains des astrolabes. Ils tiennent
aussi dans leurs mains la vie de toutes ces expéditions autant pour s’orienter
vers les destinations recherchées que pour trouver leur chemin ou les secours
dans le désert des océans. Même dans les plus grandes épopées maritimes
portugaises, on n’a pas oublié les apports scientifiques hérités des Arabes.
C’est la deuxième leçon de respect du patrimoine.
Mértola
Mértola est une petite ville située à 200 km au sud-est de Lisbonne. Elle est à peine visible sur une carte routière ; autant dire un confetti, comparé aux grandes métropoles, mais un confetti qui organise, de la plus belle des manières, le « Festivâl Islamic » international de Mértola, 21-24 mai 2015.
C’est dans ce cadre qu’a eu lieu l’exposé de Salima Naji, architecte
et anthropologue marocaine. Nous connaissons, maintenant, tous les efforts
fournis pour la sauvegarde des Kasbahs, des greniers collectifs et d’anciennes
mosquées dans le Sud marocain. C’est une expérience qui a montré au public international
présent des réalisations concrètes pour la sauvegarde du patrimoine au Maroc. Naturellement, il en faut davantage dans
d’autres domaines et d’autres lieux.
Cette ville a tout d’une ville
arabe située en plein cœur du Portugal.
Rien ne manque : le château arabe qui domine la ville, la Alcazaba, les
remparts, de vieilles portes, les rues pavées, les maisons
Remparts de Mértola |
peintes à la chaux et ….une
température de plus 35°, au mois de mai ! Mais avec ces matériaux de base,
il faut une équipe qui a une formidable force de conviction pour se lancer dans
l’organisation d’un festival international sur l’urbanisme et l’architecture
musulmanes. Cette équipe existe et a également une volonté et une passion sans
bornes pour préserver ce patrimoine sous la forme d’une véritable ville-musée. Et dans cette ville-musée,
il y a aussi un « hôtel-musée » dont l’histoire, tout à fait
extraordinaire, peut bien remplacer beaucoup
de discours sur la préservation du patrimoine. La voici, elle est authentique :
Un hôtel devait être édifié sur
une parcelle de terrain, non loin de la rivière Guadiana qui arrose la ville de
Mértola. Tout était prêt pour l’exécution du projet. Dès les travaux de
fondation, les premiers coups de pioche
ont commencé à mettre à jour les murs d’une habitation engloutie dans la terre
depuis des siècles. Qu’à cela ne tienne, le chantier s’arrête alors et un autre
commence immédiatement avec cette fois-ci, une équipe d’archéologues. Au bout de deux ans
de travaux, les restes d’une maison mi-romaine, mi- arabe sont mis à jour. Il y
a des indices qui indiquent son origine
romaine, mais il y a aussi une Koubba, un hammam en briques et un puits intérieur pour l’alimentation du
lieu en eau. Un véritable trésor archéologique ! Alors que croyez-vous
qu’on fît ?
Le projet initial est remanié de fond en comble, et c’est le
cas de le dire. La solution retenue est de construire un hôtel et un musée,
dans le même ensemble, sur la même parcelle ! Les ruines de la maison arabe occupent donc la
partie sous-sol de l’hôtel dont les fondations évitent soigneusement les
parties anciennes. Au niveau de la réception de l’hôtel une dalle grillagée laisse
voir la maison arabe, en contrebas. On peut naturellement accéder au sous-sol
pour admirer une maison arabe d’il y a plus de dix siècles, construite dans ce
qui devait être le port de Mértola. On a exposé aussi tous les objets trouvés
sur place (poterie, lampes à huile, pièces de monnaie etc.) et qui fournissent
de précieux renseignements aux archéologues et aux historiens. La réalisation de cet ensemble (dans lequel j'ai résidé) magnifique,
antique et moderne présuppose un nombre incalculable de problèmes à résoudre et
d’astuces à
trouver à chaque instant, durant le chantier.
On peut aussi penser que les services de l’urbanisme à Mértola ont été très conciliants
et n’ont pas sorti l’artillerie administrative lourde pour torpiller un projet
qui sauvegarde le patrimoine arabe de la ville.
C’est la troisième leçon de
respect du patrimoine.
On n’ose penser à ce qu’il
serait advenu, si la construction de cet hôtel avec ces ruines devait avoir
lieu dans une ville marocaine ! Peut-être des dizaines d’années d’immobilisation ;
quand on voit que, depuis le temps, il n’y a toujours pas un mausolée digne de Youssef Ben Tachfine, le fondateur de la ville
de Marrakech et vainqueur de la bataille de Zallaqa (Sagrajas). Et quand on
sait que la Koubba almoravide, un des derniers édifices de cette époque encore
visibles à Marrakech, est un chantier à l’abandon, englouti dans des histoires
sans fin depuis des lustres, interdisant les visites aux Marocains et aux touristes.
Sans parler des noms d’astronomes marocains volontairement occultés dans des
musées marocains, alors que ces savants devraient être notre fierté, par les
temps qui courent.
Alors que faut-il faire pour un meilleur traitement de notre Histoire
et de notre Patrimoine ? Vaste programme. Il n’y a pas de recette-miracle
et Il faut s’inspirer des expériences qui réussissent, comme celle de Mértola.
A la base, il nous faut être fier de notre Patrimoine, avec de la passion pour
le préserver, beaucoup de persévérance et un peu plus de démocratie. Il y a actuellement une espèce de
retour aux sources même en Europe ; il faut espérer que ce vent qui
souffle chez nos voisins ibériques nous atteigne et nous réveille car, durant
huit siècles, nous avons eu avec la péninsule ibérique une histoire et une
culture communes…
Abdelmalek Terkemani
Chercheur
et expert international