EXPÉDITION DE RA II
Aït Ouhanni reçu par Feu SM Hassan II |
Madani
Aït Ouhanni est un héros marocain. En mai 1970, avec 7 coéquipiers de 7 nationalités différentes,
Il a traversé l’Océan atlantique, de Safi sur la côte marocaine jusqu’à l’île de la
Barbade proche du Venezuela, soit 6200 km, à bord d’un simple radeau avec une voile
rudimentaire. Cette expédition, appelée Odyssée de RA II,
devait prouver que des hommes de culture égyptienne étaient partis, il y
a des milliers d’années, du continent
africain pour rallier le continent américain et
laisser leurs empreintes dans la conception et la construction des
pyramides. La réussite de cette expédition remettrait en cause la découverte du
continent américain par Christophe Colomb. Néanmoins, le plus important ici, reste cette
passionnante et historique aventure
humaine à laquelle a participé, avec courage et abnégation, notre héros national : Madani Aït OUHANNI. Entre autres tâches qui lui étaient
confiées alors, il y avait le prélèvement quotidien d’échantillons de l’eau de l'Atlantique pour la mesure de la pollution marine. Il n'y a personne au monde qui ait scruté, comme lui, les eaux de l'Atlantique, sur plus de 6200 km à l'allure d'un radeau antique, pendant deux mois. Personne comme lui en 1970, qui ait recueilli des oiseaux englués dans les boules de mazout et vu, mètre par mètre, tout ce que l'humanité déversait dans les océans, sous différents climats. Tous ces échantillons sont conservés dans le musée du Kon-Tiki à Oslo et ce travail a été hautement apprécié avec la désignation d'Aït Ouhanni comme Membre du Comité International de la Protection de l'Environnement Maritime. C’est un clin d’œil
amical à la COP22 qui se tient dans sa chère ville de Marrakech, 46 ans
après son exploit. Malheureusement les organisateurs marocains de la COP22 n'ont pas sollicité la participation de Madani Aït Ouhanni. C'est une occasion perdue de renforcer notre représentation et de rehausser, par son expérience et son talent reconnus à l'étranger, les contributions de notre pays dans cette importante manifestation. C'est aussi une grande opportunité ratée d'obtenir l'adhésion et l'intérêt du public marocain dans cet évènement international. Car ce public aurait alors découvert que le Maroc, quand la situation l'impose, accorde bien une importance particulière à ses talents les meilleurs.
J’ai connu Madani au lycée Mohammed Al-Khamis à Marrakech, dans les années 50. En 1970, il était manager de l’hôtel Atlantide à Safi. Un nom prémonitoire ! Un jour, il vit débarquer à l’hôtel une équipe internationale, venue préparer une expédition dans l’océan atlantique, sous la direction d’un grand navigateur norvégien, Thor Heyerdahl. Quelques jours après, l’un des membres de l’équipage renonçait pour des raisons familiales. La proposition est faite alors à Aït Ouhanni, de faire partie de l’expédition de RA II. Il faut dire qu’il avait tous les atouts pour participer à un tel projet : un physique d’athlète confirmé et une grande facilité à lier des contacts, puisqu’il vivait dans le monde du tourisme et des rencontres. Mais ce qui allait le décider à accepter une telle aventure avec tous ses risques, quand même !, c’était sa motivation et sa volonté inébranlable de voir le nom du Maroc associé à cette importante expédition scientifique.
Thor
Heyerdahl (1914-2002) est un anthropologue et
archéologue norvégien. C’est l'un des plus grands savants du XXème siècle, dont les découvertes ont une
certaine tendance à remettre en cause quelques idées reçues. Et souvent avec
juste raison !
Thor Heyerdahl à bord du radeau Kon-Tiki |
DES ÉGYPTIENS EN AMÉRIQUE
L’expédition
qui était donc prévue de partir de Safi,
en 1970, devait répondre à une question et son initiateur était Thor Heyerdahl :
Après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, la théorie qui était admise, laissait penser que l’Europe et l’Afrique d’un côté et le continent américain de l'autre côté, ont vu se développer des civilisations sans qu’il y ait eu une quelconque influence des
unes sur les autres. Mais alors, disait Heyerdahl, d’où vient la similitude
entre les pyramides d’Égypte et celles des civilisations précolombiennes du
continent américain ? En d’autres termes, des hommes ont vécu pendant des
milliers d’années de part et d’autre de l’Atlantique, les uns ne savaient pas
que les autres existaient. Jusqu’en 1492, avec la traversée de Christophe
Colomb, il n’y aurait eu aucun échange, aucun contact! Il est d’ailleurs fort peu probable que ce dernier se
soit posé la question de la ressemblance
des pyramides d’Égypte et d’Amérique centrale et du Sud. En outre, avant de mourir, Colomb était seulement persuadé d’avoir trouvé une nouvelle route pour
les Indes orientales et non d’avoir découvert un nouveau continent, l’Amérique.
C’est
donc pour répondre à ces questions que l’expédition de RA II (RA est le dieu-soleil
égyptien) était organisée. La tentative de RA I avait échoué, une année auparavant,
après un voyage de 5000 km et donc à 1200 km du but. Jamais résigné, Thor
Heyerdahl, avec le support des Nations Unies, allait repartir de Safi, avec un
radeau construit sur place, dans le secret total. Quinze tonnes de papyrus étaient
importées d’Ethiopie (lac de Tana) et quatre Indiens s’étaient déplacés de
Bolivie au Maroc pour construire le radeau RA II, dans une pépinière de Safi.
Le
radeau allait quitter le port de Safi, le 17 mai 1970. Une foule considérable
des habitants de Safi avait accompagné le radeau à la sortie du port par des
vivats et des youyous. L’équipage avait répondu à la foule par le seul chant
qu’ils pouvaient entonner ensemble,
« Ce n’est qu’un au revoir mes frères… ». Le radeau allait longer les
côtes marocaines et les quitter à hauteur de Cap Juby. Là, il se laisse dériver
par les vents Alizés, les courants des Canaries et le courant Nord-Equatorial qui constituent une
espèce d’autoroute maritime pour le mener vers la Barbade, en 57 jours et 8
heures.
DÉROULEMENT ET LEÇONS DE L' EXPÉDITION DE RA II.
Après
la pleine réussite de l’expédition, chacun des membres du groupe de RA II
a rejoint ses activités antérieures. Madani Aït Ouhanni a retrouvé ses
activités dans l’hôtellerie et le
tourisme. Il a voyagé par la suite dans des dizaines de pays pour donner des conférences et partager avec de nombreux
auditoires ses souvenirs d’une expérience scientifique et humaine
extraordinaire.
Pyramide à degrés de Djéser au sud du Caire |
Pyramide de Kukulcán au Mexique |
Radeau RA II |
Courants des Canaries et Nord-Équatorial. Trajet suivi par RA II de SAFI à l'île de la BARBADE. |
Si
un radeau RA II a fait cette traversée, de nombreux autres ont dû le faire, par
le passé. C’est une réponse possible à la question de connaître l’origine des
pyramides de l’Amérique latine. Dans ce
cas, ce ne serait pas seulement des Égyptiens qui auraient fait la traversée,
mais des Amazighs aussi. Il faut bien voir que ce mouvement migratoire d’Égypte
vers l’Ouest se serait étalé sur des siècles et même des millénaires. Et que les Égyptiens
auraient eu peut-être le temps d’être imprégnés eux-mêmes par les cultures amazighes
des territoires traversés.
Madani
a été le dernier à rejoindre un groupe de navigateurs, déjà aguerris à ce type
d’expédition. Quand il a pris sa décision, il n’a peut-être pas mesuré tous les
risques d’une telle aventure. Que s’est-il dit, debout sur le radeau, en
quittant le port de Safi face à l’horizon ? « Ma vie est entre les mains d'Allah. Advienne que
pourra ! Et ce que je fais, c’est pour le Maroc».
A ce
moment, il ne connaissait pas encore le mal de mer sur un radeau. Et cela doit
être quelque chose, le mal de mer pour un Marrakchi et durant deux mois !
Il n’avait pas vécu sous des tempêtes et des pluies tropicales avec de l’eau qui arrivait jusqu’à
la taille de ses compagnons, dans le radeau. Il ne connaissait pas la terreur d’être cerné par
des requins, sur un radeau qui ne ferait pas vraiment le poids, en cas
d’attaque. Et il ignorait la peur des nuits dans les ténèbres de l'Océan atlantique et les obstacles (ghouls!) qui peuvent surgir à tout moment...
Madani
a traversé toutes ces difficultés et a apporté au groupe son efficacité, sa
modestie, son esprit de camaraderie et sa bonne humeur, toutes ces qualités
qu’il cultive quotidiennement pour l’accueil des visiteurs de l’Atlantide. Il
s’est intégré facilement dans un groupe de plusieurs nationalités et de diverses
religions. Ce groupe avait un but commun : la réussite du projet en
ralliant la Barbade à bord du radeau RA II. Ce qui fut fait.
On avait
voulu reproduire sur ce radeau, la vie telle qu’on l’imaginait, il y a plus de
trois mille ans: radeau en papyrus,
nourriture conservée dans des pots à l’ancienne…L’expédition de RA II était
suivie par le monde entier, en son temps. A l’approche de l’Ile de la Barbade,
le 4 juillet 1970, Thor Heyerdahl reçoit
un message d’encouragement à l’adresse des 8 membres d’équipage de la part de Richard
Nixon, Président des États Unis : Votre message et votre mission
rappellent aux dirigeants et aux peuples de toutes les nations que nous sommes
tous voyageurs ensemble sur ce bateau ancien appelé Terre. Vous poursuivez deux
des plus nobles objectifs de l’homme : Recherche de la connaissance de son
passé et l’espoir pour la paix dans son avenir. Puisse votre éminent exemple
contribuer à une plus grande coopération de toutes les nations pour tout ce qui
est meilleur pour le genre humain.
Aït Ouhanni avec son coéquipier Norman Baker à Oslo, 44 ans après leur exploit |
Au
Maroc, par contre il a eu affaire à des responsables et une administration qui n'ont pas mesuré vraiment la portée d'un tel évènement et qui ont été bien indifférents à ce qui peut rehausser le prestige de notre pays.
Quand
Madani est invité en Norvège, patrie de Thor Heyerdahl, pour des
conférences ou des commémorations, il voit bien tout ce que ce pays a fait en l'honneur de son représentant,
avec en particulier, le magnifique musée du KON-TIKI qui abrite le radeau RA II.
Quand il revient au Maroc, il voit malheureusement ce que vous voyez,
c’est-à-dire à peu près rien depuis 46 ans et surtout un manque de reconnaissance !
Les responsables marocains devraient prendre conscience de la grande responsabilité de notre pays dans la
conservation de la mémoire de l’expédition RA II. Le projet avait été fortement
encouragé par Feu SM Hassan II. Le radeau avait été entièrement construit en
papyrus, dans une pépinière de Safi. Le représentant marocain dans cette belle
épopée, Haj Madani Aït Ouhanni est, avec l'Américain Norman Baker, l'un des deux seuls survivants de cette expédition. C’est un
trésor et c’est notre trésor. Il est une mémoire vivante de cette
grande aventure scientifique et humaine unique.
Il
faudrait faire tout ce qui doit être fait et qui ne l’a pas été, avec et
autour de Madani Aït Ouhanni. Pour perpétuer le souvenir de RA II, l'édification d'un musée à Safi, est une priorité d'action absolue. Son rôle devrait combler un grand vide dans l’information
du public marocain, des touristes, des jeunes et des moins jeunes. Pour le moment, il n’y a
rien dans les programmes d’enseignement, rien dans les livres et rien dans les
musées…Ce n'est pas une situation qui est digne de ce projet quand il avait été lancé au Maroc, sous le regard du monde entier, en 1970...
Abdelmalek Terkemani
Expert et chercheur
ANNEXE: Un document rare. "Le rapport sur la pollution des océans par les missions de RA I et RAII" soumis aux Nations Unies. Ce document, basé sur les travaux de Madani Aït Ouhanni, a été présenté par celui-ci au "Colloque National de l'Environnement" de Marrakech, en juin 1974.
Voici un documentaire de 52 mn sur l'expédition de RA II, avec les commentaires de Madani Aït Ouhanni:
Rapport sur la pollution des océans, par les missions RA I et RA II. Présentation par Madani Aït Ouhanni |
Voici un documentaire de 52 mn sur l'expédition de RA II, avec les commentaires de Madani Aït Ouhanni:
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