mardi 28 février 2017

TÉMOIGNAGE : MARRAKECH, ANNÉE 53. AL JOUNDI, UN ACTEUR ET UN MILITANT


MOHAMMED HASSAN AL JOUNDI



Je ne connaissais pas Mohammed Hassan Al Joundi, avant 1953. Durant l’année scolaire 53/54, j’étais en CM2, à l’école Kaât Benahid, au fin fond de la médina de Marrakech. Notre instituteur était M. Mahmoud Kbaïli, le directeur d’école était M. Conrad. L'instituteur Kbaïli faisait tout pour que ses classes aient un taux de réussite maximal aux examens de fin d’année : Entrée en sixième et Certificat d’études primaires. Ce taux, de plus de 90%, il en faisait une affaire « patriotique » et voulait prouver qu’un instituteur marocain valait autant sinon plus qu’un instituteur français. Par exemple, à l’approche de ces examens, il avait instauré la constitution de groupes de travail de 3 à 4 élèves qui travailleraient le soir chez un élève du groupe ! En fin d'après-midi, il faisait le tour des maisons désignées, à vélo, pour aider les groupes de travail. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle organisation du travail de révision, nulle part ailleurs. Et ça marchait !

Un jour, M. Kbaïli nous annonce : Dimanche prochain, nous partirons en excursion, à Amezmiz,  à 60 km de Marrakech. Toute la classe (plus de 35 élèves) est invitée par les parents d’un élève, Omar Benidder (devenu beaucoup plus tard un haut responsable d’une grande banque à Casablanca).

Trajet Marrakech-Amezmiz
 Beaucoup d’élèves parmi nous n’avaient jamais quitté Marrakech ou même pris un autocar (j’en faisais partie). Le dimanche convenu, toute la classe était là à 6 heures du matin, près de Arsat al Bilk, non loin de la place Jamaa al Fna (c’est mon ami Madani Aït Ouhanni qui m’a expliqué que Arsat al Bilk veut dire ‘’Jardin public’’).  Et c’était parti, direction la montagne, Amezmiz, au sud de Marrakech. Nous étions tout excités à l’idée de découvrir cette montagne que nous voyons de la ville, régulièrement enneigée en hiver.

A l’arrivée, nous étions très bien accueillis  par des personnes qui nous avaient fait visiter Amezmiz.  Ensuite, on nous a conduits à une grande ferme. Nous nous sommes installés sous des orangers avec des navels qui pendaient, gros comme ça, à portée de main. Personne ne nous avait interdit d’en cueillir. Après un couscous que mes papilles n’ont jamais oublié, on nous a conduits dans une pièce immense pour nous servir du thé. A un moment et sans qu’elle nous soit présentée, une personne s’est mise à lire des poèmes, d’une voix de stentor qui faisait vibrer les murs. Après les poèmes, quelqu’un relançait le mouvement : ‘’ Wal Joundi ! dis-nous maintenant l’histoire de… ‘’. Et comme par miracle, sans notes, c’était parti avec la même voix, vers d’autres aventures, dans un autre univers. Parfois, un autre  intervenant, il s’appelait Al Omari, prenait la relève, dans un style humouristique. L’après-midi s’était poursuivie ainsi jusqu'à la tombée de la nuit.

C’était la première fois que je voyais Mohammed Hassan Al Joundi. Nous étions subjugués et en même temps curieux de sa présence à Amezmiz.  Ayant insisté,  on avait fini par nous donner la raison de sa présence, mais à voix basse : le moumattil Al Joundi était  mis en résidence surveillée à Amezmiz, par les autorités  pour le tenir éloigné de Marrakech, à cause de ses opinions politiques. On l’avait  extrait de cette "résidence" pour vous distraire. Après cet épisode, je ne l’ai plus vu seulement  comme un moumattil,  mais aussi comme un défenseur de la cause de mon pays, un "watani", patriote, comme on disait. Nous étions rentrés à Marrakech, à la fin de cette journée, sans Al Joundi retenu à Amezmiz. 


Il faut dire que nous étions en 1953. Mohammed V venait d’être exilé en Corse et ensuite à Madagascar, le 20 aout de cette année. La simple prononciation de son nom, Mohammed Ben Youssef, était passible de prison.  La répression  s’abattait  sur les Marocains, à travers tout le Maroc.  Les intellectuels, les chanteurs, les musiciens et les acteurs  avaient fait leur choix.  Cette catégorie aussi s’était engagée dans la lutte pour le retour du roi Mohammed Ben Youssef et pour l’indépendance du Maroc. Personne n’a oublié la chanson Aoumaloulou de Mohammed  Fouiteh, de cette époque, exactement. Dans le contexte du moment, cette chanson qui disait… 


سيدي يالغادي بيا بابا يالغادي بيا خويا يالغادي ردني لبلادي                                                                           
donnait la chair de poule. Le courageux Fouiteh chantait la tristesse de l'exil de la famille royale et suppliait pour son retour au pays, dans une radio qui interdisait la moindre allusion au Roi exilé. Les censeurs de Radio Maroc n’y a avaient vu que du feu !

 Deux ans plus tard, en novembre 1955, Mohammed Ben Youssef était de retour à Rabat et l’indépendance du Maroc était acquise.  Ces victoires n’ont pas été octroyées mais arrachées grâce à la mobilisation et à la lutte du peule marocain. Le rôle des artistes marocains dans cette lutte, avec les moyens qu’ils avaient, doit être rappelé et souligné.   

Mohammed Hassan Al Joundi avait 17 ans en 1953. 

انا لله وانا اليه راجعون.   رحم الله أبطال المغرب

                                                                              Abdelmalek  Terkemani
  

A écouter et à méditer:

Aoumaloulou par Mohamed Fouiteh    

Paroles de Mohamed Fouiteh:


أو مالو لو
تم بكيت أنا
يالغادي بيا سيدي
يالغادي بيا بابا
يالغادي بيا خويا
يالغادي
ردني لبلادي
ما سخيتش بيها
وعييت ما نادي

حطيت الطبيلة سيدي
حطيت الطبيلة بابا
حطيت الطبيلة خويا
حطيت الطبيلة
وحطيت الكيسان
وجاو لبالي
لحباب والعشران

بك ما سخينا سيدي
بك ما سخينا بابا
بك ما سخينا خويا
بك ما سخينا
وترجع لينا
باش عاد تحلى العيشة لينا

شكون طبيبي سيدي
شكون طبيبي خويا
شكون طبيبي بابا
شكون طبيبي
غيرك يا حبيبي
يعرف ما بيا
واشنو في قليبي

آو مالو لو
تم بكيت آنا
 

 



   
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