Je suis allé à Oxford en Angleterre parce que j’avais lu quelque
part que des objets marocains, de grande valeur scientifique et historique, étaient conservés dans l'un des musées de cette ville. Entre autres, un astrolabe fabriqué par un
astronome marocain du 19 ème siècle, Mohamed Ibn Ahmed Al Battouti.
Je ne savais pas que j’allais découvrir une telle quantité de trésors venant du
Maroc et témoins de l’époque faste des
sciences marocaines. Et ces trésors sont conservés dans le " Museum of the
History of Science" et la Bibliothèque "Bodleian Library" à
Oxford, des lieux d’histoire et de
culture parmi les plus anciens et les plus prestigieux dans le monde. Je suis
partagé entre l’enchantement de découvrir que des savants marocains tiennent le
haut de l’affiche dans le temple universel de l’Histoire des sciences et le
sentiment d’indignation et de frustration de voir ces savants marocains et tous
ceux de l’époque médiévale, exclus des
programmes d’enseignement de leur pays et boycottés dans les musées du Maroc.
Mais suivez-moi, je vous montrerai ce que j’ai vu moi-même, vous partagerez, je l’espère, le même sentiment que moi…
OXFORD, CAPITALE UNIVERSELLE DE LA CULTURE
Du point de vue de la Culture et de l’Histoire, cette ville est vraiment celle des superlatifs :
- La célèbre Université d’Oxford est la plus ancienne du monde anglo-saxon.
- Sur 150.000 habitants, on dénombre environ 32.000 étudiants, soit 1 étudiant sur 5 Oxoniens, ce qui est un record.
- Il y a 39 colleges (facultés) et toutes les disciplines sont couvertes. Parmi les personnalités ayant fréquenté ces colleges, on peut citer : Bill Clinton, Albert Einstein, T.E Lawrence (Laurence d’Arabie), Lewis Caroll, Aldous Huxley, Stephen Hawking, JRR Tolkien et…. 23 Premiers Ministres anglais. Il faut noter également que de très nombreux lauréats du Prix Nobel sont issus de ces colleges.
- La vie culturelle est animée par des musées, des bibliothèques et des théâtres parmi les plus fréquentés d'Angleterre.
C'est dans cet environnement culturel, d'une richesse sans pareil, que des
astrolabes et des livres de savants marocains sont conservés, certains depuis
des siècles. Des millions de visiteurs de cette ville et de ses musées viennent
découvrir et admirer, chaque année, des objets de grande valeur scientifique et
historique, fabriqués au Maroc. Ils ramènent chez eux l’image d’un pays (le Maroc) de grande
tradition scientifique, sans se douter (heureusement ?) du sort réservé à ces
savants dans leur propre pays….
MUSÉE DE L’HISTOIRE DES SCIENCES
(MHS)
J’ai adressé au préalable un mail au MUSEUM OF THE HISTORY OF
SCIENCE, expliquant l’intérêt que je porte aux savants marocains et j’ai eu la
grande opportunité d’être accompagné dans ma visite par Dr
Lee Macdonald, Research facilitator du Musée.
Le MHS occupe un bâtiment de trois niveaux, construit en 1683.
Le niveau 2 est dédié aux astrolabes,
aux cadrans solaires et à d’autres instruments de mesure du temps dont
la plupart ont été fabriqués par des astronomes musulmans, marocains, perses,
indiens, irakiens, syriens. Il y a un total d’environ 200 astrolabes en
provenance de différentes parties du monde.
Devant la vitrine marocaine du MHS |
C’est un bonheur et aussi une fierté sans limite que de trouver des
noms de savants et de villes bien de chez nous dans un lieu aussi prestigieux,
en Angleterre. Les voici :
Mohammed Ibn Fattouh AL KHAMA’IRI, Marrakech et Ishbilia محمد إبن فتوح الخمايري
Mohammed Ibn Fattouh AL KHAMA’IRI, Marrakech et Ishbilia محمد إبن فتوح الخمايري
'Ali Ibn Ibrahim Al HARRAR, Taza علي إبن إبراهيم الحرار
Mohammed et Hassan Ibn Ahmed AL-BATTOUTI, Tanger محمد إبن أحمد البطوطي
Mohammed et Hassan Ibn Ahmed AL-BATTOUTI, Tanger محمد إبن أحمد البطوطي
Hassan Ibn Ahmed AL-BATTOUTI, Tanger حسن إبن أحمد البطوطي
Ibrahim Ibn Sa’id AS-SAHLI, Tolaytila (Tolède) إبراهيم إبن سعيد السهلي
Ibrahim Ibn Sa’id AS-SAHLI, Tolaytila (Tolède) إبراهيم إبن سعيد السهلي
Mohammed Ibn Sa’id AS-SABBAN,
Madinat Al Faraj (Guadaljara) محمد إبن سعيد الصبان
Abdoullah Ibn SASI, Safi عبد الله بن ساسى
PRÉSENTATION DE LA VITRINE SCIENTIFIQUE MAROCAINE DU MHS
ASTROLABE DE MOHAMMED IBN FATTOUH AL
KHAMA’IRI
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de fabrication: 621 Hégire,
1224/1225. Séville sous l’ère almohade.
Description : Laiton. Mère ; Araignée de 29
étoiles ; 5 tympans ; alidade.
Inscription : "Au nom d’Allah. Fabriqué par Mohammed Ibn
Fattouh Al Khama’iri dans la ville de Ishbilia en 621 de l’Hégire".
Provenance : Présenté par Lewis Evans. Propriétaire
précédent : Dr E.B Knobel qui l’apporta à Edimbourg.
Mohammed Ibn Fattouh Al Khama’iri est certainement l’astronome musulman le plus prolifique, en matière d’astrolabes fabriqués, à en juger par le nombre de musées à travers le monde qui les exposent:
Paris (BnF), Rome (volé), Fès (Dar Batha), Le Caire (PC), Le Caire
(MFI) Istanbul (BTTM), Istanbul(TIEM), Oxford (MHS-2), Washington (NMAH), Chicago(AP).
ASTROLABE DE 'ALI IBN IBRAHIM AL HARRAR
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de fabrication : 728 Hégire, 1327/1328. Taza
Description : En laiton. Astrolabe dit universel, devant
fonctionner indépendamment de la latitude. Une araignée pour 60 étoiles. Cet astrolabe utilise deux araignées dites "orientales". C'est un exemplaire unique qui porte le nom de "Lamina universelle d'Oxford".
Inscription : "Fait par 'Ali Ibn Brahim Al-Harrar, mouaddine à
Taza, que Dieu la protège, en 728 Hégire".
Provenance : Acheté chez Ernst Weil avec un prêt du Fonds de
Lord Leigh. Auparavant, il faisait partie de la collection L. Lapicirella à
Florence.
ASTROLABE DE MOHAMMED IBN AHMED AL BATTOUTI
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de fabrication : 1141 Hégire, 1728/29. Tanger.
Description : Laiton. Mère ; Araignée de 29
étoiles ; 3 tympans ; alidade. Rivets en argent à la base des
crochets, indicateurs d’étoile.
Inscription : « Son fabricant est l’humble serviteur de
son Dieu, Mohammed Ibn Ahmed Al Battouti. Puisse Allah l’assister. Fait en 1141 Hégire ».
Provenance : Présenté par Lewis Evans au MHS en 1909.
Dans la vitrine, à côté de cet astrolabe, se trouve une affiche qui
montre l’effigie d’un savant musulman, avec le texte suivant : « Je
suis Mohammed Ibn Ahmed Al Battouti et je suis astrolabiste de la région Nord
de l’Afrique, maintenant appelée Maroc. Mon frère Hassan et moi, nous sommes les
derniers fabricants d’astrolabes, une tradition qui a duré 500 ans dans l’Occident
musulman »
ASTROLABE DE IBRAHIM IBN SA’ID AS-SAHLI
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de
fabrication : 460 Hégire, 1067/1068. Tolaytila (Tolède).
Description : En laiton. Mère ; Araignée de 28
étoiles ; 6 tympans ; alidade.
Inscription : "Fait par Ibrahim Ben Sa’id As-Sahli, dans la
ville de Tolaytila, chawwal 460".
Provenance : Présenté par Lewis Evans. Acheté par ce dernier
chez Cantoni de Milan, en avril 1899.
ASTROLABE DE MOHAMMED IBN SA’ID AS-SABBAN
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de fabrication : 474 Hégire, 1081/1082. Madinat
Al Faraj (Guadaljara)
Description : En laiton. Mère ; Araignée pour 25 étoiles,
Alidade.
Inscription : "Parmi les objets faits par Mohammed Ibn Sa’id As-Sabban à Madinat Al
Faraj, que Dieu la protège, en 474 Hégire".
Provenance : Présenté par J. A. Billmeir. Faisait partie de la
collection Nicolas Landau à Paris.
ASTROLABE DE ABDOULLAH IBN SASI
(PHOTO DU MHS) |
Date et lieu de fabrication : 1099 Hégire, 1687/1688. Safi.
Description : En laiton. Mère ; Araignée de 25
étoiles ; Alidade.
Inscription : "Louange à Dieu ! Fabrication
de Abdoullah Ibn Sasi que Dieu lui pardonne à lui et à ses parents"
Provenance : Présenté par Lewis Evans. Acheté chez Webster (mars
1918) qui l’a acheté lui-même chez M. Gélis à Paris.
BIBLIOTHEQUE BODLEINNE- BODLEIAN LIBRARY
La Bodleian Library est une bibliothèque classée parmi les plus importantes au monde. Onze
millions d’objets, en grande majorité des livres, y sont conservés. Pour
indiquer autrement l’importance de cette bibliothèque, les guides à Oxford
disent que la Bodleian Library cache 368 km d’étagères de livres dans ses
sous-sols ! C'est plus parlant, semble-t-il!
Depuis une dizaine d’années, je suis à la recherche d’un ouvrage
que j’ai pu situer, finalement, dans la Bodleian Library. Ne disposant pas de
canal d’introduction officiel (communément appelé piston), j’ai donc adressé un mail à la Bodleian, pour demander à voir cet ouvrage, en précisant ma motivation. Mais l’affaire
est mal engagée, car on m’informe que cet ouvrage fait partie des « Treasures »
de la Library. De ce fait, il est conservé dans un coffre-fort, à une
température précise. Finalement, M. H. Stephen, responsable des ouvrages considérés comme des trésors de cette bibliothèque, vint me
voir pour juger de mes "capacités académiques et universitaires". C’est donc une interview dans les règles (en
anglais) que j’ai subie, et je comprends tout à fait cette procédure et d'abord pour des raisons de sécurité. J’ai
expliqué que j’ai lu la traduction française de cet ouvrage et que j’ai
consacré de nombreux articles à son auteur. J’ai ajouté que j’ai visité, par le passé, la Sicile et le lieu (Palazzo dei Normani) où cet ouvrage avait été présenté au roi
Roger II de Sicile, en 1154.
Le lendemain, M. H. Stephen nous attendait, ma femme et moi,
avec deux badges d’identification. Nous avons traversé plusieurs portiques de
sécurité. Ensuite, nous avons attendu quelques minutes dans une pièce sécurisée, avant que M. H. Stephen ne vienne poser sur la table l’ouvrage que j’ai rêvé de voir de
près. Le livre est posé délicatement
devant moi, de manière à être feuilleté et lu de droite à gauche, car il est
rédigé en arabe. Quand on a vu que je prenais des notes avec un stylo, on m’a tendu
un crayon et prié de l’utiliser. Une précaution pour éviter toute rature ou
tache accidentelle sur une page du livre ! Seules deux copies de ce livre ont survécu: celle qui est devant moi date de 1553, l'autre est conservée à la Bibliothèque nationale de France, à Paris.
Livre des Trésors de Bodleian, dont l'ouvrage d'Al-Idrissi |
L’ouvrage d’Al-Idrissi نزهة المشتاق في اختراق الآفاق "Voyage d’un passionné pour explorer
l’au-delà de l’horizon" , ou "Livre de Roger", est considéré comme un trésor dans une bibliothèque
prestigieuse à Oxford en Angleterre. Comme pour les astronomes marocains, son auteur n’a
aucune existence ni dans les musées au Maroc, ni dans les programmes marocains d’enseignement
primaire, secondaire ou supérieur. Jamais un documentaire marocain n’en a parlé
à la télévision marocaine!
Tout autre pays qui aurait eu un géographe de cette envergure dans son histoire, aurait mis (au moins!) cette carte de 1154 d'Al-Idrissi, écrite en arabe, dans ses manuels scolaires de géographie, pour faire réfléchir ses élèves, ses étudiants et sa jeunesse. Au Maroc, malheureusement...
BRÈVE RENCONTRE AVEC LES SAVANTS MAROCAINS D’OXFORD
Avant de quitter Oxford, je suis encore allé
au MHS pour admirer, encore une fois, les instruments scientifiques laissés par nos savants,
certains datent d’il y a presque mille ans !
Au MHS, en descendant un escalier, j’aperçois une pièce, à l’écart
du circuit des visiteurs. Il n’y a pas vraiment de porte et un léger brouillard
en cache l’intérieur. A l’approche de cette pièce, un doux parfum de fleur
d’oranger vient exciter encore plus ma curiosité. Je traverse cette cloison de brouillard
et me trouve, tout d’un coup, dans une sorte de salle de réunion. Autour d’une
table ronde, il y avait sept personnes qui portaient des habits marocains du
moyen âge. Tous ont de beaux turbans bien noués sur la tête, avec un pan qui descendait
sur l’épaule. Leur barbe bien coupée et quelques uns ont du kôhl aux yeux. Les cartons posés sur la table portent le nom des savants
marocains qui ont leur astrolabe exposé à l’étage au- dessus.
Celui qui a l’air de présider cette réunion est 'Ali Ibn Ibrahim
Al-Harrar. Probablement que sa fonction de mouwaqit et mouaddine à Taza au 14 ème siècle lui donne une certaine facilité d’élocution. La discussion s’engage alors et c’est Al-Harrar qui s'adresse à moi :
- Oui Maître, c’est moi. (Je dois dire que, sur le coup, je me suis senti un peu ridicule avec ma casquette irlandaise).
- Alors, que nous apportes-tu comme
nouvelles du pays ?
-Il a bien plu cette année au Maroc.
- La pluie! Nous avions les mêmes
préoccupations, de notre temps. Et quoi encore ?
-On est en train de vivre une
situation de boycott de certains produits. Les gouvernants sont insensibles à
la détresse des gens. Ils n’apportent aucune solution concrète aux revendications de la population et passent leur temps à dire que ce boycott est négatif pour le
pays.
Tous autour de la table se tournent alors vers Al-Harrar. Ils
avaient l’air d’avoir débattu de ces questions et étaient d’accord avec ce
que leur porte-parole allait dire.
- Ce n'est pas raisonnable! dit-il. Les savants marocains, astronomes,
mathématiciens, géographes philosophes et médecins sont l’objet d’un boycott implacable, depuis des lustres, dans les musées marocains et dans les programmes d’enseignement au Maroc et ce
gouvernement ne se pose pas la question de savoir s’il n’y a pas d’impact
négatif. Si le boycott justifié, par la population, des produits d'une société privée provoque un impact négatif, que faut-il dire alors du boycott de la partie noble de l'Histoire de tout un pays, par ceux-là mêmes qui le gouvernent? Dis-nous toi, comment notre pays peut-il progresser si sa population est coupée,
VOLONTAIREMENT, de sa propre histoire ? Et que cette histoire est honorée en Angleterre et occultée au Maroc.
- Je suis entièrement d’accord avec
vous, Maître. J’essaie de dénoncer cette situation absolument indigne de notre
pays.
- -Ya
’Abdoulmalik ! Nous n’avons plus rien à prouver. Tu l’as vu de tes
propres yeux ; les instruments scientifiques que nous avons fabriqués,
certains datent de mille ans, sont exposés dans le temple mondial de l’histoire
des sciences, ici à Oxford. Nous brandissons vigoureusement et avec fierté l'étendard marocain à côté de nos astrolabes pour mettre le Maroc avec les meilleurs. Pendant ce temps, notre pays nous tourne le dos, c’est un
véritable reniement النكر . Nous sommes indignés! حسبنا الله و نعم الوكيل
- C'est un véritable gâchis.
- Bon, conclut Al-Harrar, le sujet est
vaste et nous avons tant de choses à te dire. Nous "vivons" ici, mais nous voulons encore être utiles à notre pays. Nous avons conscience que la raison finira par triompher. Notre pays ne va pas nous abandonner pour l'éternité et nous, de notre côté, nous n'avons jamais abandonné notre pays. C'est gravé sur nos astrolabes. Avec l’accord de mes
compagnons, nous te proposons de revenir nous voir ici, pour en parler, à la fin de ton séjour à Oxford. Nous
demanderons à Mohammed Al-Idrissi de se joindre à nous. Il est dans la
Bodleian Library voisine.
- Je suis ému, Maîtres, par votre accueil. C’est un honneur et une grande fierté pour moi de vous avoir
rencontrés. Je reviendrai volontiers vous voir avant de quitter cette belle ville d'Oxford qui conserve pour nous tant de trésors du Maroc, trésors dont vous êtes les authentiques créateurs.
Site du Museum of the History of Science: http://www.mhs.ox.ac.uk/
Pour en savoir plus, voir collections et database search
Je tiens à remercier, pour leur accueil, Dr S. Ackerman et Dr L. Macdonald du Museum of the History of Science ainsi que Dr G. Evison et Dr H. Stephen de Bodleian Library.
Abdelmalek Terkemani
Suite de cet article : La deuxième mort du savant marocain Abdallah Ben Sassi-Dialogue avec les absents d'Oxford.
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