Ce monument rappelle, qu'entre le 14ème siècle et 1609, environ un million de Musulmans ont été expulsés d'Espagne. Cette famille musulmane, jetée sur les routes de l'exil et des privations, va se réfugier à Grenade d'abord, avant d'être expulsée définitivement d'Espagne. L'homme tient dans sa main droite la clé de la maison familiale, qu'il ne reverra plus jamais; il voit au loin les sommets de la sierra Nevada qui vont leur indiquer le chemin de Grenade. La femme protège leurs enfants, en les enveloppant avec son corps. Six siècles plus tard, la ville et les monuments que cette famille a contribué à édifier et qu'elle a été forcée de quitter, vont être déclarés "patrimoine mondial" de l'humanité. Sans évocation des siècles de souffrance que vont subir cette famille et sa descendance...
À L’ORIGINE DU PATRIMOINE MONDIAL…
Le patrimoine
mondial ou certaines fois le patrimoine mondial de l'humanité, est un ensemble de biens culturels et naturels
présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité.
Dans
les années soixante du siècle dernier, le temple d’Abou Simbel, en Egypte,
allait être englouti définitivement, en raison de la construction programmée du
Haut barrage d’Assouan (السد العالي). L’Unesco (organisation des Nations Unies
pour l’éducation, la science et la culture) avait lancé alors une campagne mondiale pour
le sauvetage de ce temple. Au cours de travaux réellement pharaoniques
(1962-1968), ce temple a été découpé bloc par bloc (1305 blocs dont
certains atteignaient trente tonnes) et l’ensemble de ces monuments
ont été remontés 64 mètres au dessus de leur emplacement initial. Depuis ce
sauvetage impressionnant des eaux du Nil, ce temple a été visité et admiré par des millions de touristes. Il continue
d’être l’un des témoins fidèles de l’une des plus grandes et des plus anciennes
civilisations dans l’Histoire humaine.
Cette opération et d’autres, allaient attirer l’attention du monde entier
sur l’importance de préserver le
patrimoine légué à l’humanité et, par la suite, donner naissance au concept de
« Patrimoine mondial ».
Ce dernier fait l’objet d’un traité international, intitulé
« Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et
naturel », adopté en 1972 par tous les pays membres de l’Unesco.
« Le
patrimoine est l'héritage du passé dont nous profitons aujourd'hui et que nous
transmettons aux générations à venir. Nos patrimoines culturel et naturel sont
deux sources irremplaçables de vie et d'inspiration. »
— Extrait
de la convention de 1972.
Après
la création du Comité du patrimoine mondial et l’adoption de 10 critères de
sélection, les premiers sites ont été inscrits en 1978.
A ce
jour, la liste des sites, inscrits comme patrimoine
mondial culturel, compte 1121 biens répartis dans les cinq continents. Ce
sont l’Italie et la Chine, les pays qui
en possèdent le plus grand nombre (55), suivies par l’Espagne (48), l’Allemagne
(46), la France (45)… Voici, à titre
d’indication, les 9 sites marocains inscrits au patrimoine mondial :
1981- Médina de Fès
1985- Médina de Marrakech
1987- Ksar d’Aït-Ben-Haddou
1996- Ville historique de Meknès
1997- Site archéologique de Volubilis
1997- Médina de Tétouan (ancienne Titawin)
2001- Médina d’Essaouira (ancienne Mogador)
2004- Ville portugaise de Mazagan (El Jadida)
2012- Rabat capitale moderne et ville historique : un
patrimoine en partage
Les
sites inscrits au patrimoine mondial font généralement l'objet d'une
exploitation touristique très poussée, mettant en avant cette reconnaissance. Le
succès du concept de patrimoine mondial a été considérable, dès les
premières années, et a dépassé largement les attentes de l’Unesco et les
espérances des pays lieux des sites inscrits. Dans la majorité des cas, l'inscription d’un site sur la liste du Patrimoine mondial et la publicité
faite autour ont donné lieu à une multiplication par 2 à 5 fois le nombre de visiteurs, dans les mois qui suivent. Les pays comme l’Espagne,
la Grèce, l’Egypte, l’Italie ont articulé une partie importante de leur
politique touristique autour de leurs sites inscrits au Patrimoine mondial.
11 SITES
DU « PATRIMOINE MONDIAL » EN ESPAGNE, ASSOCIÉS À
AL-ANDALOUS.
En
2019 (dans le monde d'avant le Covid-19), l'Espagne comptait 48 sites inscrits au patrimoine mondial, dont 42
culturels, 4 naturels et 2 mixtes. Sur les 42 sites culturels, 11 sites
inscrits au patrimoine mondial sont directement associés à Al-Andalous,
Espagne musulmane, compte tenu de leur histoire et des monuments qui y sont
édifiés.
Le
tableau 1 donne la liste de ces 11 sites, par ordre chronologique d’inscription
au patrimoine mondial. Les cases « archives » indiquent les liens aux
documents officiels (publics) présentés par le gouvernement d’Espagne à
l’Unesco, pour la candidature de ces sites à leur inscription. La carte 1 donne
l’emplacement de ces sites sur le territoire espagnol.
Ville/Site
Patrimoine mondial
| Communauté
autonome
| Date Inscription | Archives |
1. GRENADE
|
Andalousie
|
1984
| |
2. CORDOUE
|
Andalousie
|
1984
| |
3. SÉGOVIE
|
Castille-et- León
|
1985
| |
4. TOLÈDE
|
Castille-la Manche
|
1986
| |
5. CÁCERES
|
Estrémadure
|
1986
| |
6.ARCHITECTURE MUDÉJARE D'ARAGON
|
Aragon
|
1986
| |
7. SÉVILLE
|
Andalousie
|
1987
| |
8. MÉRIDA
|
Estrémadure
|
1993
| |
9. CUENCA
|
Castille-la Manche
|
1997
| |
10. ELCHE
|
Communauté
valencienne
|
2000
| |
11.MADINAT AZZAHRA
|
Andalousie
|
2018
|
Tableau 1: sites du patrimoine mondial, rattachés à Al-Andalous
Carte 1: Situation géographique des sites-patrimoine mondial rattachés à Al-Andalous |
J’ai
lu toute cette documentation et analysé les critères et les procédures
d’inscription sur la liste du patrimoine mondial. J’ai eu, par le passé,
l’opportunité de visiter tous ces sites, dont certains de nombreuses fois,
(sauf Cuenca). J’ai eu également l’occasion de parler de certains de ces sites
dans quelques articles et de recueillir des dizaines de commentaires sur ce sujet.
L’impression générale est que le monde musulman est honoré et fier de savoir
que les monuments et empreintes d’Al-Andalous sont considérés comme un
patrimoine mondial de toute l’humanité. On se félicite de leur existence et
qu’ils continuent d’être le reflet de la splendeur d’Al-Andalous, Espagne
musulmane. Seulement, il reste de grands regrets, de grandes frustrations et le sentiment d'une grande injustice, qui
résultent de la manière et de la forme avec lesquelles ces sites ont été
présentés au patrimoine mondial : Car le voile n’a pas été levé sur les
grandes tragédies qui avaient suivi l’édification de ces sites, et qui ont été vécues par ceux
qui les avaient édifiés, ainsi que par leurs descendants.
IMPRESSIONS
DE LECTURE
La
lecture de ces archives est réellement édifiante et traduit véritablement
l’esprit dans lequel les candidatures de ces 11 sites avaient été exposées à
l’Unesco : la description de cette grande Mosquée de Cordoue, de ces
villes, de ces palais, de ces bibliothèques, de ces Alcazars, de ces Alcazabas, de ces remparts, de
cette Palmeraie d’Elche, de ces Aljibes, de ces bassins et vasques d’eau, de
ces jardins paradisiaques, de ces réseaux complexes d’irrigation, est rigoureusement
limitée aux aspects artistique et technique. L’élément historique humain est
pratiquement inexistant. Tout au long de ces présentations, les choses sont exposées comme si ceux qui
avaient édifié ces merveilles s’étaient évaporés dans le ciel d’Espagne, après huit siècles de présence dans ce pays, sans
laisser de descendance ou de traces autres que ces monuments. Tout est présenté comme si, après
l’édification de ces monuments, les choses s’étaient déroulées dans le meilleur
des mondes possibles.
Par exemple, le mot "Morisque" (de Moriscos, Musulmans ou d'origine musulmane, expulsés d'Espagne) n’est écrit nulle part, et pour cause, car il traduit à lui seul l’immense tragédie humaine des descendants de ceux qui avaient laissé ces héritages. Rien sur les conversions forcées. Rien sur les jugements iniques des tribunaux de l’Inquisition. Rien sur les opérations génocidaires (Alpujarras). Rien sur les expulsions ethniques, en particulier de 1492 et 1609, et entre ces deux dates, dans des conditions inhumaines ayant visé les Musulmans et les Juifs. Et rien sur ceux que l’on n’a pas pu expulser et qui ont été réduits pratiquement en quasi-esclaves.
Par exemple, le mot "Morisque" (de Moriscos, Musulmans ou d'origine musulmane, expulsés d'Espagne) n’est écrit nulle part, et pour cause, car il traduit à lui seul l’immense tragédie humaine des descendants de ceux qui avaient laissé ces héritages. Rien sur les conversions forcées. Rien sur les jugements iniques des tribunaux de l’Inquisition. Rien sur les opérations génocidaires (Alpujarras). Rien sur les expulsions ethniques, en particulier de 1492 et 1609, et entre ces deux dates, dans des conditions inhumaines ayant visé les Musulmans et les Juifs. Et rien sur ceux que l’on n’a pas pu expulser et qui ont été réduits pratiquement en quasi-esclaves.
Si
l’on s’est félicité, dans leur description, que ces monuments-patrimoines de
l’humanité étaient édifiés dans un environnement de grande tolérance religieuse
entre Chrétiens, Musulmans et Juifs, il n’est dit nulle part que ce sont, précisément,
leurs origines ethniques musulmane et juive qui ont été retenues, pour procéder au déracinement des Musulmans et des Juifs.
On
va objecter que le cadre et les critères retenus du « Patrimoine
mondial » n’autorisent pas de
telles digressions ! Mais comment ne pas faire ici seulement une allusion
à ces événements ? Et quel est le meilleur endroit pour parler, même
brièvement, des tragédies vécues par cette Communauté sinon, précisément, là où
l’on parle de son propre héritage laissé à l’humanité ?
Si l’humanité
doit être le bénéficiaire de cet héritage, elle est en droit de connaître la
destinée de ceux qui le lui avaient laissé et de leurs descendants. Le legs d’un
héritage a ses lois, ses règles et ses traditions qu’il faut respecter. Même,
et surtout, plusieurs siècles plus tard.
Il
faut bien reconnaitre qu’il y a une volonté de garder le silence sur ce qu’ont
subi ceux qui avaient édifié ces sites rattachés à Al-Andalous. Et d’ailleurs,
le même silence sur les tragédies vécues par cette Communauté, se remarque de nos jours, dans les documents
et les prospectus distribués aux touristes et visiteurs de ces monuments.
Il est vrai que de nombreux sites, inscrits
sur la liste du patrimoine mondial, ont été édifiés sous des civilisations venues
d’ailleurs et, dans ce cas, l’on s’était limité à leur description artistique
et technique. Pour rester en Espagne, il y a des sites qui sont l’œuvre de civilisations
grecque (Ensemble archéologique d’Empúries) ou romaine (Ensemble archéologique
de Tarragone, aqueduc de Ségovie…), seulement voilà : Ni les Grecs, ni les
Romains n’avaient subi les affres des expulsions ethniques.
LE
« PATRIMOINE MONDIAL », UNE OPPORTUNITÉ DE RÉHABILITATION .
Comme
on le voit, cette opération « patrimoine mondial» en
Espagne, directement associée à Al-Andalous, attire des touristes dont le nombre total, pour toute l'Espagne, a atteint un record de 83,7
millions, en 2019. En même temps, à travers les documents et les archives présentés pour cette reconnaissance, elle exclut totalement ceux qui avaient édifié ces monuments et
leurs descendants de tout bénéfice moral ou de droit de mémoire. On aurait espéré que ce
patrimoine mondial, sous l’égide des Nations Unies et
de l’Unesco soit une fenêtre ouverte et le point de départ vers une
réhabilitation des Morisques, au lieu de faire oublier l’existence et les espérances d’une Communauté déjà
suffisamment meurtrie, dans son Histoire.
Les textes, y compris ceux de l’Unesco, ne sont pas gravés dans le marbre. Ils sont faits pour s’adapter aux exigences du temps présent qui sont la transparence, la vérité et la justice.
Au
moins un autre critère pour la désignation de ces 11 sites, devrait être inclus
dans les textes, sous forme de recommandations et d’incitation pour une
reconnaissance de l'injustice faite à ceux qui avaient édifié ces merveilles et pour permettre la nécessaire réhabilitation de
leurs descendants.
Ce qui a été adopté au 20ème siècle
peut et doit être amendé au 21ème siècle, pour tenir compte de
certains oublis flagrants et source permanente de grands malentendus et de
graves préjudices séculaires.
Le patrimoine mondial devrait
offrir une opportunité unique de rendre justice aux édificateurs de ces 11
sites-patrimoine mondial de l’humanité et à leurs descendants. Le rôle de
l’Unesco, organisation des Nations Unies, initiatrice du concept de patrimoine
mondial, sera central et essentiel. Cette approche viendra renforcer
et se joindre aux voix, y compris de partis politiques espagnols, qui s’élèvent
de plus en plus pour réclamer au gouvernement espagnol une « Reconnaissance
de l’injustice faite aux Morisques expulsés par l’Espagne ». C’est un
premier pas vers une réhabilitation nécessaire…
Dans
l’espoir d’une prise en considération de ses attentes, la Communauté morisque,
reste mobilisée avec le soutien de toutes les parties éprises de paix et de
justice, pour obtenir les réparations des préjudices subis et pour ses droits
légitimes de mémoire.
Mosquée de Cordoue: un des 11 sites-patrimoine mondial, associé à Al-Andalous et inscrit en 1984. |
Abdelmalek Terkemani
Expert
et chercheur
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