jeudi 6 juillet 2017

PLEURER FACE À PICASSO



LE FESTIVAL DU FILM DE MARRAKECH EST ANNULÉ MAIS LE CINÉMA DANS LES MUSÉES AU MAROC EST PERMANENT

L’autre jour, je lisais Telquel Online, et  j’étais tombé sur quelque chose d’ahurissant ! Car je ne savais pas que ce genre de comportement pouvait exister. Un article* présentait l’inauguration de l’exposition « Face à Picasso » à Rabat. À un moment M. Q, président de la Fondation Nationale des Musées du Maroc, déclara à l’assistance, avant le début de la visite inaugurale : "J’ai parcouru l’exposition et je peux vous dire que j’en ai eu les larmes aux yeux" !!

Sur le coup, on ne sait pas à quoi attribuer ces larmes. Est-ce au coût faramineux de ce type d’exposition, qui peut couvrir la construction d’un hôpital et de dizaines d'écoles à Al-Hoceima ou ailleurs au Maroc ? Est-ce au fait que pendant que Giacometti et Picasso paradent dans les salles de ce musée, les grands savants, médecins, mathématiciens, astronomes, astrolabistes, vétérinaires, philosophes marocains attendent eux devant les musées marocains qui leur sont interdits? Est-ce tout simplement, une déclaration provocante et théâtrale, pour montrer qu’il n’y a que lui qui "sent" ces choses dans ce pays ?

Voilà donc, ça nous fait une belle jambe ! Des milliards sont littéralement brûlés pour cette exposition, et dont les  Marocains auraient eu un besoin vital pour résoudre des problèmes urgents et réels de Santé, d’Éducation ou de Sécurité, et le responsable de cet "exploit" se met à pleurnicher devant des tableaux et des statues.

Le Sultan Mouley Abderrahmane à Mekinez
Si au moins, cette exposition présentait au public marocain de vrais grands peintres comme Eugène Delacroix ou Henri Matisse qui ont vécu au Maroc et pu capter les lumières de notre pays. Des centaines de milliers de visiteurs défilent chaque année devant  « Le sultan Mouley Abderrahmane à Mekinez », tableau de Delacroix, exposé au musée des Augustins à Toulouse.

Naturellement, l’idéal est de montrer dans les musées marocains, d'abord l’Histoire du Maroc et de ses Grands Hommes, et de s’ouvrir de temps à autre à la culture des autres pays. Et non l'inverse.

À voir le musée  MMVI à peu près désert, on se pose légitimement la question : A quoi donc, et à qui, peut bien servir cette exposition ? Par exemple, à ce que ce Q vienne servir de guide aux personnalités de passage au Maroc. Et à ce propos, inviter à cette exposition Mme Macron,  venue pour une journée au Maroc, accompagner le Président français, est une faute de goût et même un manque de savoir-vivre.   On a donc (re)montré à cette Dame ce que, elle-même, nous a envoyé ! Si Mme Macron veut voir des tableaux de Picasso, elle habite à Paris, à deux pas du Musée National-Picasso, où elle a tout le loisir d’admirer un plus grand nombre de tableaux de ce peintre. Quand elle nous fait l’amitié de nous rendre visite pour une journée, elle a certainement envie de visiter quelque chose de typiquement marocain,  que la ville de Rabat peut offrir : L’esplanade de la Tour Hassan, le quartier des Oudayas et ses jardins andalous, le Chellah et sa nécropole mérinide, avec sa magnifique vue sur le Bouregreg. Elle pouvait aussi avoir envie de visiter un musée marocain dédié aux Grands Hommes et aux savants marocains, pour avoir un bref aperçu historique sur le patrimoine de notre pays. Mais, c’est là que le bât blesse ! Car, il n’y a pas de musée ou d’exposition de ce genre au Maroc ! POUR LA SIMPLE ET BONNE RAISON QUE LES SAVANTS ET LES HOMMES ILLUSTRES MAROCAINS SONT DÉFINITIVEMENT ET IRRÉMÉDIABLEMENT INTERDITS DANS LES MUSÉES AU MAROC. Que des musées, des bibliothèques prestigieuses à l’étranger exposent leurs œuvres, c’est une chose, mais que des expositions sur ces savants marocains aient lieu dans des musées marocains pour raconter la véritable histoire du Maroc et donner  de la fierté au peuple marocain, il n’en est pas question. Et cette opération de dissimulation  est l’œuvre majeure de ce Q. Toutes ces expositions, excessivement budgétivores, Giacometti, Picasso etc. sont organisées pour ne jamais parler de la véritable Histoire ni des Grands Hommes du Maroc.  L’opération d’effacement de notre propre  histoire commence, naturellement, avec l’inexistence de toute allusion aux savants marocains et aux sciences musulmanes dans les programmes d’enseignement.

TOUT FAIRE POUR QUE LES MAROCAINS N'APPRENNENT JAMAIS QU’ILS ONT EU DES SAVANTS DANS LEUR HISTOIRE !


DORA MAAR
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, dit-on, mais Il est vraiment difficile de penser que le tableau de Picasso,  ci-contre, de sa muse Dora Maar, puisse émouvoir jusqu’aux larmes! Ou alors c’est un caprice et, au bout du compte, une simulation théâtrale. Car, pour ce qui est de l’Art et de la Culture au Maroc, pour ne parler que de ces domaines, il y a vraiment de quoi pleurer, surtout quand on est soi-même un des principaux responsables de ce véritable désastre.

La dissimulation de l’Histoire du Maroc aux Marocains a commencé il y a longtemps, et  j’en ai eu la preuve éclatante, il y a quelques années et précisément dans ce musée où s’expose Picasso à Rabat. J’ai déjà raconté cet épisode dans de nombreux articles de ce même blog, mais cette nouvelle exposition vient encore confirmer ces propos. Il est utile de le rappeler pour faire la liaison.

En 2015/2016, la Fondation Nationale des musées du Maroc avec le Musée du Louvre avaient organisé à Paris et ensuite à Rabat une exposition, « Le Maroc Médiéval », qui a duré de nombreux mois. Cette période correspondant à l’âge d’or des sciences marocaines, j’ai été étonné et écœuré  de constater que les savants marocains étaient inexistants dans cette exposition. La seule faveur qui ait été accordée au public marocain est d’avoir fait venir de Toulouse, un astrolabe fabriqué par un astronome  de Marrrakech de l’époque almohade, ABÛ BAKR IBN YÛSUF. Mais il y avait un hic.

Astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf conservé à Toulouse
J’ai consacré à cet astronome et à ses astrolabes, durant de longues années, des articles dans la presse nationale, des conférences au Maroc et à l’étranger, dans des centres culturels, des Écoles d’ingénieurs, des Facultés de sciences, des Musées…J’ai donc applaudi des deux mains à l’approche de « Maroc Médiéval ». Mais quelle ne fut ma déception et mon dégoût pour tout dire, et ceux d’une trentaine de visiteurs que j’ai accompagnés dans ce musée de Rabat : Les astrolabes des savants marocains ont été exposés dans des vitrines MAIS SANS LE NOM DE LEUR FABRICANT ! En particulier, le merveilleux astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf qui retrouve le Maroc, son pays de fabrication, après une absence de 800 ans à l’étranger ! Eh bien, lui aussi, une pièce historique et hautement scientifique, venue d’Europe avec de multiples précautions et attentions (le conservateur du musée Paul-Dupuy de Toulouse m'avait dit qu'il l'avait accompagné jusqu'au Maroc), était exposé sans le nom de son facteur ni la date de fabrication comme un vulgaire objet de l’artisanat marocain. Le plus révoltant est que ce même astrolabe, quand il est exposé à Toulouse, au Louvre à Paris ou ailleurs dans le monde (sauf au Maroc !) a devant lui un cartel qui indique : Astrolabe marocain. Fait par Abû Bakr Ibn Yûsuf à Marrakech, 1216-1217 (613 de l’Hégire).

Je me suis plaint  de cette humiliation infligée au Maroc et à ses savants, ici même à Rabat, en écrivant à des ministres et des responsables dont ce Q. Mais j’ai compris que, depuis de longues années et par expérience, les ministres marocains, même s’ils sont concernés, ne répondent jamais à ce genre de questionnements, quand leur carrière est en jeu. Par contre, le musée du Louvre, qui a, lui, une réputation à défendre, m’a répondu**. Pour me dire des choses insensées, mais il m’a répondu. Pour me dire (attachez-bien vos ceintures !) que, si les noms des savants marocains ne figuraient pas devant leur astrolabe, dans le musée de Rabat, c’était  dû simplement à un oubli malencontreux !!!
Les prêts de ces astrolabes, pour être exposés à Rabat, ont coûté des centaines de milliers d'euros et on a oublié d'écrire le nom de leurs fabricants!

Un oubli durant six mois, que personne n’a relevé, alors que mes plaintes et mes articles étaient publiés dans la presse marocaine et dans mon blog, pendant ce temps !

Je présume que le Louvre, coorganisateur et conseiller du « Maroc Médiéval » devait aussi faire la promotion des savants marocains qui ont été le phare de la civilisation marocaine à cette époque. Or, par son comportement, il a contribué à la négation de ces savants. 

J’ai donc expliqué, gentiment et sans détours au Louvre que, pour les millions d’euros qu’il a encaissés dans cette opération, il ne devrait pas être complice de la falsification de l’Histoire du pays dans lequel il est amené à travailler. Ce faisant, il devient indigne de son rang et de sa notoriété dans le monde et c’est vraiment impardonnable!

En vérité, le Louvre sait que je sais. Je pense qu'il a bien compris ce discours et bien encaissé (au moins ce que je voulais lui dire) car je continue de recevoir régulièrement les invitations aux Conférences et Colloques du Louvre à Paris.

IBN BATTOUTA ET AL IDRISSI AVANT PICASSO ET GIACOMETTI !

Si la Fondation Nationale des Musées du Maroc et son directeur voudraient être utiles au Maroc et être utiles tout court, des Expositions, avec des Conférences et des Colloques devraient être organisés sur et autour des savants et penseurs marocains et maroco-andalous. 
SAVANTS MAROCAINS ET MAROCO-ANDALOUS(liste non exhaustive)

Abû Abdallah IBN BATTOUTA (1304-1377), Géographe et explorateur

Mohammed AL IDRISSI (1100-1165) Géographe et botaniste

Abû Al Abbas IBN AL BANNA’ ALMOURRAKOUCHI (1256-1321) Mathématicien et astronome

Abû Bakr AL HASSAR (12ème siècle)  Mathématicien

Hassan Al WAZZAN dit Léon L’Africain (1483-1555) Historien, Voyageur

Abû Ishaq ZARQALI (1029-1089) Astronome, Mathématicien

 Abû Al Qassim  IBN AL SAFFAR ( ? -1035)  Astrolabiste

Ahmed Ben BASSO (12ème siècle)  Architecte de la Giralda

Abû Ali IBN BASSO ( ? – 1316) Astronome

Abû Bakr IBN YÛSUF (11ème-12ème siècle) Astronome, astrolabiste

'Ali Ibn Ibrahim Al HARRAR ( 14ème siècle ) Astronome et mouaddine à Taza

Ibn Fatouh AL KHAMAÎ'RI ( ? – 1236) Astronome, Astrolabiste

Abdallah BEN SASSI (17ème siècle) Astronome de sultans alaouites

Abbas IBN FIRNAS  (810-887) Chimiste, précurseur de l’aéronautique

Lissane Eddine IBN AL KHATIB (1313-1374) Ecrivain, Philosophe

Abû Al Walid IBN ROCHD (1126-1198) Philosophe, Médecin

Abû Ubayd AL BAKRI (1014-1094) Géographe, Historien

Nour  Eddine ALBITROUJI (? - 1204) Astronome, Philosophe

Maslama Al MAJRITI (950-1007) Astronome, Mathématicien
Jabir IBN AFLAH (1100-1160) Mathématicien, Astronome

Abû Bakr IBN BAJJA (1085-1138) Philosophe, Médecin

Abû Bakr IBN TOFAÏL(? -1185)  Médecin, Philosophe

Abû Marwane IBN ZOHR (1091 – 1162) Médecin et Homme politique


Pour l’organisation de ces évènements,  la FNMM devra se mettre en liaison avec les prestigieuses bibliothèques étrangères qui conservent, précieusement, les manuscrits de documents élaborés par nos savants :

·    Bibliothèque de l’Escurial (Espagne) : Al Bakri, Ibn Rochd, Ibn Tofaïl, Ibn Zohr, Ibn Basso, Al Bitrouji,  Ibn Aflah, Ibn Al Khatib, Ibn Firnas, Al Zarqali.  

·        Bodleian Library of Oxford (Angleterre) : Al Idrissi

·        Bibliothèque nationale de France à Paris (France) : Ibn Battouta (et traduction française), Al Idrissi, Ibn Al Banna’

·        Egyptian national library (Anc. Bibliothèque Khédiviale du Caire) Egypte : Ibn Rochd

·        Bibliothèque de la mosquée Al Azhar du Caire : Ibn Battouta

·        University of  Pennsylvania, Philadelphia :  Al Hassar

·        Bibliothèque Royale des Pays-Bas : Ibn Tofaïl

·        Bibliothèque de la Faculté de Lettres de Paris : Ibn Zohr

·        Institute of Arabic and Islamic Science, Frankfurt am MainIbn Bajja


Les principaux astrolabes et cadrans solaires fabriqués par les astronomes/astrolabistes marocains  sont conservés*** comme suit :

Abû Bakr Ibn Yûsuf, 6 astrolabes :

-        Astrolabe daté 605 Hégire,                  Musée de l’Observatoire. Strasbourg

-        Astrolabe daté 610 H,                         Musée archéologique. Rabat

-        Astrolabe daté 613 H                          Musée Paul Dupuy. Toulouse

-        Astrolabe daté 615 H                          Collection privée Baron de Larrey   

-        Astrolabe, remanié et nom changé      Instituto de Valencia de Don Juan. Madrid

-        Araignée et des tympans                    Science Museum. Londres

Ibn Fattouh Al Khama’iri, 10 astrolabes :

-        Astrolabe daté 614 H                            Dar Batha, Fès

-        Astrolabe daté 615 H                            Bibliothèque nationale, Paris

-        Astrolabe daté 615 H                            Le Caire

-        Astrolabe daté 618 H                            BTTM, Istanbul  

-        Astrolabe daté 618 H                            Museum of the History of Science, Oxford     

-        Astrolabe daté 620 H                            Turkish and Islamic Arts Museum, Istanbul

-        Mère et tympans datés 621 H               National Museum of American History, Washington

-        Astrolabe daté 621 H                            Museum of the History of Science, Oxford

-        Astrolabe daté 628 H                            MFI  Le Caire

-        Astrolabe daté 634 H                            Adler Planetarium,  Chicago



Ibn Abdallah Al Saffar, 1 astrolabe

-  Astrolabe n° 10               Institute and Museum of the History of Science, Florence             

Ahmed Ibn Basso, 1 astrolabe

-  Astrolabe daté 694 H       Real Academia de la Historia, Madrid


 Ces trésors de grande valeur historique et scientifique sont, heureusement, conservés dans des bibliothèques et des musées prestigieux étrangers qui les mettent à la disposition des chercheurs. A titre d’exemple, j’ai visité l’an dernier le British Museum de Londres, un des plus grands du monde (8 millions de visiteurs/an) qui organisait une exposition sur la Sicile. Le clou de cette exposition n’était autre qu’Al Idrissi et ses cartes géographiques du 12ème siècle. Et parmi ses cartes, il y avait la première carte de la Sicile dessinée de sa main !! Cela valait le coup de faire ce déplacement pour constater sur place comment ce géographe marocain est apprécié et respecté à l’étranger, alors que chez lui au Maroc, il n’a aucune existence !

Ce sont ces trésors et ces grands savants qui représentent l’âge d’or des sciences marocaines que l’on veut cacher aux Marocains !

On ose espérer que nos responsables vont cesser de mépriser nos propres savants et nos propres penseurs. Leur vie et leurs réalisations sont un exemple pour les Marocains et pour la jeunesse marocaine. Nos musées doivent leur être ouverts à eux ainsi qu'à nos savants et artistes contemporains.
 C’est seulement après que la FNMM aura fait connaitre la richesse de notre patrimoine historique et scientifique, à travers des expositions, des colloques et des conférences que son directeur pourra aller pleurer face à Picasso, ou face à qui il voudra.   


** EXPOSITION "LE MAROC MÉDIÉVAL". Ma discussion avec le Louvre à propos de l'absence des savants marocains dans cette exposition.

*** Extraits de Frankfurt Medieval Instrument Catalogue- TOC. 
Abdelmalek  Terkemani
Expert et Chercheur
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