dimanche 12 juin 2016

AL-IDRISSI AU BRITISH MUSEUM DE LONDRES



UN SAVANT MAROCAIN TOUJOURS RESPECTÉ À  L’ÉTRANGER ET TOUJOURS  IGNORÉ DANS SON PAYS

LE BRITISH MUSEUM, LA SICILE .....ET LE MAROC

L’évènement Histoire et Culture le plus couru cet été se déroule à Londres (21/4-14/8/2016). Le British Museum, l’un des musées les plus importants du monde, organise une fascinante exposition sur la Sicile. http://www.britishmuseum.org/whats_on/exhibitions/sicily.aspx,(Dans ce site, dans la page d'accueil, descendre jusqu'à Highlight objects et faire défiler les photos jusqu'à la carte de Sicile objet de cet article) 

 Il est rappelé dans cet évènement, la très grande richesse culturelle et historique de cette île qui a été convoitée, successivement, par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Normands et les Espagnols. Les pièces et les thèmes présentés sont judicieusement choisis de manière à souligner  l’apport de ces civilisations.

Dans cette exposition, on fait une découverte extraordinaire  qui nous remonte le moral et nous met du baume au cœur : le Maroc y est présent et y contribue de manière très convaincante. Mais si, mais si ! Et c’est une participation qui honore notre pays. Seulement voilà : ce n’est pas un de nos  ministres « concernés », de la Culture, de l’Education ou de l’Enseignement supérieur, censés promouvoir notre patrimoine historique et scientifique  ou encore le  responsable des musées au Maroc, qui nous représentent. Et heureusement, d’ailleurs!

Celui qui représente le Maroc dans cet évènement mondial, de la plus éclatante des manières, est Mohammed Charif Al-IDRISSI (1100-1165) géographe et cartographe marocain du 12ème siècle. La carte de la Sicile extraite de son ouvrage Voyage d'un passionné pour explorer l'au delà des horizonsنزهة المشتاق في اختراق الآفاق  ,  conservé à la Bodleian Library à Oxford,  est l’une des pièces maîtresses de l’exposition.
Carte de la Sicile du 12ème siècle d'AL-IDRISSI exposée au British Museum



Évidemment, Il y a comme un problème ! et un grave celui-là.  Un évènement planétaire de cette envergure dans lequel notre pays est honoré à travers l’un de nos savants les plus illustres, n’est même pas annoncé dans les sites des ministères concernés, ci-dessus indiqués ou dans les médias marocains qui en dépendent.  R.A.S.

 Mohammed Charif Al-Idrissi a écrit au 12ème siècle une œuvre monumentale sur la géographie mondiale, dont des copies sont précieusement conservées  à Oxford et à Paris. Son œuvre est l'objet de recherches dans les universités européennes et américaines, ainsi que dans les Instituts de géographie. Des hommages lui sont rendus de temps à autre, comme par exemple celui de l’Ile Maurice qui a édifié un monument en son honneur, à Port Louis, il y a quelques années. Les plus grands musées du monde, comme le British museum actuellement, le sollicitent dès qu’il s’agit de la géographie mondiale et de son histoire. Il est présent dans l’histoire de l’Europe et du monde dont il a parlé et dressé les cartes géographiques au 12ème siècle. Malheureusement, il est, à peu près, inexistant dans son propre pays, le Maroc.


Texte d'Al-Idrissi sur la Sicile projeté au British Museum
Voilà donc un savant marocain (que beaucoup de pays nous envient) qui s’impose tout SEUL dans les grands évènements culturels et historiques, sur les plus grandes scènes mondiales. Un savant qui représente l’ensemble du monde arabo-musulman, dans l’exposition du British Museum, sans que son pays ait la moindre réaction. C’est quand même quelque chose !! C'est simplement INACCEPTABLE.

On n'oublie pas que l'an dernier, l'exposition "Le Maroc médiéval", à Rabat, n'a laissé aucune place aux hommes de sciences marocains. Un astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf prêté par le musée Paul-Dupuy de Toulouse a été exposé, durant sept mois sans le nom de ce savant marocain, alors que quand il est exposé partout dans le monde, le nom du savant marocain est inscrit sur les cartels!! On ne sait toujours pas ce que les organisateurs de cette exposition, avec le Louvre comme conseiller, voulaient prouver en cachant aux Marocains les noms de leurs savants! Déjà que nous n'en avons pas beaucoup, mais quand même, laissez-les nous et qu'Allah les bénisse !

On n'oublie pas non plus qu'un astrolabe de ce même savant est exposé au musée archéologique de Rabat sans le nom du fabricant et sans date, comme s'il s'agit d'un banal objet de l'artisanat du cuivre, alors qu'il figure dans les inventaires scientifiques mondiaux de référence. Toutes ces choses ont été dites dans ce même blog et dans la presse marocaine, et c'est toujours la même réaction des responsables: Rien dit, rien vu et rien entendu...

Ces simples exemples, il y en a d'autres, expliquent la désertification des musées au Maroc, car le public marocain ne s'y reconnaît pas. Plus grave encore, ils expliquent aussi le grand vide dans nos connaissances sur notre propre patrimoine scientifique et historique que nous comblons en ayant recours à des documents et des musées étrangers. Notre propre histoire nous est "refilée", en faisant un grand détour extérieur.
Beaucoup de pays auraient profité de l'évènement du British Museum, pour mobiliser les radios, les TV, la presse écrite, les sites des ministères impliqués, pour rappeler un patrimoine aussi riche et se réconcilier un peu avec leurs propres savants. Au lieu de cela, c'est le vide du vide...
Malheureusement, nos responsables n'ont même pas réalisé la portée d'un tel évènement et du bénéfice que notre pays pouvait en tirer: En 2016, dans l'environnement mondial très tendu (pour le moins) que tout le monde connaît, un savant musulman et arabe expose une oeuvre qui représente et souligne, depuis neuf siècles, la coexistence pacifique et le dialogue entre les civilisations. Et cette œuvre de ce savant, marocain en l'occurrence, est exposée, en tant que "highlight object" dans un musée européen (7 millions de visiteurs/an), l"un  des plus grands du monde.


UN GÉOGRAPHE MAROCAIN DANS UN MUSÉE DE LONDRES

Le British Museum est le temple mondial de l’Histoire et de la Culture.  La pièce maîtresse de ce musée est la pierre de Rosette qui a permis de déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens, et de sortir de l’oubli plus de 3000 ans d’histoire de l’Egypte.

Devant le British Museum. Affiche de l'exposition sur la Sicile
L’exposition sur la Sicile dans ce musée est un évènement exceptionnel dans lequel Al-Idrissi a été vraiment la superstar. Dès l’entrée de la salle d’exposition, c’est la vitrine Idrissi qui accueille les visiteurs. L’ouvrage " Nuzhat" est ouvert à la page qui montre la carte de Sicile faite de la main du géographe marocain. Dans la même vitrine se trouve un planisphère inspiré de la carte du monde connu établie par Al-Idrissi. Plus loin dans la salle, c’est un texte d’Al Idrissi (en anglais) dans sa description de la Sicile du 12ème siècle , qui est projeté sur un mur.

Sur les prospectus distribués à volonté, il y a la carte  de Sicile d’Al-Idrissi qui est devenue le symbole de cette exposition..
Le catalogue édité par le British Museum est un outil indispensable qui présente tous les objets exposés, laissés par ceux qui avaient convoité cette île ; Phéniciens, Grecs, Romains, Arabes, Normands, Espagnols.. Là aussi, ce beau catalogue s’ouvre sur la carte de Sicile d’Al-Idrssi. Le texte qui traite de la période arabe de l’île décrit en détail la préparation et le travail de notre géographe  pour la réalisation de "Nuzhat" ou le Livre de Roger.
Le British Museum a reçu autour de 7,5 millions de visiteurs en
2015, soit une moyenne de 20.000 visiteurs chaque jour. Au bout de 5 mois d’exposition, on imagine le nombre de centaines de milliers de visiteurs, venus du monde entier, qui ont défilé devant l’ouvrage d’Al-Idrissi ouvert à la page où se trouve la carte de Sicile.
J’aurais voulu que mes compatriotes soient présents pour voir un de nos savants admiré dans l’un des plus grands musées du monde et avoir une saine fierté de notre pays. Comme cela n’était  pas  possible, une des chaînes marocaines de télévision aurait dû  dépêcher  une équipe pour faire vivre aux Marocains ces moments uniques. Malheureusement, il n’y a pas eu un seul mot au Maroc sur cette exposition et sur la présence époustouflante d’Al-Idrissi à Londres.
 
Quand on fait la découverte du British Museum et que l'on voit le comportement des décideurs à l'égard des savants marocains, on est édifié et le constat est évident: Il n’y a, malheureusement,  aucune  motivation et aucune  fierté à l’égard du très riche patrimoine scientifique et historique du Maroc.

Heureusement que les plus grands musées du monde continuent de souligner la contribution des savants marocains dans différents domaines des sciences et de la culture. De ce fait, nos savants marocains mettent notre pays en haut de l’affiche, sans même que nos ministres concernés le désirent et sans même qu'ils y accordent le moindre intérêt par ignorance et par indifférence.
 


COMMENTAIRES SUR LA CARTE DE SICILE D'AL-IDRISSI

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1.L’ouvrage d’Al-Idrissi نزهة المشتاق في اختراق الآفاق  , Voyage d'un passionné pour explorer l'au delà des horizons a été écrit en 1154, après 17 années de préparation en Sicile, et édité à Rome en 1592. Il en existe quelques très rares copies dont la plus ancienne est conservée par la Bodleian Library à Oxford. Une autre copie est conservée dans la Bibliothèque nationale de France à Paris.

   2.Pourquoi les cartes des géographes arabes et italiens de l'époque   médiévale sont-elles orientées Sud-Nord?   La  carte de Sicile d'Al-Idrissi, exposée au British Museum, est extraite de la copie d'Oxford. Le texte de présentation de la carte ci-dessus dit: As on most maps from the Arab world, north is at the bottom. Elle est effectivement orientée avec le nord en bas. Les musées, les chercheurs et les universitaires s'interrogent souvent sur le pourquoi de cette présentation inversée. Certains y voient même un mystère ou un ...code caché. L'explication se trouve précisément dans l'orientation donnée par l'astrolabe. C'est assez technique et cela donne le tournis mais il faut bien en finir avec cette question:
Dans la conception de l'astrolabe, il est nécessaire de situer les astres dans le ciel. Pour cela, les Arabes ont introduit dans la trigonométrie une coordonnée qui aide à mieux positionner cet astre; c'est l’angle azimut السمت . Cet angle A, une des deux coordonnées pour situer une étoile dans le ciel, est calculé à partir de l'axe Sud, comme l'indique la figure. La 2ème coordonnée est l'angle h, hauteur de l'étoile.  
Coordonnées locales A et h
On aura une symétrie, par rapport à l'axe sud, des figures projetées sur le plan. A cause de cette propriété, le point de suspension de l'astrolabe est le point sud, le nord se retrouvant en bas. Le Levant
المشرق se retrouve à gauche et le couchant  المغرب  est alors à droite, comme on le voit sur l'astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf, écrit en arabe.                                                                         



ORIENTATION DE L'ASTROLABE.: OUEST A DROITE, EST A GAUCHE

  Cette orientation de l'astrolabe permet de différencier les heures avant-midi  et après-midi. Les cartes des géographes arabes et italiens de l'époque médiévale ont été alors orientées comme l'astrolabe. Cette pratique n'a pas été utilisée tout le temps. Profitons des facilités techniques actuelles pour présenter la carte de la Sicile dans le "bon" sens.     

                                                                                                                                     
Carte de Sicile d"AL-IDRISSIorientée Nord-Sud
3.Sur cette carte, on note la forme triangulaire de la Sicile, les Îles éoliennes, le détroit de Messine entre l'Italie et la Sicile. Les volcans Etna et Strombouli qu'Al-Idrissi appelle جبل النار  montagne de feu, sont bien situés et toujours actifs..La deuxième grande île est la Sardaigne, indiquée en rouge:  سردنيه  

    4. Sur le côté gauche de la carte, Al-Idrissi a écrit:                    
       الجزء الثاني من الإقليم الرابع , Section 2 du Climat 4. Al-Idrissi a divisé la carte du monde connu selon les latitudes en 7 régions, appelées Climats,  إقليم, en partant de l'équateur vers les pays scandinaves. Dans le sens des longitudes, la carte est divisée en 10 sections, جزء . Le résultat est un quadrillage de 70 cellules dont 68 sont occupées, chacune par une carte portant les numéros de section et de Climat. La carte du Maroc actuel est située sur la section 1 du Climat 3. Celle de la Sicile correspond à la Section 2 du Climat 4, comme je l'indique avec la flèche sur la carte du monde d'Al-Idrissi, suivante :                                                                                            


CARTE DU MONDE D'AL-IDRISSI DU 12ème SIÈCLE, AVEC INDICATION DU MAROC ET DE LA SICILE
    
  La carte de la Sicile n'est qu'une infime partie de l’œuvre monumentale d'Al-Idrissi, au 12ème siècle. Mais sa présence au British Museum, est une reconnaissance de la contribution de la civilisation arabo-musulmane, au même titre que les autres civilisations et solidaire avec elles, dans le partage des connaissances pour le progrès de l'Humanité.                                               

Note: Lire sur le même sujet
   
   On peut laisser des commentaires dans la page facebook  Maroc histoire et culture.        
                                                                                       

Abdelmalek  Terkemani
         Expert et chercheur

3 commentaires:

  1. voici un témoignage insolite ... après (ou plutôt avant) Piri Reis, le Turc...on comprend que les cartes du monde médiéval (et incipiento-médiéval) nous sont arrivées par le biais des civilisations du sud...à méditer. MJ

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    1. Merci, Cher lecteur, pour ces informations. Elles m'aident à parfaire mes propres connaissances sur les cartographes et les géographes de l'époque médiévale. Merci, encore. AT

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  2. Bonjour,

    La carte de Al Sharif el-Edrissi est la première à représenter l'Ile Maurice, mais je ne vois pas où est-ce qu'elle est représenté

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