vendredi 27 décembre 2024

SAVANTS MAROCAINS DANS L'HISTOIRE


Par Abdelmalek Terkemani

PUENTE  ABBAS IBN FIRNAS  CORDOBA



  • Comme chaque année, l’Europe fête les « Journées du Patrimoine», une manière de rappeler et de faire connaître des Hommes, des événements et des monuments marquants dans l’Histoire de l’Humanité. En 2024, le Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy de Toulouse (France) a organisé, pendant deux jours, ces « Journées » autour de l’astronome marocain du 13ème siècle, Abû Bakr Ibn Yûsuf et de son astrolabe, conservé depuis plus d’un siècle dans ce musée.
  • En 2011, un pont a été édifié sur le Guadalquivir à Cordoue (Espagne) et porte le nom du savant maroco-andalou Abbas Ibn Firnas.
  • Une route entre Malaga et Grenade en Espagne porte le nom du géographe marocain Al-Idrissi, car elle révèle, à travers ses écrits, ce qu’était la vie de cette région au 12ème siècle. De même, dans une place de Port-Louis capitale de l’Ile Maurice, en plein Océan indien, un monument et un planisphère ont été édifiés en l’honneur de Mohammed Al-Idrissi, car il a été le premier à indiquer la présence de cette ile sur une de ses cartes géographiques, il y a neuf siècles.
  • Le plus grand Mall du Moyen Orient à Dubaï porte le nom du géographe/voyageur marocain Ibn Battouta. Ce dernier est considéré par le prestigieux Observatoire de Greenwich (Londres) comme l’un des plus grands Voyageurs dans l’Histoire, au même titre qu’Ulysse, Marco Polo et Christophe Colomb.
  • Afin de souligner l’apport des savants musulmans aux sciences, l’Union Astronomique Internationale a honoré, en 1933, ces savants en donnant leur nom à des cratères de la Lune ! Parmi ces 25 savants, huit sont marocains ou maroco-andalous : Al-Bakri, Al-Bitrouji, Al-Mourrakouchi, Al Zarqali, Ibn Bajja, Ibn Battouta, Ibn Firnas et Ibn Rochd. 
  • Des astrolabes, des quadrants, des cadrans solaires, des globes célestes, des cartes géographiques, des livres de savants marocains et maroco-andalous sont conservés (certains depuis de nombreux siècles) dans des musées et des bibliothèques prestigieux en Espagne, au Portugal, en Italie, en Belgique, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Egypte, en Turquie et aux Etats-Unis d’Amérique.

Ce document est une tentative pour la présentation des savants marocains et de leurs œuvres, dans l’Histoire. Ces derniers ont opéré essentiellement dans le domaine de l’astronomie. Et ce domaine s’appuie sur des disciplines les plus diverses, comme les mathématiques, la physique, la chimie des métaux, la géographie, la connaissance du mouvement des étoiles et des planètes. C’est ce qui prouve l’étendue des connaissances et de la maîtrise de ces disciplines par  ces savants.

La majorité des œuvres de ces savants sont conservées dans des bibliothèques et des musées prestigieux à l’étranger. Les œuvres de quelques savants marocains, sont conservées dans certains musées au Maroc, mais malheureusement ne sont pas mises en valeur et, le plus souvent, ne sont accompagnées d’aucune note explicative ni sur l'histoire de ces instruments scientifiques ni sur leur fonctionnement.

L'objectif ici est de faire connaître ces trésors, en particulier au public marocain, et d'inciter les responsables marocains de l’Education nationale, de la Culture ou des Musées d'en prendre conscience. Car l'histoire de notre pays sera absolument incomplète, si elle ne met pas en valeur les Hommes illustres du Maroc et parmi eux, ses savants. 

 SAVANTS MAROCAINS ET LEURS ŒUVRES

Ce document est le fruit de recherches approfondies sur l’astronomie musulmane, de visites de musées, de bibliothèques et d'expositions dans de nombreux pays d'Europe, en Turquie, en Egypte et, naturellement au Maroc.

Le nom des savants est donné selon l’ordre alphabétique.    

GEOGRAPHES MAROCAINS

ABÛ ABDALLAH IBN BATTOUTA أبو عبد الله إبن بطوطة 

1304-1370       Tanger

  • « Rihla », Récits de nombreux voyages de 117 000 km, de Tombouctou (Mali actuel) jusqu'à la Volga au Nord et à Guanzou, sur la route de la soie en Chine. Avait assuré quelques missions diplomatiques pour le Sultan Abou Lhassan Ali en Afrique et en Al-Andalous.

Un cratère de la Lune porte son nom : Ibn Battouta

MOHAMED AL-IDRISSI     محمد الإدرسي

(1100-1165) Sebta et Sicile

  •  نزهة المشتاق في اختراق الآفاق ou « Livre de Roger », 1154.
  • Version du 16ème  siècle, conservée à Bodlean Library à Oxford/Angleterre
  • Version du 16ème siècle, conservée à la Bibliothèque nationale de France, Paris
CARTE DU GLOBE TERRESTRE D'AL-IDRISSI, 1154
 

ASTRONOMES MAROCAINS ET MAROCO-ANDALOUS

 

ABDALLAH BEN SASSI    عبد الله بن ساسي

17ème siècle    Safi

Astronome de Sultans alaouites. Son astrolabe est conçu pour fonctionner sous la latitude du palais royal de Meknès, des villes de Safi et Marrakech. Saint vénéré dans sa ville de Safi, son tombeau a été détruit lors des travaux d’extension du port de cette ville, dans les années 90.

  • Astrolabe daté de 1099 H, conservé au History of Science Museum à Oxford/Angleterre

                ABÛ ALI AL HASSAN AL MOURRAKOUCHI 

13ème siècle  Marrakech et Le Caire

Astronome et mathématicien marocain dans le domaine de la trigonométrie et de l’astronomie pratique.

  •  جميع المبادي و الغايات في علم الميقات  Recueil des principes et objectifs de la mesure du temps  

C’est un traité sur l’astronomie sphérique et les instruments astronomiques, écrit au Caire entre 1276 et 1282. Cet ouvrage a été traduit par J.J.E  Sédillot (1777-1832), orientaliste et astronome français. (Conservé à l’Imprimerie Royale, Paris)

 

ABÛ AL QASSIM ABBAS IBN FIRNAS        أبو القاسم عباس إبن فرناس

810-887  Ronda et Cordoue

Astronome, chimiste et précurseur de l’aéronautique. Comme preuve pratique de ses théories, il aurait sauté, avec une espèce de parachute, du haut du minaret de Cordoue. (Minaret dont j’ai escaladé l’escalier en janvier 2024)

Concepteur d’une sphère armiliaire et d’un planétarium.

Un cratère de la Lune porte son nom. En 2011, un pont sur le Guadalquivir à Cordoue a été inauguré et porte son nom : Puente Abbas Ibn Firnas

AHMED BEN HUSSAIN BASO    باسوأحمد بن حسين 

13ème siècle   Grenade                           غرناطة

Mouaquit dans la Grande Mosquée de  Grenade

Astrolabe daté 664 H, conservé à Real Academia de Historia, Madrid

ABÛ BAKR IBN YÛSUF   أبو بكر بن يوسف

13ème siècle    Marrakech   

  • Astrolabe daté 605 H, conservé au Musée de l'Observatoire, Strasbourg

Cet astrolabe a été étudié dans tous ses détails de construction par le mathématicien français F. Sarrus, dans « Description d’un astrolabe construit à Maroc en l’an 1208 », en 1852.

  • Astrolabe daté 610 H  conservé au Musée des Civilisations, Rabat (anonyme !)
  • Astrolabe  daté 613 H  conservé au Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy, Toulouse

Cet astrolabe est étudié dans ses détails de construction par R. D’Hollander  dans « l’Astrolabe, Histoire, Théorie et pratique »

  • Astrolabe  daté 615 H,  Collection privée Baron de Larrey (médecin personnel de Napoléon Bonaparte)
  • Astrolabe daté 603 H, dédié à Abû Mohammed Abd-al Haqq, prince Almohade à Marrakech (vendu par Sotheby's à Londres en 2007) 
Astrolabe de Abû Bakr Ibn Yûsuf démonté.
Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy, Toulouse.


              ABÛ AL ABBAS IBN AL BANNA   أبو العباس إبن البناء

1256-1321 Marrakech

Mathématicien et astronome, sous l’ère almohade et mérinide

  • Œuvres  sur l’analyse combinatoire. Sommaire des opérations arithmétiques et Lever du voile sur les opérations de calcul.    تلخيص أعمال الحساب و رفع الحجاب  

Un cratère de la Lune porte son nom : Al Marrakushi   

 AHMED BEN MOHAMED BEN HAROUN AL HADAMI

14ème siècle Marrakech

  • Astrolabe, daté 728 H, fabriqué à Marrakech, conservé au  Musée Dar Batha, Fès.                                                                        

ALI IBN AHMED TILIMSANI    علي إبن أحمد التلمساني

14ème siècle Fès

Astronome de Abû Inane, Sultan mérinide. Mouaquit à Fès

Concepteur de l’Horloge de Madrasat Al Bou’ananya.

ALI IBN IBRAHIM AL HARRAR     علي إبن إبراهم الحرار                14ème siècle   Taza

Mouaquit et Mouaddine à Taza

  • Astrolabe daté 728 H, conservé au History of Science Museum, Oxford/Angleterre.

Il s’agit d’un astrolabe universel, fonctionnant indépendamment de la latitude du lieu de mesure, unique en son genre appelé « Lamina universelle d’Oxford ». Son étude est également traitée par R. D’Hollander.

HASSAN BEN AHMED AL BATTOUTI   حسن بن أحمد البطوطي

18ème siècle  Tanger et Tétouan ?

Astronome, comme son frère Mohamed Ibn Ahmed Al Battouti

  • Astrolabe daté 1103 H, conservé au National Museum           of American History, Washington/USA
  • Astrolabe daté 1106 H, conservé au Museum of Islamic Art, Le Caire

IBRAHIM BEN MOHAMED ARAQQAM  إبراهم إبن محمد الرقآم     

14ème siècle   wadi Esh (Guadix)

  • Astrolabe daté 720 H, conservé à Real Academia de Historia, Madrid

IBRAHIM IBN SAÏD AS SAHLI   إبراهم إبن سعيد السهلي

11ème siècle  Valence et Tolède

  • Astrolabe daté 459 H, conservé à Museo Arqueológico Nacional, Madrid
  • Astrolabe daté 460 H, conservé à History of Science Museum, Oxford
  • Astrolabe daté 463 H, conservé au Museo Astronomico, Rome
  • Globe céleste daté 478 H, conservé au Museo di Storia della Scienza, Florence (œuvre réalisée avec son fils astronome, Abû Abdallah Ibn Ibrahim)

MOHAMED BEN AHMED AL BATTOUTI  محمد بن أحمد البطوطي

18ème siècle  Tanger et Tétouan ?

  •    Astrolabe daté 1136 H, conservé au National Museum of       American History, Washington.USA 
  •   Astrolabe daté 1136 H, collection Prof. Henri Terrasse
  •   Astrolabe daté 1138 H conservé dans la Grande Mosquée de Fès-Jadid
  •   Astrolabe, daté 1141 H conservé au History of Science Museum, Oxford/Angleterre
  •   Astrolabe daté 1141 H, conservé au Musée Batha, Fès
  •   Astrolabe daté 1142 H, conservé à la Bibliothèque générale, Tétouan
  •   Quadrant daté 1142 H, conservé à la Bibliothèque générale, Tétouan
  •   Astrolabe daté 1146 H, collection Billmeir
  •   Astrolabe daté 1150 H, conservé au National Maritime Museum, Greenwich/Angleterre

  MOHAMMED BEN FATTOUH AL KHAMAÏRI           محمد بن فتوح الخمايري

13ème siècle Séville et Marrakech

   Astronome sous l’ère almohade. Certainement le plus         grand constructeur d’astrolabes, compte tenu du   nombre    de musées à travers le monde où les siens sont     conservés.

  •   Astrolabe daté 613 H, conservé à Osservatorio     Astronomico, Roma
  •   Astrolabe daté 614 H, conservé au Musée Dar Batha, Fès
  •  Astrolabe daté 615 H, conservé à la Bibliothèque nationale de France, Paris
  •  Astrolabe daté 618 H, conservé à Museum of the History of Science in Islam, Istanbul
  •  Astrolabe daté 615 H, conservé à Cattaoui Pacha, Le Caire
  •  Astrolabe daté 618 H, conservé à History of Science Museum, Oxford/Angleterre
  •  Astrolabe daté 621 H, conservé à History of Science Museum, Oxford/Angleterre
  •  Astrolabe daté 634 H, conservé à Adler Planetarium, Chicago/USA
Astrolabe de Ben Fattouh Al Khamaïri, conservé à
Adler Planetarium de Chicago, USA.


       MOHAMED BEN ABDALLAH SANHAJI     محمد بن عبد الله الصنهاجي

14ème siècle  Fès

  Constructeur d’une horloge à eau (clepsydre) dans la        mosquée Quarawiyyines, en 717 H. Celle-ci avait remplacé l’horloge construite par Mohamed Al Habbak en 685 H. 

En 738 H, Abu Zayd Abderrahman, disciple d’Ibn Al Banna, avait couplé cette horloge à un astrolabe.

 

     MOHAMED BEN SAÏD AS-SABAN    محمد بن سعيد الصبان

11ème siècle  Madinat Al Faraj/Guadaljara

  • Astrolabe daté 466 H, Emplacement actuel inconnu. Auparavant conservé à National Museum, Munich.
  • Astrolabe daté 474 H, conservé à History of Science Museum, Oxford/Angleterre

MOHAMED  SAFFAR        محمد الصفار

15ème siècle  

  • Astrolabe daté 882 H, conservé à Museum of Islamic Art, Le Caire
  •  Astrolabe daté 882 H, conservé à Fitzwilliam Museum, Cambridge/Angleterre
  • Astrolabe daté 886 H, conservé à History of Science Museum, Oxford/Angleterre
  • Astrolabe daté 898 H, conservé à Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles

OTHMAN BEN ABDALLAH ASSAFFAR عثمان بن عبد الله الصفار

13ème siècle  Fès

  • Astrolabe daté 699 H, conservé à Museo di Storia della Scienza, Florence

NOUR EDDINE AL BITROUJI  نور الدين البطروجي

12ème siècle, né au Maroc et installé en Al-Andalous

Astronome et disciple d’Ibn Tofayl

  • Théorie des orbites planétaires. Livre sur l’astronomie, remise en cause du système géostationnaire datant de Ptolémée, savant grec.

Un cratère de la Lune porte son nom latinisé : Alpetragius  

    

Abdelmalek Terkemani

Pour en savoir plus :

  • Description d’un astrolabe construit à Maroc en l’an 1208 . F. Sarrus, 1852
  • Islamic astrolabists and their works .L.A. Mayer, 1956
  • A Catalogue of Medieval Astronomical Instruments. D.A.King, 1990. Frankfurt/Main
  • L’Astrolabe, Histoire, Théorie et Pratique. R. D’Hollander, 1999  

 

 

jeudi 12 septembre 2024

UN ASTRONOME MAROCAIN POUR SYMBOLISER LE PATRIMOINE SCIENTIFIQUE EN EUROPE EN 2024 ...



ARAIGNÉE DE L'ASTROLABE D' ABÛ BAKR IBN YÛSUF, ASTRONOME MAROCAIN                      Photo Musée Paul-Dupuy

UNE TRÈS BONNE NOUVELLE !

Le "Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy" de Toulouse organise "LES JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE" , les 21 et 22 septembre 2024. Cet évènement se déroulera autour  d’Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain du 13ème siècle. C'est une excellente nouvelle!

Ce savant avait construit de nombreux astrolabes à Marrakech, souvent conservés en Europe, et dont l’un est conservé dans ce musée de Toulouse.

Cet astrolabe a fait partie de la collection de Pierre-Paul Riquet, constructeur du Canal du Midi. On se demande, alors, si cet instrument n’avait pas été utilisé pour les relevés topographiques dans ce projet pharaonique, au 17ème siècle. Il est conservé au musée de Toulouse depuis 1893.

Il est daté 615 H, soit 1218, donc sous l’ère almohade, d’une grande élégance et est considéré comme un modèle  de rigueur scientifique. Il a été disséqué et étudié dans les livres les plus prestigieux et les plus aboutis sur  la théorie, la pratique et l’histoire de l’astrolabe. La photo, ci-dessus, montre une pièce essentielle de cet astrolabe. Cette pièce s’appelle Al 3ankaboute العنكبوت  en arabe, l’araignée en français et rete en anglais C’est un concentré des sciences astronomiques, physiques, trigonométriques et géographiques, d'il y a 800 ans. Elle préfigure ce que nous appelons le réseau ou le web aujourd’hui. Elle représente une partie du ciel autour de la Terre et les crochets représentent 25 étoiles les plus brillantes du ciel aux latitudes méditerranéennes, et donc au Maroc. Sous chaque crochet, Abû Bakr avait gravé, avec une calligraphie divine, le nom de l’étoile correspondante. Le Soleil est matérialisé par son orbite projetée sur un plan, sous forme d'une couronne circulaire.  

ASTROLABE D'ABÛ BAKR IBN YÛSUF DÉMONTÉ              Photo Musée Paul-Dupuy

 J’avais découvert cet astrolabe dans ce même musée à Toulouse, en 1965 ! Le temps passe….  

Depuis, j’ai dévoré tout ce que j’ai eu entre les mains sur cet astrolabe et sur les savants astronomes marocains. Visité des bibliothèques et des musées à travers le  monde, sur ce sujet. Partagé ce savoir dans des exposés et conférences dans des lycées, des facultés de sciences, des Ecoles d’Ingénieurs au Maroc et en France. Publié des dizaines d’articles sur les savants marocains dans l’Histoire et sur l’astronomie musulmane. Fait construire un astrolabe par une astronome en France, pour les latitudes de Marrakech, Casablanca et Fès.

Je tiens à remercier et à féliciter le "Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy" de Toulouse, pour cette initiative qui rend hommage à l’astronome marocain Abû Bakr Ibn Yûsuf et qui honore le Maroc.

UNE TRÈS MAUVAISE NOUVELLE !

L’astronome marocain Abû Bakr Ibn Yûsuf n’a, tout simplement, aucune existence au Maroc !! Lui et une vingtaine de savants marocains sont exclus des programmes d’enseignement du primaire au supérieur et des Musées du Maroc. Il y a quelques années, ce même astrolabe avait été exposé pendant 6 mois, lors de l'exposition "Le Maroc Médiéval", dans un Musée à Rabat, bien volontairement, sans le nom d’Abû Bakr Ibn Yûsuf (pourtant gravé au dos) lequel a été effacé des cartels. Une honte absolue et une indignité sans nom d’un soit-disant responsable de musées.

  Les responsables des Départements de l’Enseignement, de la Culture et de la Fondation  des Musées au Maroc, ont décidé que le public marocain ne doit jamais savoir qu’il y a eu des savants marocains dans l’Histoire du Maroc. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Ces savants ne sont pas dans des livres, pas dans les cours à l’Ecole, au Lycée et dans les Facs, jamais dans des documentaires scientifiques à la Télé, pas dans des films, pas sur des timbres-poste. Leur tombe, quand elle existe, est dans un état déplorable (Ibn Battouta à Tanger) ou carrément rasée (Abdallah Bensassi à Safi). Les répliques de leurs cadrans solaires, leurs astrolabes, leurs quadrants, leurs globes célestes et leurs cartes géographiques d’il y a 800 ans ne sont jamais utilisées pour décorer des jardins publics, des entrées de facultés, des amphithéâtres, des préaux de lycées ou, bien évidemment, des bureaux de ministre au Maroc. Leur nom n'est jamais (ou très rarement) donné à des rues, des boulevards ou des places publiques.    

Pendant ce temps, des bibliothèques et des musées à l'étranger conservent précieusement, respectueusement et dignement, des livres et des astrolabes de ces savants marocains, en Espagne, au Portugal, en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Egypte, en Turquie et aux Etats-Unis d’Amérique...

Je publierai, bientôt, la liste des savants marocains dans l’Histoire, avec l’inventaire de leurs œuvres ainsi que les musées dans lesquels celles-ci sont conservées. Vous serez surpris, comme je l'ai été moi-même, par le nombre et le grand prestige des bibliothèques et des musées à travers le monde, où elles sont conservées. 

Depuis des siècles, ces savants représentent dans ces pays la civilisation marocaine, chose que les responsables actuels ne veulent absolument pas entendre. C'est une malédiction terrible qui poursuit notre pays: Des savants marocains qui font honneur au Maroc et à son Histoire , sont glorifiés à l'étranger, mais restent barrés chez eux au Maroc par de hauts responsables, vraiment pas à la hauteur du patrimoine scientifique marocain, et qui n'accordent aucun intérêt aux Grands Hommes du Maroc et aux trésors qu'ils ont légués.

En attendant, Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain du 13ème siècle, avec son astrolabe défendra, seul, l’honneur des savants marocains et du Maroc, dans le "Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy" à Toulouse, lors des "JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE", les 21 et 22 septembre 2024.

Abdelmalek Terkemani


  • Pour en savoir plus sur l'histoire et le fonctionnement de cet astrolabe, suivre le lien:

https://marocitineraires.blogspot.com/2015/07/abu-bakr-ibn-yusuf-astronome-marocain.html 

  • Site du musée Paul-Dupuy:

https://museepauldupuy.toulouse.fr/journees-europeennes-du-patrimoine-2024/ 

On peut laisser des commentaires dans la page facebook  Maroc histoire et culture

 





 

mardi 20 août 2024

20 AOÛT 1953, UNE DATE TRAGIQUE DANS L'HISTOIRE DU MAROC

 TÉMOIGNAGE 



Pour avoir résidé et travaillé dans environ trente pays africains*, dont Madagascar, durant plus de vingt ans à partir de 1981, dans le cadre de la coopération  internationale,  je voudrais apporter mon témoignage sur un évènement marquant dans l’histoire de notre pays. Il s'agit de l’exil de S.M Mohammed V en Corse et à Madagascar, en terre africaine le 20 août 1953, un événement significatif dans la lutte pour l'indépendance du Maroc et dans les prémices de l'Unité Africaine
FEU MOHAMED V CONDUISANT LA PRIERE DURANT SON EXIL EN 1954 À

 ANTSIRABÉ/MADAGASCAR

Durant mon séjour en Afrique subsaharienne, j'ai pu recueillir les sentiments de ce côté-ci de l'Afrique, sur comment "l'affaire marocaine", au début des années 50, était perçue par ceux qui l'avaient vécue, quarante ans plus tôt : Pendant ces dures années de l’épreuve et lors des négociations avec la France qui avaient suivi , le Souverain et le peuple marocains étaient alors considérés comme les porte-drapeaux de toute l’Afrique, dans le bras de fer qui se jouait entre les puissances coloniales et les pays africains, arabes et asiatiques colonisés. A cette époque, tous les mouvements nationaux de libération d’Afrique et d’ailleurs étaient à l’écoute de ce qui se passait dans une petite ville de l’île de Madagascar, en terre africaine : Antsirabé, lieu d’exil  du Souverain marocain et de sa famille.
Voici un bref rappel des événements qui avaient mené de la lutte pour l'indépendance du Maroc jusqu'à la première base de lancement de l'Unité africaine à Casablanca.

LA MARCHE VERS L’INDÉPENDANCE DU MAROC                                                                         
Cette marche peut être résumée dans les événements essentiels suivants :         

  • 1921-1926 :        Soulèvement et Guerre du Rif                          
  • 11 janvier 1944: Signature du Manifeste pour l’indépendance    
  • 1947 :                 Discours de Tanger
  • 1947- 1953 :     Manifestations, soulèvements et répressions     dans tout le Maroc
  • 20 août 1953 :    Déposition et exil du Sultan du Maroc

Entre temps, le 18 juin 1945, dans l’allégresse de la libération en France, le Sultan du Maroc, Mohamed Ben Youssef avait assisté à Paris, à côté du Général de Gaulle, au défilé de la France Combattante. Dans ce défilé de la Victoire, étaient présents  également les vaillants soldats et goumiers marocains, héros de la bataille de Cassino, prélude à la libération de l’Europe et de la France en particulier, de l’emprise nazie. À cette occasion, il avait été fait Compagnon de la Libération. C’est donc envers l’un des rares Compagnons de la Libération étrangers, qui avait contribué grandement à la libération de la France, que  cet acte inqualifiable de déposition et d’exil avait été perpétré.
L’embrasement qui allait s’ensuivre, à travers tout le Maroc, ne s’arrêtera qu’avec le retour triomphal du Roi au Maroc, le 16 novembre 1955. Un an plus tard marquera la Déclaration de l'Indépendance du Maroc.

LES ROUTES DE L’EXIL 

Routes de l'exil en Corse puis à Madagascar
Le départ en exil a lieu le 20 août 1953. Il y a encore des générations de Marocains qui se souviennent  de cette journée où le Maroc s’était retrouvé,  d’un seul coup, orphelin de son Roi.
Le premier lieu d’exil  a été la Corse. Après quelques mois, et pour prévenir toute tentative commando  pour libérer le Roi, un autre lieu d’exil a été décidé.  En effet, de nombreux soldats marocains étaient restés en Corse après sa libération et les Corses se souviennent encore de leur bravoure dans la terrible bataille du col de Teghime en octobre 1943, comme indiqué sur la stèle érigée sur le lieu de cette  bataille : « Remplis du souvenir d'une lumière unique, leurs yeux sont fermés aux Brumes d'occident, Seigneur, permettez que les durs guerriers de Berbérie qui ont libéré nos foyers et apporté à nos enfants le réconfort de leur sourire se tiennent contre nos épaules et qu'ils sachent, ô qu'ils sachent Seigneur combien nous les avons aimés. »


Lalana Mohamed V Road, dans le centre historique d'Antananarivo
Madagascar devait être le deuxième lieu d’exil, bien loin du Maroc.  Le voyage de la Corse à Madagascar est effectué dans des conditions « militaires ». Les escales sont faites dans des bases militaires solidement armées: Fort-Lamy, actuelle Ndjamena  et Brazzaville. Ce périple à travers l’Afrique avait provoqué un élan de sympathie extraordinaire envers ce Roi, arraché à sa terre pour avoir réclamé l’indépendance de son pays.  En même temps, il y avait l' éveil des consciences africaines à la lutte anti-coloniale  : les pays africains avaient également envoyé la fine fleur de leur jeunesse pour combattre  les armées hitlériennes pour la libération de la France. Ils voyaient, à travers cet avion qui se dirigeait vers Madagascar, la réponse brutale et injuste à toute demande d’indépendance.

ANTSIRABÉ, CAPITALE DU MAROC

Au cours d’un séjour à Antsirabé, en 1997, j’ai longuement discuté   avec des amis malgaches de cette ville, Dr Nour’Aly Nazar’Aly et Dr Rakotondrinibe maire d’Antsirabé, de ces années tristes de l’histoire du Maroc. Les visites de marché, de mosquée, de l’hôtel des Thermes (où j’ai résidé), avec des personnalités malgaches qui ont vécu ces évènements sur place, m’ont beaucoup rapproché de l’ambiance durant cet exil.  Même si moi-même, à l’époque de cet exil, je n’avais que  9 ans, mais réalisant parfaitement, comme tout le peuple marocain, la gravité et le tragique de la situation.      
L’île de Madagascar  se trouve à l’autre bout de l’Afrique, 10.000 km du Maroc. Non loin de là, se trouve la Réunion, encore une île ! où avait été exilé, en 1926, Mohammed Ben Abdelkrim al-Khattabi,  un autre héros mythique du Maroc. 
Hôtel des Thermes à Antsirabé . Photo Terkemani de 1997
Le lieu de résidence du Souverain et de sa famille était la petite ville d’Antsirabé et précisément, l’Hôtel des Thermes. Feu Hassan II avait parlé de l’arrivée de la famille Royale dans cet hôtel, en janvier 1954, (« Le Défi », page 57)  « C’est ainsi que nous nous retrouvâmes tous à Antsirabé, à 160 km au sud de Tananarive à l’hôtel des Thermes, établissement qui me semblait évadé d’un roman de  Joseph Conrad, annoté par Marcel Proust ».


SM Mohammed V et SM Hassan II à Antsirabé
 Le peuple malgache  est extrêmement doux et accueillant. Mesurant parfaitement le désarroi et l’isolement  de la famille Royale marocaine, on a désigné quelques familles malgaches pour faire partie du cercle proche des princes et des princesses.  C’est un réel soutien pour la famille Royale dans l’épreuve de l'attente et de l'éloignement qui allait commencer. En souvenir de cette époque, Madagascar a donné le nom de Mohammed V à la plus belle artère d’Antananarivo (Tananarive) qui débouche sur la Place de l’Unité Africaine. Certainement, en reconnaissance du rôle prépondérant  de S.M. Mohammed V et du Maroc dans la création de l’Organisation panafricaine.
Mystérieuse ville d'Antsirabé qui ressemblerait à Ifrane et dont le nom restera associé à jamais à l'histoire du Maroc. On m'a expliqué l'origine et la signification de ce nom: Un haut personnage malgache ayant habité ces lieux par le passé, aimait de manière excessive la cuisine très salée. Il avait demandé alors de faire venir le sel de partout, de l'île de Madagascar. "Ant" indique un lieu, "sir" signifie sel et "bé" veut dire gros. En d'autres termes, Antsirabé signifie "là où il y a beaucoup de sel.    
La communauté musulmane d’Antsirabé avait une grande  affection et beaucoup d'estime pour ce Roi qui résistait à la deuxième puissance coloniale du monde. Ce Roi  qui venait, avec dignité, s’enquérir de ses problèmes et conduire  les prières du vendredi dans la  mosquée, de la rue Pasteur. Dans celle-ci, on trouve encore les livres de Coran, marqués du sceau de Mohammed V.
Partage d'un couscous à la mosquée
Pendant ce temps, le soulèvement populaire au Maroc s’amplifiait et chaque coup d’éclat  de la résistance marocaine renforçait notre Roi à l’autre bout de l’Afrique, dans ses positions. Sous la forte pression populaire marocaine, sous la pression internationale et aussi de quelques voix courageuses qui s’étaient élevées en France même, celles de l'écrivain François Mauriac, de Charles-André Julien, de François Mitterrand, d’Alain Savary etc., les négociations avec S.M. Mohammed V étaient devenues incontournables.
Au début, les émissaires et les négociateurs  venaient de Paris à Antsirabé avec des propositions sous forme d’ultimatums ! Par la suite et au fur et à mesure, les positions du gouvernement français  s’assouplissaient, sous la pression continue du peuple et du Mouvement national  marocains. Les yeux du monde arabe, de toute l’Afrique et des peuples colonisés de la terre étaient tournés vers Antsirabé. Personne n’était dupe : si l’objectif immédiat des négociations était l’indépendance du Maroc et le retour du Roi, le résultat, à très court terme d’un  tel dénouement, est l’écroulement des empires coloniaux français et anglais.
Ces négociations allaient se dérouler sur neuf mois, à partir de janvier 1955. Les habitants d’Antsirabé allaient vivre au rythme des cortèges des émissaires du gouvernement français. Leur cœur penchait, tout naturellement, vers l’un des leurs : S.M. Mohammed V.
 Visite en pèlerinage en 1959 à Antsirabé
En évoquant cette période de lutte, d’âpres négociations, à armes inégales, et de grandes espérances pour l’ensemble du continent africain, les Malgaches disaient qu’Antsirabé était la capitale du Maroc ! C’était bien vrai : cette ville était la résidence d’un chef d’Etat et, de surcroit, les négociations qui s’y déroulaient devaient décider de l’avenir de cet Etat, le Maroc.
C’est couronné de succès que S.M. Mohammed V et sa famille quittèrent Antsirabé et retournèrent au Maroc le 16 novembre 1955,  après un court séjour en France pour finaliser les Accords pour l’indépendance du Maroc. 
En 1959le Roi du Maroc accompagné du Prince Moulay Hassan, effectua une visite à Antsirabé, en signe d'amitié et de gratitude pour les habitants de cette ville et pour le peuple de Madagascar. 

   
CONSÉQUENCES SUR LE CONTINENT AFRICAIN

Tout naturellement, le dénouement de ce que l'on avait appelé « l’affaire marocaine » allait créer un précédent. Madagascar qui avait apporté tout le soutien moral nécessaire au Maroc, accède, dans la foulée à l’indépendance en juin 1960. Ce pays est alors, l’un des premiers à gagner son indépendance dans cette zone de l’océan indien.
 Depuis cette époque, de puissants liens sentimentaux existent entre le Maroc et Madagascar que ni le temps ni la distance  ne peuvent altérer.  
Riche de son expérience dans sa lutte pour l’indépendance, le Maroc, porté par l'aura de S.M. Mohammed V, était devenu un appui moral et matériel de poids aux mouvements de libération, à travers l’Afrique. Nos frères algériens en savent quelque chose.
Parmi ses efforts en vue de garantir un développement harmonieux du continent, celui qui devrait  doter l'Afrique d’institutions fortes et crédibles n’est pas le moindre. Le Roi Mohammed V avait réuni, en 1961 à Casablanca, le Groupe africain progressiste qui porte le nom de cette ville.  
Construction de l'Unité Africaine: Les Leaders de l'Afrique libérée, à la sortie de la salle de réunion à Casablanca en 1961.

Cette photo est historique à plus d'un titre. Elle a été prise à la sortie de la réunion du Groupe de Casablanca pour la construction de l'Unité africaine, en 1961. Cette réunion avait lieu dans l'ancienne préfecture de Casablanca, Place Mohammed V.  Les Leaders de l'Afrique libérée qui y figurent sont, de gauche à droite:
Le futur Roi HASSAN II du Maroc, le Président Jamal ABDEL NASSER d’Egypte, le Président Kwame NKRUMAH du Ghana, le Président Ferhat ABBAS du GPRA d’Algérie, le Président Sékou TOURÉ de Guinée, le Président Modibo KEÏTA du Mali et le Roi MOHAMMED V du Maroc.



* C'est avec un pincement au coeur que je réécris le nom des pays africains dans lesquels j'ai travaillé au développement de réseaux de télécommunications, durant plus de 20 ans, depuis 1981. Je salue fraternellement tous mes collègues africains avec lesquels nous avions fait, sur le terrain, du mieux que nous pouvions pour concrétiser la coopération inter-africaine.

BÉNIN, BURKINA FASO, CAMEROUN, CAP VERT, CENTRAFRIQUE, CÔTE D’IVOIRE,  ÉGYPTE, GAMBIE, GHANA, GUINÉE,  GUINÉE BISSAU, GUINÉE ÉQUATORIALE, ÉTHIOPIE, MADAGASCAR, MALI, MAURITANIE, NIGER,  OUGANDA, KENYA,  RWANDA, SÉNÉGAL, SIERRA LEONE, SOUDAN, TANZANIE, TCHAD, TOGO, TUNISIE, ZIMBABWE.
 
  
Abdelmalek Terkemani
Expert et chercheur 
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