Gobelet acheté à Tordesillas avec la carte du Traité |
L’HISTOIRE
DU "MAROC PORTUGAIS" DESSINÉE SUR UN …GOBELET
Le "Maroc portugais" correspond à la période où 13 ports marocains
étaient occupés, militairement, par le Portugal. Cette période va de 1415 à l’occupation
de Sebta, jusqu'à 1769 date de l’évacuation
d’El Jadida par le Portugal. Ces villes portuaires sont, avec leur nom
actuel :
Sebta
(1415-1640)
Ksar
Essghir (1458-1550)
Tanger
(1471-1662)
Asilah
(1471-1550)
Larache
(1489)
Mahdia
(1515)
Casablanca/Anfa
(1515-1775)
Azemmour
(1515 -1541)
El
Jadida (1485-1769)
Safi
(1488-1541)
Souira
Laqdima (1506-1525)
Essaouira
(1506-1525)
Agadir
(1505-1541)
De
nombreux monuments, comme la citerne portugaise à El Jadida ou Ksar Al Bahr à
Safi montrent bien cette présence passée portugaise au Maroc.
A
cette époque, l’instabilité politique du pouvoir au Maroc avait conduit à
l’amputation de toute sa côte atlantique. Dans ce contexte, deux dates restent
marquantes pour comprendre le déroulement des événements : 1494 et 1578.
En
1494, L’Espagne et le Portugal vont signer le « Traité de
Tordesillas ». Ce traité n’est, ni plus ni moins qu’un partage du monde
entre ces deux pays !! Sur la carte annexée à ce traité, une ligne de partage est dessinée en plein océan
atlantique : « Ce qui est à droite de cette ligne est à toi et ce qui
est à gauche est à moi. ». Et à droite de cette ligne, ce sera la zone
d’influence du Portugal et de ce fait le Traité de Tordesillas va laisser les
mains libres à ce pays pour consolider et étendre son occupation des ports
marocains atlantiques.
La
résistance marocaine à cette occupation n’avait jamais cessé et c’est en 1578
la grande victoire marocaine de Oued Al Makhazine (ou Bataille des Trois Rois)
avec la mort du roi du Portugal Dom Sebastian 1er, présent à la tête
de son armée à Ksar Elkébir, qui va pousser le Portugal à quitter, un à
un, les ports marocains.
Mais
où se trouve donc Tordesillas ? Cette ville où était signé le traité qui décidait
de l’avenir de notre pays. Et de celui de l’Amérique centrale et de l’Amérique
du Sud !
En
quoi consiste le « Traité de Tordesillas » ? Pourquoi a-t-il été
signé par l’Espagne et le Portugal ?
Enfin,
comment les Saâdiens ont-ils libéré le pays et mis un terme au "Maroc
portugais" ?
TORDESILLAS
Je
suis allé à Tordesillas pour voir de près une ville où le sort de notre pays
devait se décider, au 15ème siècle. Et pour voir aussi ce que je pouvais
apprendre d’autre que ce qui est dans les livres.
Tordesillas
est une ville espagnole de Castille (8.000 h) située au Nord-Ouest de Madrid et
proche de la frontière avec le Portugal. Dans cette ville (un gros village), tout tourne autour
du Traité de 1494 qui porte son nom. Il
y a une rue et une place du Traité. Plusieurs cafés portent un nom rappelant ce
traité. Il y a aussi le Musée du Traité. Les quelques boutiques pour touristes
vendent des foulards, des gobelets, des assiettes et des T-shirts avec la carte
du Traité. Dans une place, sur un mur haut et large d’une dizaine de mètres, il
y a cette fameuse carte du Traité (voir ci-dessous) qui sépare le monde en deux
parties : une espagnole et l’autre portugaise !! Et c’est dans cette dernière
que se trouve le Maroc !
En
été, il fait très chaud (40°) à Tordesillas et il y a très peu de touristes
dans cette ville. Ils préfèrent certainement les plages espagnoles à cette
histoire de partage du monde ! Mais cette ville veut aussi sa part du gâteau
touristique espagnol, seulement elle n’a
que cette histoire d’un traité qui a été signé dans ses murs, et elle le fait
savoir.
Accessoirement,
on découvre aussi dans cette ville une autre histoire triste et cruelle, dont
on ne parle pas beaucoup : A Tordesillas, Jeanne La folle/ Juana la Loca
(fille d’Isabelle la Catholique), avait été maintenue prisonnière jusqu’à sa
mort, à l’écart du pouvoir, parce qu’elle
serait folle, pour laisser la place à
son fils l’empereur Charles Quint ! Mais c’est une autre histoire, dont on
ne parle pas beaucoup, à Tordesillas.
1494 TRAITÉ DE TORDESILLAS-TRATADO DE TORDESILLAS
En
1494, donc seulement deux ans après l’expédition de Christophe Colomb en
Amérique, les deux puissances maritimes mondiales, l’Espagne et le Portugal
voulaient s’éviter des guerres, chaque fois qu’un territoire ou la moindre île
étaient découverts. Ils avaient donc conclu de signer un traité pour se
partager le monde : Tratado de Tordesillas.
CARTE DU TRAITÉ DE TORDESILLAS |
Cette
ligne de partage coupe le continent sud-américain au niveau d’un territoire,
atteint, en premier, par le Portugais Pedro Alvarez Cabral, et qui sera, par la
suite, le Brésil. Et donc le partage s’était fait de la manière suivante :
Tout ce qui est à l’Ouest de cette ligne, l’Amérique centrale et l’Amérique du
Sud seront des colonies espagnoles. A l’Est de cette ligne, le Brésil, la côte
atlantique marocaine, quelques archipels, et la côte ouest de l’Afrique seront
des zones d’influence du Portugal. Et c’est pour cette raison, que le seul pays sud-américain où l’on parle portugais est le Brésil !
Après
le voyage du Portugais Magellan (pour le compte de l’Espagne !) en Asie,
passant par le détroit qui portera son nom en Amérique du Sud, d’autres
aménagements seront apportés au Traité de Tordesillas.
Il
faut ajouter que cette colonisation du monde, consolidée par le Traité de
Tordesillas, avait obtenu l’aval et la bénédiction de l’Eglise, à travers les
bulles du Pape Nicolas V.
Un
peu plus tard, l’Angleterre, la France et les futurs Pays-Bas vont se lancer à
leur tour dans cette course aux colonies, sans tenir compte du « Traité de
Tordesillas », car disaient-ils, « nous ne sommes pas concernés par
ce Traité car nous ne l’avons pas signé » !
Par
la suite et dans les faits, de nombreux traités genre Tordesillas, ont été
signés, pour se partager les colonies, au cas par cas, surtout entre
l’Angleterre et la France.
Donc
ce traité peut paraître bien prétentieux, mais il faut bien constater que c’est
à Tordesillas, une ville insignifiante de Castille, qu’une grande partie du monde
a été façonnée depuis le 15ème siècle.
UNE GRANDE VICTOIRE MAROCAINE POUR LIBÉRER LE PAYS : LA BATAILLE DE OUED AL MAKHAZINE
Au 16ème
siècle et suite au Traité de Tordesillas, le Maroc privé de sa côte atlantique
était asphyxié. Le Portugal,
l’Espagne et l’Empire Ottoman (lequel voulait un accès sur l’Atlantique,
déjà !) avaient des visées sur le Maroc. Le Portugal qui
avait des possessions tout le long du littoral marocain,
méditerranéen et atlantique, et déjà les appelait « le Maroc
portugais », était le premier à
franchir le pas. Depuis quelques années, la décision était prise non pour
coloniser le Maroc mais pour le rattacher définitivement au Portugal, comme une
simple province de ce pays ! Et dans cette entreprise, le Portugal avait
l’appui et la bénédiction de l’Eglise, à travers la bulle du Pape Nicolas V (Romanus
Pontifex). Le contenu de cette bulle était clairement un appel aux
Croisades !
En juillet 1578, 35.000 soldats portugais surarmés (et
quelques milliers de mercenaires de plusieurs pays d’Europe)
débarquent à Tanger, avec à leur tête le roi du Portugal, Dom Sébastien 1er,
en personne. Ils marchent, ensuite sur Larache pour se mesurer aux troupes
marocaines au nord de Ksar el Kébir, sur les bords de la rivière Oued Al
Makhazine, affluent du Loukkos.
La bataille mémorable d’Oued Al Makhazine ,du lundi 4
août 1578 , est, à coup sûr, la plus grande victoire marocaine, de surcroît
pour libérer le territoire national et bouter dehors une armée
d’agression ! Pour le Portugal, il s’agit du plus grand désastre dans
l’Histoire de ce pays : 14.000 morts Portugais et 20.000 captifs, contre
3.000 morts Marocains.
Au cours de cette bataille, trois rois sont
morts, le même jour : Mohamed Al Moutawakil, sultan
imposteur, Abou Marwan Abd Al Malik, sultan saâdien et
Dom Sébastien 1er, roi du Portugal.
Ahmed Al-Mansour Assaâdi qui combattait à
la tête de 10.000 cavaliers marocains, est proclamé Sultan du Maroc,
sur le champ de bataille. Son premier geste, magnanime, a été de rendre la
dépouille du roi Dom Sébastien au Portugal.
La débâcle portugaise à Ksar el Kébir (Alcácer Quibir en portugais) a eu un effet considérable en Europe et dans le monde musulman, et pas pour les mêmes raisons. Le Portugal était alors une grande puissance maritime mondiale. Cette défaite marque le début de la perte des possessions portugaises sur le littoral marocain (sauf Sebta et Mlilia qui sont rendues à l’Espagne !). Le sort du roi Dom Sébastien, mort loin de ses terres, a beaucoup ému ses compatriotes portugais. Son mausolée à Belém près de Lisbonne est l’un des monuments historiques les plus visités et les plus vénérés. Il fait partie de l’histoire que le Portugal ne cherche pas à renier. L’émotion au Portugal a été tellement grande qu’elle a donné naissance au « sébatianisme » : Contre toute évidence, les Portugais croyaient que Dom Sébastien n’était pas mort à Ksar el Kébir et qu’il finira par réapparaître. De faux Sébastien s’étaient déclarés dans plusieurs pays, au Portugal, en Espagne, en Italie et jusqu’en 1962 au Brésil…
J’ai visité le monastère des Hiéronymites à Lisbonne
où il y a une nécropole royale portugaise, avec un tombeau dédié à Dom
Sebastian 1er du Portugal. Mais une rumeur insistante indique, sur
place même, et dans de nombreux documents que ce tombeau serait ….vide. Ce qui
est une autre histoire !
COMMENT PARLER D'UNE HISTOIRE DE GUERRE EN TEMPS DE PAIX ?
Le Traité de Tordesillas et le "Maroc
portugais" datent de plusieurs siècles. Le monde a changé depuis. La
preuve : Le Maroc, l’Espagne et le Portugal sont tombés d’accord pour
organiser la Coupe du Monde de football en 2030 ! Parmi les
infrastructures communes prévues, il y aura tôt ou tard un tunnel sous-marin
entre le Maroc et l’Espagne et donc une liaison fixe Afrique-Europe.
Seulement voilà : l’Histoire commune entre ces trois pays continue d'être écrite, en Espagne et au Portugal, sur des cartes dessinées sur des murs des villes, sur des T shirts, sur des gobelets, des foulards et des assiettes vendus à des touristes. C'est une autre manière de faire connaitre l'histoire, qui s'ajoute à celle des bibliothèques. Alors que de notre côté, il n’y a rien de tout cela, ou si peu.
L’histoire des pays s’apprend dans les livres et dans
les musées. Malheureusement, les musées marocains ne remplissent pas cette
fonction. Faudra-t-il alors nous aussi rappeler Oued Al Makhazine et sa date,
pour apprendre notre Histoire à notre jeunesse et à nos visiteurs, sur des
tagines, des gobelets, des foulards ou des tapis…. ?
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