QUAND LES SAVANTS ARABO-MUSULMANS ÉTAIENT LA RÉFÉRENCE...
On utilise le calendrier pour avoir des repères dans l’histoire passée ou
quand on se projette dans les temps à venir. Mais quelle est l’histoire du
calendrier lui-même? Par quel cheminement est-il arrivé jusqu'à nous? Comment est-on arrivé à calculer le temps mis
par la Terre pour effectuer une révolution autour du Soleil avec un tableau de
12 mois, selon un cycle toujours recommencé, depuis plus de 2000 ans? Et dans ce
calendrier dit occidental, qui est en fait le produit d’un travail collectif de plusieurs
civilisations, quel a été l’apport, rarement reconnu, des savants arabo-musulmans?
Le Soleil ou la Lune ?
Pourquoi donc s'intéresser au calendrier, dit occidental, alors que chaque année nous le tenons pour acquis et tout naturel?
Parce que ce
banal petit tableau à 12 colonnes, qui règle la vie quotidienne des hommes sur
terre a nécessité des siècles d'efforts, de recherches et aussi de querelles
entre mathématiciens, astronomes, hommes politiques et religieux avant de nous
parvenir sous sa forme actuelle.
Révolution de la Terre autour du Soleil |
L'histoire du
calendrier coïncide forcément avec l'histoire de l'humanité. Pendant des
siècles, il a donné l'impression d'être intouchable et, pour tout dire,
perpétuel; jusqu'au moment de l'âge d'or de la civilisation arabo-musulmane où
les hommes de science allaient jeter les bases de la seule et unique réforme du
calendrier opérée par l'Occident.
Car on ne le
sait pas assez, ce sont les savants musulmans qui vont produire et fournir à
l'Occident de puissants outils mathématiques nécessaires à la réforme de
"son" calendrier, alors même que le monde musulman dispose du sien
propre.
Le temps,
notion métaphysique difficile à définir, ne peut être ni arrêté ni avancé, ni
remonté. Un auteur anglais, devant le définir n'a pas trouvé mieux que de le
considérer comme " cette chose qui déferle"....
Nombre de
poètes et de philosophes ont essayé de contourner cette réalité obsédante, mais
la satisfaction ne dure qu'un instant éphémère. " Ô ! Temps suspends ton
vol" disait Lamartine, pour prolonger un moment idyllique; il ne reçut
qu'un retentissant écho: " et pendant combien de temps?". Omar
Khayam, poète de l'amour et mathématicien hors pair, croyait résoudre cette
énigme, en ces termes: " Ghadoune
bizahri lghayb, wal yawmou li" (demain c'est l'inconnu, mais
aujourd'hui m'appartient). Cette Robaiyate popularisée par la voix éternelle
d'Oum Kaltoum est toujours là, mais demain est arrivé!
Puisque le
temps ne peut être ni remonté ni accéléré, sinon par la pensée, alors autant le
mesurer. La mesure du temps qui passe a été l'une des préoccupations
majeures et obsédantes de l'homme depuis le début de l'humanité. Nous sentons,
en nous-mêmes, que nous durons et nous vieillissons et ce sentiment a une
correspondance et un répondant extérieurs qui se manifestent par le déplacement
apparent de deux astres dans le ciel: la lune et le soleil.
Depuis le début
des temps les hommes, n'ayant pas de repères fiables sur terre, ont rattaché la
mesure du temps à ces deux astres. La lune apparaît, croît jusqu'à devenir
pleine, décroît et disparaît… puis réapparaît pour recommencer son cycle. Le
soleil se lève et se couche; après le jour la nuit, et après la nuit le jour.
Tout
naturellement, la mesure du temps s'est basée, au départ, sur le cycle lunaire,
ce qui a donné naissance au calendrier lunaire grec, romain, musulman ou
chinois. En apparence, la lune rend mieux compte du temps qui passe. Le soleil,
en effet, présente chaque jour la même image.
Mais avec le
temps, les hommes avaient de plus en plus besoin de repérer en nombres de jours
l'arrivée d'événements tels que la pluie ou la crue des fleuves qui
garantissent leur besoin quotidien, c'est-à-dire leur propre nourriture. C'est
à partir de là qu'est née l'idée d'un calendrier qui coïncide avec les saisons.
Ces dernières, au nombre de quatre dans le pourtour méditerranéen, reviennent
de manière périodique, depuis le début des temps. Aussi une durée qui couvre
les quatre saisons a-t-elle été appelée année solaire, mais c'est beaucoup plus
tard que l'on saura que l'année solaire est en fait le temps mis par la terre
pour effectuer un tour complet autour du soleil !
L'année solaire
dure 365 ou 366 jours, alors que l'année lunaire (12 cycles lunaires) dure
environ 354 jours. C'est ce décalage de 11 à 12 jours que nous constatons d'une année à l'autre
pour notre mois de Ramadan.
Mais alors qui
a inventé ce calendrier improprement appelé occidental et qui coïncide
théoriquement avec le cycle des saisons ? Car il ne s'agit pas seulement
d'alterner des mois de 30 et 31 jours (28 ou 29 pour février), encore faut-il
qu'il fasse toujours chaud en juillet, froid en décembre ou que les moissons se
fassent en juin. Qui donc a inventé ce petit tableau à 12 colonnes, génial et
souvent infernal avec ses dates fatidiques auxquelles le monde entier reste
suspendu? Sans lui, le monde actuel avec son Amérique et son Europe basculerait
dans le Moyen Âge et même un peu avant: plus de rendez-vous, plus de plans
annuels ou quinquennaux, plus d'échéances bancaires, plus d'horaires d'avions….
L'histoire ne serait plus qu'un épais brouillard et l'avenir un long tunnel
noir sans repère. Une simple erreur sur la date de la seule journée du 1er
janvier 2000 a
failli ratatiner les systèmes informatiques qui gèrent le monde! Que serait-il
advenu de nous s'il n'y avait pas de calendrier du tout?
Le paysan
égyptien sur les berges du Nil....
Le Nil des sources à la Méditerranée |
Les hommes sur terre
sont devenus "le peuple du calendrier". Quelle est ta date de
naissance? Que feras-tu le mois prochain? Sans la date de ce journal que vous
tenez entre les mains et les dates données dans les articles, ces derniers
seraient incompréhensibles.
Le calendrier
tel qu'il nous est parvenu, n'a pas été inventé en un jour ni par un seul
homme. Il est le produit de grandes civilisations : égyptienne, mésopotamienne,
romaine, indienne et arabe. S'il faut citer des noms, il ne nous serait pas parvenu sans la décision
d'hommes politiques tel que Jules César, le Romain, et sans les découvertes
faites par les grands génies de l'humanité comme Al
Khawarizmi,
l'irakien père de l'algèbre moderne, Al Battani le mathématicien-astronome
anatolien, Omar Khayam le mathématicien iranien ou Copernic l'astronome polonais. Mais, bien avant eux, il faut citer le trait de génie de l'anonyme
paysan égyptien qui, il y a plus de 10.000 ans, pour garantir sa subsistance,
décida de compter le nombre de jours séparant deux grandes crues du Nil et trouva
ce que nous utilisons aujourd'hui pour l'année solaire, c'est-à-dire entre 365
et 366 jours!
D'après l'histoire connue, on s'accorde, en
général, à faire démarrer le calendrier avec la fondation de Rome, en 723 av.
J.C. D'ailleurs, nos anciens à nous au Maroc, l'appellent le calendrier
"Roumi", et ils font bien de l'appeler ainsi. Au départ, il était
lunaire. Au fil des ans, il s'écartait, naturellement, des dates essentielles
des opérations agricoles et des célébrations qui les accompagnaient. Afin de le
repositionner, les empereurs romains "maîtres du temps" (magister
temporis) étaient amenés à rallonger des mois ou carrément à en rajouter
d'autres. Ces manipulations du calendrier n'étaient pas toujours sans arrière-pensées
politiques et causaient troubles et révoltes. Le calendrier suivait ainsi son
chaotique chemin jusqu'à Jules César (101-44 av. J.C.). Ce dernier, au cours
de ses conquêtes, fit une expédition en Egypte. La grande Histoire ne retient
de ce périple que ses amours avec la reine Cléopâtre dont naquit un petit
Césarion (heureux ces temps où les chefs d'Etat tombaient amoureux l'un de
l'autre!) et le cinéma a souvent repris cet épisode, avec notamment la reine
d'Egypte sous les traits de la belle Elisabeth Taylor.
Mais l'histoire
du calendrier qui nous intéresse elle, va être bouleversée. C'est que les
élites qui accompagnaient César en Egypte, allaient découvrir que ce pays se
servait d'un calendrier solaire qui a la particularité de coller aux saisons.
L'Egypte était (est) un pays qui doit son existence au Nil. Ce fleuve rythme,
par ses crues, la vie de sa population: Saisons des crues, puis labours,
ensuite semis enfin moissons. Ce cycle se répète depuis des milliers d'années.
Le paysan égyptien, bien avant les pharaons, avait besoin de connaître le
moment précis de la crue du fleuve. Il eut alors l'idée lumineuse de repérer le
niveau maximal de l'eau en opérant une encoche sur les tiges de roseau plantées
sur les berges du Nil; et à partir de cet instant, de compter le nombre de jours
avec des cailloux. Un jour, un caillou. A la crue suivante, et quand son repère
est atteint, il arrêtait de compter. Étalée sur les ans, cette méthode donnait
une durée comprise entre 365 et 366 jours, exactement ce que nous utilisons
aujourd'hui pour l'année solaire! Par la suite, et avec le savoir des pharaons,
on avait constaté que le moment précis de la crue du Nil correspondait à une
position précise du soleil (Râ) dans le ciel. Cette position est repérée par l'ombre d'un obélisque, par exemple. A partir de là, la mesure du temps n'était plus rattachée à
une crue mais à la position de l'astre de feu dans le ciel, de là le calendrier
solaire.
C'est tout de
même extraordinaire: le Nil prend sa source dans le cœur de l'Afrique centrale
(Région des
Grands Lacs), parcourt miraculeusement plus de 6600 km, à peu près deux fois
la distance Casablanca-Paris, et vient donner la vie à l’Égypte et….y
fonctionner comme une véritable horloge! De ce fait, le Nil est la mère de l’Egypte,
mais il était aussi l’horloge du Monde ! Néanmoins, il faut préciser ici que ce cycle des crues naturelles s'est arrêté depuis la construction du Haut Barrage d'Assouan en 1970.
Une fois la
durée en jours d'une année connue, le reste n'est plus qu'une affaire
d'arithmétique et de beaucoup, de manipulations politiques. Le nombre de mois est
lui suggéré par le fait que 12 cycles lunaires couvrent à peu près le cycle des
saisons.
Le
calendrier julien
Jules César
s'empara donc en Egypte de ces données de base et de retour à Rome, imposa le
nouveau calendrier, "modestement" appelé calendrier julien. On fait
alterner des mois de 30 et 31 jours. La durée moyenne d'une année est de 365
jours plus un quart de jour. Pour résoudre le problème du quart de jour, on comptera 365 jours pour
trois années successives et 366 jours pour la quatrième qui sera bissextile.
Empire romain |
Pour être
associé au calendrier, Jules César donna son nom au beau mois de Juillet (Julius),
un mois de 31 jours, bien entendu, et de surcroît le mois des moissons! Plus
tard, l'empereur Auguste, pour ne pas être du reste, donna son nom au mois
d'août, rallongé d'un jour à l'occasion (31), quitte à voler un jour au pauvre
mois de février. Cette pratique, de donner le nom d'empereurs aux mois allait
devenir la règle et on a failli avoir tibérus pour septembre; mais l'empereur Tibère,
tyran à ses heures, refusa avec modestie devant le Sénat qui le lui proposait
et lança " Et que ferez-vous après le douzième empereur?" ; L'affaire
était close. D'ailleurs, il savait lui que César qui avait voulu régenter le
temps et appartenir à l'éternité, a eu sa propre vie écourtée puisqu'il est
mort assassiné, un an après le début de son propre calendrier.
Le calendrier
est promulgué donc en l'an 45 avant J.C et, comme on le voit et contrairement à une idée largement
répandue, il n'a strictement rien à voir, à son début, avec le christianisme.
Jésus Christ
est né 45 ans plus tard à Bayt Lahm (Bethléem) en Palestine, territoire
colonisé (déjà!) par les Romains. Vu de Rome toute puissante, cet évènement qui s'est déroulé dans la périphérie de l'empire romain passa inaperçu. Ce n'est que cinq siècles plus tard, après la conversion de l'empereur Constantin, que le comptage des années avant et après J.C a été instauré.
Principales dates du calendrier
-723 : Fondation de Rome
- 44 : Début du calendrier julien (Jules César)
0 : Début du calendrier moderne, mais le zéro n'existait pas encore.
882 : Calcul de la durée d'une année solaire par Al-Battani, 365j. 48 m 24 s
15/10/1582 : Début du calendrier grégorien.
1750: Adoption du calendrier réformé par l'Angleterre.
1949 : Adoption par la Chine de Mao Zedong.
Les Hommes de science musulmans et le calendrier
Le calendrier
ainsi suivi, de manière immuable, va tenir pendant 16 siècles avant d'être
ébranlé: C'est qu'entre temps une nouvelle religion, l'Islam, allait naître et
donner naissance à une civilisation arabo-musulmane au rayonnement
considérable. Les savants musulmans maîtres des mathématiques et de
l'astronomie, vont remettre alors en cause la justesse de ce calendrier et il
faut insister, d'un point de vue strictement scientifique.
Au début du 7
ème siècle, l'Islam naît en Arabie Saoudite. Le calendrier musulman démarre
l'année de la Hijra,
migration de Sidna Mohammed de la
Mecque à Médine, ce qui correspond à l'an 622. Il est lunaire
conformément au Coran qui dit, concernant le mois de Ramadan : "….Dès que l'un
d'entre vous verra apparaître le croissant de la lune, alors qu'il jeûne".
Ce calendrier sera instauré par le 2ème
Khalife Omar Ibnou El Khattab en 634.
En deux à trois
générations, le monde musulman s'étalait de la Chine à Jabal Tarik (Gibraltar), en Espagne, au
sud de l'Italie et jusqu'aux portes de Rome. Les sabres recourbés de l'Islam
n'expliquent pas à eux seuls les succès foudroyants et l'implantation durable
dans ces immenses territoires. Suivant strictement les recommandations de
Rassoul Allah, disant que le savoir et la connaissance sont aussi
des facteurs qui assurent les triomphes et le progrès. Ces armées procédaient aux conquêtes
(foutouhates) en s'appuyant sur deux éléments de base : l'Islam et la
langue arabe. L'Islam assurait le ciment entre les peuples et la langue arabe le moteur pour véhiculer le savoir.
Les
civilisations des nouveaux territoires ont été rapidement assimilées et développées.
De la confrontation positive des savoirs arabe, perse, hindou, égyptien, romain et
hellénique vont naître de nouvelles découvertes.
Les nouveaux
almanakhs (almanachs) musulmans ne donnaient pas seulement des dates, mais des
informations sur les astres, sur le temps et sur les saisons agricoles.
En peu de
temps, le rayonnement de la civilisation arabo-musulmane était devenu immense.
Le flux des connaissances allait de l'Orient vers l'Occident, alors en plein
Moyen Âge, à travers les avants postes du monde musulman, comme Tolède ou
Palerme. La bibliothèque de la
Cordoue musulmane allait devenir la plus importante dans le
monde avec 400.000
livres.
Au 9ème
siècle sous le Khalifat Abbasside, Baghdad était devenue la capitale culturelle
et scientifique du monde. Une grande université, Bayt Al Hikma – Maison de la Sagesse – est construite
en 833 autour de la plus grande bibliothèque d'Orient après celle d'Alexandrie.
Ce Bayt Al
Hikma allait devenir un creuset culturel et le siège d'un bouillonnement
scientifique sans précédent. C'est ainsi que l'Occident allait recevoir des
trésors de savoir, y compris son propre héritage, quand les savants arabes
allaient sauver et traduire les pères de la logique occidentale comme Aristote et Euclide.
Un événement, à
lui seul, peut donner la mesure du décalage scientifique d'alors entre Orient
et Occident: C'est lorsque Haroun Arrachid (celui-là même des Mille et Une
nuits) envoya en guise de présent, une clepsydre (horloge à eau) en laiton à
Charlemagne, le plus grand empereur en Occident à cette époque. Arrivée à
Aix-la-Chapelle (aujourd'hui Aachen en Allemagne), la délégation portant le
cadeau mécanique découvrit "une cour où les gens comptaient avec leurs
doigts" alors qu'à Bayt Al Hikma on étudiait les constellations et on
cherchait à mesurer la circonférence de la Terre. Cet événement
révéla à Charles le Grand la supériorité de l'Orient et l'incita plus tard à
créer l'école. D'ailleurs une chanson disait avec ironie:
Qui a eu cette
idée folle
Un jour
d'inventer l'école
C'est ce sacré
Charlemagne
Sacré
Charlemagne…
Pendant ce
temps, le monde musulman se préparait à édifier les universités d'Alazhar au
Caire et des Quarawiyyines à Fès.
Si l'on devait
traiter exclusivement ce que les hommes de science arabo-musulmans ont apporté
comme outils scientifiques à la mesure du temps et donc au calendrier, en
dehors des autres domaines (médecine, architecture, agriculture, etc.), quatre
noms se détachent nettement et doivent être cités.
Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala |
Plus important
encore est le traité d'Al Khawarizmi appelé en latin "Algoritmi de numero
indorum" où il explique l'utilisation du système numérique: 1, 2, 3, 4,
... ces chiffres indiens au départ, mais développés par les Arabes et ensuite adoptés par
l'Occident comme chiffres arabes. Les successeurs du grand savant à Bayt Al Hikma vont
développer son traité pour aboutir à l'invention du zéro. Cette découverte qui
nous fait sourire quelquefois, va révolutionner le calcul mathématique
restreint jusqu'alors aux seuls nombres entiers. Le nombre latin V, XII
n'existe évidemment pas, mais le nombre 5,12 existe et il a une signification
avec les chiffres arabes, c'est toute la différence. Alors qu'avant on comptait
I puis II ensuite III.... on ne considérait que trois nombres entiers et on
sautait tout ce qui avait entre, c'est-à-dire une infinité que les Arabes
appelaient les nombres décimaux.
Comme on le
sait, Dame nature n'est pas toujours docile et les nombres qui caractérisent
son évolution ne sont pas toujours entiers. C'est ainsi que, en utilisant les
astrolabes, le globe et leurs connaissances trigonométriques, les savants de
Bayt Al Hikma allaient découvrir que la durée moyenne de l'année solaire n'est
pas de 365 jours et un quart de jour(365,25) mais ....... 365,242199 jours.
Le deuxième
grand savant qui a travaillé dans la
Maison de la
Sagesse est Abdoullah Ibn Jabir Al Battani (850-929), connu
en Occident sous le nom latin d'Albaténius. Ses recherches et ses calculs l'ont
amené à prouver que la distance entre la Terre et le Soleil varie en cours d'année, ce que
nous expliquons aujourd'hui par l'orbite elliptique décrite par le globe
terrestre. Il a affiné le temps annuel et l'a estimé à 30 secondes de ce qu'il
est aujourd'hui.
Les travaux
d'Al Battani ont servi de base aux astronomes européens par la suite. En
particulier, le grand savant Copernic (1473-1543) qui expliqua le mouvement des
planètes autour du soleil dans son ouvrage" De Revolutionibus", fit
grand usage des travaux d'Al Battani pour établir sa propre théorie. Et il le
dit. Retenons que cette reconnaissance arrive tout de même 6 siècles plus tard,
nous en donnerons l'explication plus loin!
Le troisième
savant est Abou Rayhan Mohammed Ibn Ahmed Al Birouni (973-1048). Il a travaillé
sur les équinoxes et les latitudes. Ses ouvrages essentiels traitent de la
chronométrie. Il établit une chronologie des principaux événements de
l'histoire selon le calendrier musulman. Accessoirement, il dressa la liste de
720 médicaments avec leurs noms en cinq langues différentes.
Le quatrième
savant, certainement le plus populaire, connu par sa poésie, les Robaiyates,
est Omar Ibn Ibrahim Al Khayam (1048-1131), surnommé Omar Khayam. Il a
travaillé pendant 18 ans en tant qu'astronome à l'observatoire d'Ispahan, à 300 km au sud de Téhéran. Il
développa les principes algébriques d'Al Khawarizmi et estima la durée de
l'année solaire à 365,24198 jours. Il élabora un calendrier solaire de huit
années bissextiles tous les 33 ans. C'est évidemment assez complexe, mais la
durée moyenne de l'année serait beaucoup plus proche de la valeur réelle que les
365,25 jours utilisés. A ses contemporains qui lui reprochaient de manipuler le
calendrier, il répliqua dans une de ses Robaiyates:
Voilà que bien
des gens me reprochent de faire
Entrer le temps
divin dans un cadre serré
Soit! Mais
est-ce si mal de vouloir en extraire
Des lendemains
morts-nés, des hiers trépassés?
Maintenant des
questions s'imposent. Les savants musulmans ont leur propre calendrier,
pourquoi donc s'intéressent-ils à l'année solaire et au calendrier occidental ?
Parce que le calendrier musulman est basé sur le cycle lunaire et il n'est dit
nulle part qu'il devait coïncider avec les saisons. Le calendrier occidental
est basé sur le cycle solaire (maintenant nous disons que c'est la terre qui
tourne autour du soleil et ce serait plutôt le cycle terrestre) et devait
théoriquement coïncider avec le cycle des saisons. Les savants musulmans, forts
de leur puissant système numérique et de la foudroyante invention du zéro, de
l'utilisation du globe et du gnomon (cadran solaire), sont arrivés à calculer
la durée de l'année solaire dans un souci de vérité scientifique. Comme ils
l'ont fait dans leurs travaux astronomiques pour d'autres étoiles. Seulement
voilà, les hommes sur terre utilisent la durée de l'année solaire pour le
calendrier et cette durée est fausse.
Un lecteur non
averti sur ces questions pourrait penser qu'avec cette kyrielle de chiffres
après la virgule dans la durée de l'année solaire, les savants musulmans
cherchaient, comme on dit ici, "un étui pour une faucille"(jwa manjel).
Le fond de l'affaire est autre.
La différence entre 365,25 et 365,242199 jours
n'est que 0,007201 jour (voilà qu'on retrouve l'utilité du zéro), ce qui fait
des poussières de jour et dans une année cela reste imperceptible. Seulement
voilà: au moment où ces calculs étaient faits, 1626 ans s'étaient
écoulés depuis le début du calendrier julien et cela fait un décalage de plus
de 11 jours! Résultat, le calendrier occidental dérive par rapport aux saisons
et cet écart va grandissant, puisqu'à chaque cycle la durée réelle est plus
petite que la durée du calendrier. Moralité, pour repositionner le calendrier,
il fallait "éponger" quelques jours! Les savants musulmans plaçaient
d'ailleurs le débat, disons de manière élégante, sur un plan strictement
scientifique.
Mais revenons
sur terre et à la réalité de la fin du premier millénaire: pendant que les
savants musulmans de Bayt Al Hikma jonglaient dans leur tête avec des équations
décimales et des algorithmes, pendant qu'ils s'étripaient à coup de chiffres
après la virgule pour déterminer avec précision la durée de l'année solaire,
l'Occident vivait tranquillement son Moyen Âge. A cette époque, IX-Xème siècle,
les Occidentaux avaient depuis longtemps oublié les enseignements scientifiques
et culturels des civilisations hellénique et romaine de leurs propres ancêtres.
La Renaissance,
c'est-à-dire le retour à ces civilisations, attendra encore quelques siècles.
Ils ne se doutaient pas que, loin là-bas en Orient, des doctes en turbans, avec
des pantalons bouffants en soie, colorés et parfumés aux encens d'Arabie,
déterraient des livres, les traduisaient, les commentaient, redonnaient vie à
Aristote et Euclide et préparaient tout ce savoir pour le transmettre à leurs
propres héritiers. Nous avons dit transmettre! Certains enseignements nécessiteront
deux siècles, d'autres plus encore. A l'époque, il n'y avait ni Internet, ni
smart phones, ni avions. Il y avait surtout que quand l'Orient était plongé dans
ces travaux hautement civilisationnels, l'Occident préparait ses Croisades.
Comment les
trésors du savoir ont-ils été transmis, puisqu'ils ont été effectivement
transmis? Certains l'ont été rapidement, mais d'autres ont pris des siècles. On
peut arguer que le savoir, algèbre et astronomie par exemple, ne concerne
qu'une partie restreinte de la population. Oui mais le système numérique arabe,
c'est-à-dire les chiffres 1, 2, 3, 4...,
concerne tout le monde. Les gens ont besoin de compter partout et tout, y compris leur âge. Dans les faits,
l'Occident faisait un tri dans tout ce qu'il recevait de l'Orient. Al
Khawarizmi et plus tard Ibn Rochd (Averroes) seront traduits et leurs théories
inoffensives rapidement exploitées et approfondies. Il n'était pas raisonnable
de priver les savants européens des puissants procédés algébriques qui facilitent
l'étude de toutes les autres sciences.
Le système numérique arabe lui attendra la fin
des Croisades. Ce système, largement utilisé à Damas et Baghdad au 10 ème
siècle, avait pourtant prouvé sa souplesse et sa grande supériorité sur les
autres systèmes de l'époque et d'abord sur le système de chiffres romains en
Europe. Mais l'esprit des Croisades veillait: vous pensez bien, on n'allait pas
compter les Ans de Grâce avec des chiffres venant de pays non chrétiens!
Pourtant le système numérique avec son zéro et ses nombres décimaux, se
révélait plus pratique au fur et à mesure du développement des sciences, et
allait s'imposer en Europe au début du 14 ème siècle. Il faut comprendre que
l'introduction de ce système allait changer les habitudes, les manières de travailler et les modes de vie
des européens, certainement comme l'informatique l'a fait récemment. Jamais
l'Occident n'aurait adopté le système numérique arabe, si la supériorité de celui-ci
n'était pas flagrante. Essayez donc d'exprimer le nombre d'Avogadro 6,023 x 1023,
base de la chimie moderne, en chiffres romains. Il vaut mieux y renoncer!
Quant à cet Al
Battani et à ce Khayam qui proposent d'éponger quelques jours du calendrier
"sacré", cela dépassait l'entendement; il n'en est pas question,
venant de plus de gens impies. Les tenants des Croisades ignoraient évidemment
que ce calendrier julien appartient d'abord au paysan égyptien qui, sur les
berges du Nil.....
Mais Al Battani
et Khayam au 16ème siècle, c'est-à-dire six siècles après leur mort, auront
leur revanche et peuvent dormir en paix. Ils seront réhabilités par le génial
Copernic en le sachant et Sa Sainteté le Pape Grégoire XIII, sans le savoir.
Réforme du
calendrier
Après des
siècles de tergiversations, mais aussi de progrès des sciences absolument
impossibles à réaliser sans le système numérique arabe et les procédés
algébriques, les astronomes européens se rendaient progressivement à
l'évidence: Le calendrier, immuable depuis 16 siècles, contenait une bombe
mathématique déjà repérée par Al Battani et Khayam. Il s'écartait de plus en
plus des saisons et il faut donc le réformer. Le coup de grâce est donné par
Copernic dans "De Revolutionbus" où il est fait référence à Al
Battani : c'est la découverte du système solaire que nous étudions sous forme
de petites boules qui gravitent autour du soleil.
Comme nous
avons parlé des Croisades, disons un petit mot sur l'Inquisition, ce deuxième
fléau à propos duquel le Pape Jean Paul II a présenté les excuses
de l'Eglise. Copernic échappa à la vindicte des inquisiteurs, car il écrivit la
dernière phrase de son ouvrage sur son lit de mort; mais il sera traité
d'hérétique par la suite, pour avoir prouvé que les planètes, dont la terre,
gravitent autour du soleil. Son disciple, Galilée (1564-1642) passa lui à la
trappe de l'inquisition pour avoir dit que la terre tourne et d'autres
"absurdités "de ce genre. Il échappa à la mort, en renonçant à tous ses écrits, au cours de procès humiliants.
Entre temps, le
Pape Grégoire XIII au 16ème siècle mit en place une commission calendaire pour réformer le
calendrier. Les travaux vont durer 12 ans environ. Parmi les membres de cette
commission, il y avait un patriarche syrien qui n'entendait que la langue
arabe. Parmi les documents de base étudiés, il y avait de discrets traités
traduits de l'arabe. Il existe encore aujourd'hui à Mandragone près de Naples,
exposées les minutes de ces documents et la table sur laquelle a été signé le
document décrétant la réforme du calendrier.
En quoi donc
consistait la réforme du calendrier? Ni plus ni moins à enlever 10 jours du
calendrier pour le repositionner!! Al Battani et Khayam, dormez en paix! Le
calendrier s'appellera désormais calendrier grégorien.
Le président
Clavius, de cette commission, qui a donc seulement répété ce qu'avait préconisé
Khayam six siècles avant lui, donnera son nom à un cratère sur une planète (l'action
du film "2001, odyssée de l'espace"se déroule dans ce cratère). Il
suffit à Khayam que l'on continue de chanter ses Robaiyates, pour l'éternité...
Quant à la réforme
proprement dite, les choses n'ont pas été simples. Il y avait deux options:
soit enlever les années bissextiles pendant 40 ans, c'est à dire garder février
avec 28 jours pendant toute cette période, soit enlever 10 jours d'une seule traite.
C'est cette dernière option qui a été retenue. On décida alors que le lendemain
du 4 octobre 1582 ne sera pas le 5 mais le 15 octobre 1582!
D'un seul coup,
10 jours, pendant lesquels les hommes ont vécu et la terre a tourné,
disparurent de l'histoire du monde. Selon le calendrier grégorien, personne
n'est né et personne n'est mort entre le 4 et le 15 octobre 1582. Imaginons un
instant la grande confusion, si l'on décrétait que le lendemain du 27 novembre
n'est pas le 28 novembre mais le 8 décembre 2000!
La réforme
n'est pas passée sans problèmes. Des gens se sont rebellés, estimant qu'on les
dépouillait de 10 jours de leur vie. Plus crucial encore, les pays protestants,
orthodoxes ou anglicans qui refusent tout ce qui vient du Pape, s'en tiennent
eux au calendrier ancien style. Un voyageur qui quittait une ville catholique
le 3 janvier 1583 pour rallier une ville protestante le même jour arriverait le
23 décembre 1582, donc l'année précédente.
C'est
progressivement que les pays européens se sont convertis au nouveau calendrier.
La Russie ne
l'adopta qu'en 1918, si bien que la Révolution d'octobre 1917 a eu lieu en réalité en
novembre 1917. Mao Zedong l'imposa en Chine en 1949, à côté du calendrier chinois.
En passant, il
y a eu en Europe quelques tentatives d'introduction de nouveaux calendriers;
le plus connu est celui de la révolution française en 1792. Il avait des noms
de mois qui ne se réfèrent plus à des empereurs mais à la nature (pluviôse,
brumaire, germinal..). Des mois de 30 jours (on équilibre le tout à la fin de
l'année avec des jours appelés sans-culottides), des semaines de 10 jours et le
système décimal pour la journée: 10 heures par jour, une heure de cent minutes
et une minute de cent secondes. Ce calendrier tiendra jusqu'en 1806 et sera
abrogé par Napoléon.
Telle est l'histoire du
calendrier que nous reproduisons de manière mécanique, d'une année à une autre.
Alors qui l'a inventé? On ne peut donner un seul nom. Mais comme on le voit,
cet objet génial reste le symbole d'une œuvre commune et de ce que peuvent
produire des civilisations différentes quand elles décident de donner,
ensemble, le meilleur d'elles-mêmes.
Abdelmalek TERKEMANI
Chercheur et expert international
-Article paru dans le journal "Libération" des 30/11 et 1/12/2000.