TOMBEAUX SAÂDIENS قبور السعديين Photo Terkemani |
OÙ
EN SOMMES-NOUS AVEC NOTRE HISTOIRE ?
La découverte, il y a un an, d’un groupe de
savants astronomes marocains dans un musée et d’un géographe également marocain
dans une bibliothèque à Oxford a fait naître quelques espérances, auprès des
lecteurs de ce blog. Je voudrais remercier tous ceux, parmi eux, qui ont
partagé le document qui en parle ou envoyé des commentaires enthousiastes, souvent très émouvants, et également ceux qui
ont seulement pris de leur temps pour le lire. Qu’en est-il de la
réaction des responsables/décideurs marocains ?
À ma
connaissance, cette découverte extraordinaire, car unique, n’a donné lieu à aucune réaction de la part
des ministres concernés, des représentants de la Nation au parlement ou des
responsables des musées marocains.
A
mon sens, la moindre des choses aurait été de faire allusion à cet événement
dans les sites des ministères concernés. Un simple communiqué ministériel
aurait déjà souligné notre considération et notre reconnaissance aux savants
marocains qui représentent la civilisation marocaine dans les bibliothèques et
les musées à travers le monde. Et qui
vont continuer de le faire, dans les siècles à venir, malgré la volonté
manifeste et néfaste de ces responsables…
Plus concrètement, aucun ministre concerné
(Premier Ministre, Culture, Education, Enseignement supérieur, Tourisme etc.)
n’a pris la peine de « se monter » une mission pour aller à Oxford
admirer ce que nos (leurs ?) savants marocains ont fabriqué, il y a de
nombreux siècles, et qui fait partie de l’Histoire des Sciences !VITRINE DES ASTROLABES MAROCAINS AU MUSÉE DE L'HISTOIRE DES SCIENCES A OXFORD |
Aucun
groupe d’études au Parlement n’a été mis
sur pied pour s’informer et informer les
représentants de la Nation sur l’existence à l’étranger, de trésors laissés par
nos savants.
Et
que dire de notre ambassade auprès du
Royaume-Uni (à une heure de route d’Oxford) qui aurait pu informer notre
gouvernement sur la présence d’astrolabes et d’ouvrages marocains exposés,
certains depuis des siècles, dans des musées et bibliothèque prestigieux en
Angleterre ?
Il
faut se rendre à l’évidence : malgré le fait que le gouvernement soit de
composition hétéroclite, et que des tiraillements se font jour, Il y a bien une sorte
d’unanimité, chez la classe dirigeante au Maroc, pour ne jamais accorder le moindre intérêt
aux savants et aux Hommes illustres marocains, dans l'histoire. Même, et surtout, quand ils sont honorés et admirés dans les musées et les bibliothèques à
l’étranger ! En un mot, c’est l’omerta !
Il
s’agit d’une situation paradoxale et extraordinairement anormale, rarement rencontrée dans d’autres pays. Il y a matière à étudier et nos
anthropologues, sociologues, psychologues,
et pourquoi pas nos psychiatres, devraient
s’y pencher.
Cette
unanimité chez nos décideurs à rejeter leur
propre Histoire est bien affligeante et intrigante. Cette attitude qui se
reproduit à travers des générations, trouve, certainement, son origine et des explications dans le
tréfonds de notre propre passé.
C’est
ce que l’histoire que nous allons
découvrir ensemble, dans la suite, va nous
montrer. Des écrivains et des historiens ont bien relaté cette histoire, mais nous allons
la connaître, racontée par la personne même qui l’a vécue, Maurice Tranchant
de Lunel , dans son livre : Au pays du paradoxe – Maroc- (1924,
Paris-Bibliothèque Charpentier).
L’HISTOIRE
DU MAROC DERRIÈRE LES MURS…
Après
le traité de Protectorat signé en mars
1912, la France avait découvert que le Maroc était une terre de vieille et riche
civilisation. Un département des « Monuments historiques et des beaux
arts » a, alors, été créé et son siège se situait en plein cœur de ce qui
était le centre de Rabat : Rue Sidi Fatah. Ses activités visaient à
recenser les monuments historiques marocains pour en planifier et effectuer la
restauration.
Le premier directeur de ce département, désigné par Lyautey, était Maurice Tranchant de Lunel. Ce dernier était architecte, aquarelliste et écrivain.
Avant d’atterrir au Maroc, il avait déjà bourlingué en Europe, en Afrique et en Asie, et accumulé nombre d’expériences, riches et diverses, dans la restauration de monuments historiques.
Le premier directeur de ce département, désigné par Lyautey, était Maurice Tranchant de Lunel. Ce dernier était architecte, aquarelliste et écrivain.
Avant d’atterrir au Maroc, il avait déjà bourlingué en Europe, en Afrique et en Asie, et accumulé nombre d’expériences, riches et diverses, dans la restauration de monuments historiques.
Grande Mosquée de Paris |
Nous sommes en 1917. Dans le cadre de ses visites pour la mise en valeur des monuments historiques, il s’était procuré une photo aérienne du quartier de la Kasba, certainement la première du genre jamais prise à Marrakech. Une chose avait attiré son attention : A côté de la grande mosquée de ce quartier (anciennement Jamaa Al-Mansour), il ne savait pas à quoi pouvait correspondre le bâtiment voisin, surmonté de coupoles, mais nettement séparé de cette mosquée.
Il
s’était déplacé sur les lieux, avait fait le tour de la mosquée et reconnu ses
portes mais n’avait trouvé aucun accès au bâtiment voisin qui l'intriguait.
Finalement, il s’en était remis à Thami Glaoui, alors pacha de Marrakech en
1917 (il le restera jusqu’à sa mort, en janvier 1956). Ce dernier au courant de
ce secret, le fit habiller en marocain, jellaba-rezza-belgha, et
accompagner par des aides, nuitamment sur les lieux. Le petit groupe pénètre dans la
mosquée et se dirige vers une porte cadenassée. Une fois cette porte passée, il
s’engouffre dans un corridor dans le
noir, à la lumière d’une lanterne. C’est une scène insolite et plutôt
surréaliste : un "nasrani" (à qui on a dit de ne pas prononcer un mot), habillé
en marocain, marche dans le noir dans une mosquée de Marrakech, à la recherche d’un monument historique. On lui a demandé de regarder et de ne pas poser de questions !
À un moment, le groupe s'engouffre dans un bâtiment séparé de la mosquée. Les
faibles rayons de la lanterne, tenue à bout de bras par un aide, montrent la
splendeur des plafonds de cèdre sculptés en ruche d’abeille, la perfection des
coupoles, la pureté des mosaïques et les douze colonnes en marbre de Carrare qui
supportent la koubba. Après avoir visité les deux salles et souvent trébuché
sur ce qui est des tombes recouvertes de marbre, le groupe sort à l’air libre.
Là, c’est un enclos fermé par de hauts murs au-delà desquels se trouvent les
ruines du Palais Al Badii…
À la
lecture de ce qui est gravé sur les pierres en marbre, en arabe, Tranchant
réalise alors qu’il se trouve dans le
Mausolée des Sultans saâdiens قبور السعديين ! Tout le groupe semble ému par ces tombes de Sultans du Maroc, qui paraissent abandonnées et que personne n'est venu visiter depuis...des siècles. Tranchant, dans son habit arabe, pensait " Que mes yeux caressent ces lieux pour tous les siècles où ils n'ont pas été visités !".
Il informa alors Lyautey à Rabat de sa découverte. Ce dernier le rejoignit à
Marrakech, quelques jours plus tard. De la même manière et à la tombée de la nuit,
Lyautey est accompagné, déguisé en marocain, pour visiter les tombeaux
Saâdiens. La décision est alors prise
d’ouvrir immédiatement une entrée dans le mur d’enceinte pour rendre accessible
au public marocain et aux visiteurs étrangers les Tombeaux des sultans de la
dynastie saâdienne. Ce qui fut fait dans la semaine suivante, en 1917. C’est cet accès
en chicane, pour éviter les murs de la mosquée, qui sert encore de nos jours,
de porte d’entrée aux Tombeaux saâdiens. Un des sites les plus visités de Marrakech.
Entrée des Tombeaux saâdiens, en cours de restauration, en 1917. Photo extraite de "Marrakech,Années 20"
|
En
préparant les travaux de restauration du Mausolée saâdien et de son
environnement, Tranchant a eu tout le loisir de découvrir et de reconstituer
les graves événements qui ont eu lieu en 1116 H, soit en 1704, à Marrakech.
A
cette époque et en visite dans cette ville, Moulay Ismaïl, au sommet de sa puissance, s’était rendu
compte que les édifices saâdiens dans cette ville lui faisaient de l’ombre.
Aussi les pioches de démolisseurs allaient-elles se mettre à l’œuvre dans
l’ensemble saâdien de la Kasba. Le palais Al Badii ( قصر البديع
) a alors été, méthodiquement et durant des mois, réduit en ruines.
Un palais, construit par Ahmed Al-Mansour, qui avait, dit-on, autant de pièces
que l’année solaire a de jours… Les
vasques et les objets d’art de valeur ont été saisis, les colonnes en marbre de
Carrare (Italie) ont été descellées pour
servir dans d’autres lieux au Maroc. Et qui mieux que Tranchant pour le dire,
puisque c’était lui qui devait restaurer les résidences impériales dans tout le pays et y reconnaître tout ce qui avait été prélevé à Al Badii ? Les ancêtres des cigognes
qui nichent maintenant au sommet des murs, encore debout, ont dû assister à la destruction de ce palais, dans le bruit et la fureur. De
nos jours, les ruines de ce dernier ont longtemps servi comme décor à l’ancien « Festival National des Arts
populaires » et servent encore au « Festival du rire de
Marrakech ». Oui, oui, du rire…
Après
avoir détruit la maison des vivants, on décida de s’attaquer alors à la maison
des morts : les pioches s’approchaient dangereusement des tombeaux saâdiens et l’on
commença à desceller les piliers de
l’entrée du Mausolée (comme on le
voit sur une aquarelle de Tranchant de
1917).
Et là, subitement, la fureur destructrice s’arrêta net : on ne sait pas si c’est la crainte
d’Allah ou le respect funéraire des morts, mais les pioches s’arrêtèrent d’un
coup. Seulement, comme la volonté était
d’effacer les traces de l’ère saâdienne, on décida alors de construire un mur
infranchissable autour de ce Mausolée. Et de ce fait, les Tombeaux saâdiens ont
été hermétiquement emmurés de 1704
à 1917, c'est-à-dire jusqu’à leur
découverte par Tranchant de Lunel !!
Entrée des Tombeaux saâdiens, en 1917. Aquarelle de Tranchant de Lunel. |
Plus
de deux siècles durant, les tombeaux Saâdiens
n’ont été visités que par les
hirondelles et les tibibtes. Il n’y avait plus de visites, plus de ziaras des proches et les récitations de prières étaient faites avec les larmes,
discrètement, derrière les murs. Progressivement, les ans et les siècles passant, le souvenir
des Saâdiens s’évanouissait inexorablement.
Les historiens de l’ère saâdienne, Abdelaziz Al Fechtali et Mohammed Esseghir Al Ifrani ont été censurés ou mis en disgrâce.
Deux
siècles de l’Histoire du Maroc se sont évaporés ! Les principaux événements de cette époque ne
sont plus relatés alors que dans les archives étrangères,
principalement portugaises, ottomanes, espagnoles ou françaises. Les événements marquants dans l’Histoire de notre
pays de cette époque n’étaient plus
rappelés dans les archives marocaines. Un événement, qui a son importance dans l’Histoire du Maroc, est tout à fait
symbolique de ces oublis et de ces
reniements et mérite que l’on s’y attarde : Il s’agit de la bataille de
Oued Al Makhazine.
OUED AL MAKHAZINE, UNE VICTOIRE MAROCAINE OUBLIÉE…
Au
16ème siècle, le Portugal, l’Espagne et l’Empire Ottoman (qui
voulait un accès sur l’Atlantique, déjà !) avaient des visées sur le
Maroc. Le Portugal qui avait des
possessions tout le long du littoral
marocain, méditerranéen et atlantique, était le premier à franchir le pas.
Depuis quelques années, la décision était prise non pour coloniser le Maroc
mais pour le rattacher définitivement au Portugal, comme une simple province de
ce pays !
En
juillet 1578, 35.000 soldats portugais surarmés (et quelques milliers de mercenaires de plusieurs pays
d’Europe) débarquent à Tanger, avec à leur tête le Roi du Portugal, Dom
Sébastien 1er, en personne. Ils marchent, ensuite sur Larache pour
se mesurer aux troupes marocaines au nord de Ksar el Kébir, sur les bords de la
rivière Oued Al Makhazine, affluent du Loukkos.
La
bataille mémorable d’Oued Al Makhazine du lundi 4 août 1578 qui s’ensuit, est,
à coup sûr, la plus grande victoire marocaine, de surcroît pour libérer le
territoire national et bouter dehors une armée d’agression ! Pour le
Portugal, il s’agit du plus grand désastre dans l’Histoire de ce pays : 14.000
morts Portugais et 20.000 captifs, contre 3.000 morts Marocains [En ce mois
Sacré, nous prions pour le repos de l’âme de ces héros qui ont défendu
victorieusement notre pays].
Au cours de cette bataille, trois rois sont
morts, le même jour : Mohamed Al Moutawakil, sultan imposteur, Abou Marwan
Abd Al Malik, sultan saâdien et Dom Sébastien 1er, roi du
Portugal.
Ahmed Al-Mansour Assaâdi qui combattait à la tête de 10.000 cavaliers marocains, est proclamé Sultan du
Maroc, sur le champ de bataille. Son premier geste, magnanime, a été de rendre
la dépouille du roi Dom Sébastien au Portugal.
COMMENT
CES ÉVÉNEMENTS SONT-ILS PERÇUS PAR LES DEUX PAYS ?
La débâcle
portugaise à Ksar el Kébir (Alcàcer Quibir en portugais) a eu un effet considérable
en Europe et dans le monde musulman, et pas pour les mêmes raisons. Le Portugal
était alors une grande puissance maritime mondiale. Cette défaite marque le
début de la perte des possessions portugaises sur le littoral marocain (sauf Sebta
et Mlilia qui sont rendues à l’Espagne !). Le sort du roi Dom Sébastien,
mort loin de ses terres, a beaucoup ému ses compatriotes. Son Mausolée à Belém
près de Lisbonne est l’un des monuments historiques les plus visités et les plus vénérés. Il fait
partie de l’histoire que le Portugal ne cherche pas à renier. L’émotion au Portugal
a été tellement grande qu’elle a donné naissance au
« sébastianisme » : Contre toute évidence, les gens croyaient que Dom Sébastien n’était pas
mort à Ksar el Kébir et qu’il finira par réapparaître. De faux Sébastien s’étaient déclarés dans plusieurs pays, au Portugal, en Espagne, en Italie et jusqu’en
1962 au Brésil…
Au
Maroc, c’est une toute autre histoire ! Les sultans Saâdiens qui ont résisté au Portugal et sont sortis
vainqueurs de la guerre imposée par
l’agresseur, ont eu leur Mausolée à Marrakech emmuré pendant plus de deux
siècles. Le palais Al-Badii qui avait
été édifié par Ahmed Al-Mansour Addahbi, pour perpétuer le souvenir de la plus
grande victoire marocaine, a été réduit
à l’état de ruines. Les historiens, donc les témoins, de l’époque
saâdienne ont été censurés ou mis en disgrâce. Des écrits de Mohammed
Esseghir Al Ifrani, il n’existe, quelques
fois, que des traductions conservées dans des bibliothèques étrangères. Il a
fallu attendre 1984, pour voir publier les événements de Oued Al Makhazine,
rappelés, dans leur préparation et dans leur déroulement, presque jour après
jour, dans le magnifique et parfaitement bien documenté « La Bataille des Trois Rois » de Younès Nekrouf (Albin Michel, 1984, réédité par la
Bibliothèque Arabo-Berbère, Casablanca).
Ces
événements, pourtant glorieux dans l’Histoire de notre pays et à partir
desquels nous devrions tirer une grande et saine fierté, sont généralement
absents des cours d’histoire dans les écoles et les lycées marocains. Aucun musée
marocain n’y fait la moindre allusion. Pour leurs travaux sur cette époque, nos
universitaires et nos chercheurs restent tributaires des archives portugaises à
Lisbonne (!), de la bibliothèque de l’Escurial près de Madrid en Espagne
ou de la Bibliothèque nationale de France à Paris.
Comme
on le voit, l’attitude de nos décideurs vis-à-vis des Hommes illustres
marocains, savants ou politiques, n’a pas varié depuis des siècles.
Une
bonne partie de notre Histoire se trouve éparpillée dans des bibliothèques et
des musées à l’étranger. Quand elle ne se trouve pas derrière les murs. Avec cela, comment voulez-vous que ces bibliothèques et ces musées considèrent nos responsables, quand ils nous voient venir pour nous documenter, chez eux, sur notre propre Histoire ?
Pour le bien de notre pays et par respect pour son peuple, nos responsables doivent savoir qu'il ne faut pas le priver des atouts et des forces que l'on peut puiser dans sa propre Histoire. Pour le comprendre, à l'heure de l'intelligence artificielle, il suffira d'un peu d'intelligence humaine...
Pour le bien de notre pays et par respect pour son peuple, nos responsables doivent savoir qu'il ne faut pas le priver des atouts et des forces que l'on peut puiser dans sa propre Histoire. Pour le comprendre, à l'heure de l'intelligence artificielle, il suffira d'un peu d'intelligence humaine...
Ruines d'Al Badii à Marrakech: Les ancêtres des cigognes qui nichent maintenant au sommet des murs, encore debout, ont dû assister à la destruction de ce palais, dans le bruit et la fureur... |
Abdelmalek Terkemani
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