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mardi 25 août 2015

VISITE DE L'EXPOSITION "LE MAROC MÉDIEVAL: UN EMPIRE DE L'AFRIQUE A L'ESPAGNE"


 
Cette visite a été organisée le 26 juillet 2015  par Monsieur Ali Hafili, astronome à l'Observatoire du Centre culturel AGM de Marrakech. Après discussions du programme avec de nombreux échanges de mails, nous avons convenu que je rejoindrai le groupe au nouveau musée de Rabat, pour la visite de l'Exposition "Le Maroc médiéval: Un empire de l'Afrique à l'Espagne".  Le groupe de Marrakech est arrivé à Rabat à 11h30. Ont rejoint ce groupe, deux personnes de Rabat, quatre de Casablanca et une personne de Kénitra.
Le musée Mohammed VI, inauguré le 8 octobre 2014 par SM le Roi, est dédié essentiellement à l’art  moderne et contemporain, qui occupe le premier étage, pour le moment. Depuis 2012 au moins, il était prévu que l’Exposition « Le Maroc médiéval », après avoir séjourné  au musée du Louvre à Paris, viendrait au Maroc, pour  lancer et faire connaître les activités de ce musée auprès du public marocain et du monde des arts.
Le Maroc médiéval

La visite de l’exposition itinérante « Le Maroc médiéval » (4 mars-1 septembre 2015) a été organisée   pour profiter d’une occasion exceptionnelle d’admirer des objets liés à l’Histoire du Maroc. Ces pièces  proviennent des quatre coins du monde et il serait très difficile et très coûteux de les réunir de nouveau dans la même exposition, avant quelques dizaines d’années.
Il y a environ 220 objets exposés à Rabat alors que Le Louvre à Paris en présentait 300. La période couverte par cette exposition est d’environ 600 ans et concerne les dynasties des Idrissides (789-985), des Almoravides (1049-1147), des Almohades (vers1116-1269) et des Mérinides (1269-1465).
Certains objets ont donné lieu à une présentation détaillée et un échange d’idées très fructueux.
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Lustre-cloche de la mosquée al-Qarawiyyine  733-737 H / 1333-1337
 

Lustre-cloche dans la mosquée al-Qarawiyyine

Alliage de cuivre. Poids : 10 quintaux
Les troupes du roi mérinide Abu Al Hassan ont rapporté à Fès ce butin de Jabal al-Fath (Gibraltar).  Cette cloche a ensuite été transformée en lustre, par un excellent travail d’orfèvre. Il a été nécessaire de construire une coupole spéciale pour supporter cette cloche dans la mosquée al-Qarawiyyine, compte tenu de son poids. Malgré tout, on dit que cette cloche qui sonnait les heures de prière chez les Chrétiens, éclaire maintenant les travées d’une mosquée de l’Islam, et que c’est un bon signe de rapprochement entre religions.

                                                      
·       Livre d’Ibn Battouta, « Voyages ». 

Quelques vers extraits du livre original «  Voyages »(Rihla) d’Ibn Battouta décorent bien le hall central du musée. Si Hajib Jerbi de notre groupe de Kénitra, a très bien expliqué la forme grammaticale de ces vers. On voit bien que c’est un voyageur et un géographe qui s’exprime ; il parle des mouvements apparents du soleil et de la lune,  les deux astres  qui indiquaient le lieu et l’orientation aux  caravanes qu’il suivait. Aujourd’hui, on dirait que le Maroc est le plus beau pays du monde, mais pas pour les mêmes raisons….
                                         

L’Occident (le Maghreb) est la plus  belle des terres
Et j’en ai la preuve :
La pleine lune s’y observe,
Et vers lui le soleil se rend

Ibn Battouta (1304-1377)
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 Astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf 

Astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf exposé au Louvre en octobre 2014
En laiton (alliage de cuivre et de zinc). Diamètre : 15,2 cm
Cet astrolabe est exposé habituellement au Musée Paul-Dupuy à Toulouse. Il a été fabriqué à Marrakech en 613H/ 1216-1217. Il est conçu pour fonctionner sous la latitude des villes de : Saragosse (41°30’), Tolède (40°), Cordoue (38°30’), Séville(37°30’), Almeria(36°30’), Sebta(35°30’), Fès
 ( 33°40’), Marrakech(31°), Al Qods(32°), Misr(29°55’), Médine (25°) et la Mecque(21°40’).
Tout le groupe a suivi un bref exposé à côté de la vitrine « scientifique », et de nombreuses questions ont été posées,  ce qui montre l’intérêt porté à cet astrolabe et à son fabricant. Voici résumées ces questions/ réponses :
Comment cet astrolabe est-il parvenu à Toulouse ? Probablement parce qu’il était prévu pour fonctionner à Saragosse assez proche,  en Espagne. Il a dû constituer un butin des armées françaises voisines.  
Planisphérique ? On savait que la terre est ronde et qu’elle est enveloppée par la sphère céleste sur laquelle sont incrustées les étoiles. On a trouvé plus pratique de travailler sur un plan que sur une sphère. Donc on a projeté sur un plan ce qui a sur la sphère. D’où planisphérique. Par exemple l’araignée est une représentation plane de la voûte céleste.
Nombre de tympans ?un tympan comporte des éléments liés à la latitude d’un lieu. On ne voit pas une étoile, mettons polaire, sous le même angle quand on est à Stockholm ou à Marrakech. Les tympans d’Abû Bakr sont utilisables sur  les deux faces, ce qui explique qu’il y a deux fois plus de villes que de tympans.
Pourquoi un heurtoir et un astrolabe dans la même vitrine ? Les heurtoirs des portes de mosquées, par exemple, sont gravés par des prières (Bismillah). Il y a donc un travail de gravure et aussi de calcul géométrique, de telle manière que heurtoir et astrolabe sont fabriqués dans les mêmes ateliers. 

                                                                            
Heurtoirs de portes de mosquées
                                                                                                                     
Pourquoi le nom des savants fabricants de ces astrolabes ne figure-t-il pas dans la vitrine ?
De nombreux articles ont été consacrés à cette question.  On peut dire qu’il ne s’agit pas d’un oubli, mais d’une volonté délibérée de cacher les noms de ces astronomes au public marocain. C’est une curieuse façon de traiter l’histoire du Maroc, en effaçant le nom de ses Hommes de science dans les musées marocains !!  Ces astronomes  sont Abû  Bakr Ibn Yûsuf (Marrakech)  pour l’astrolabe de droite et Abû al-Fattouh al Khamayri (Marrakech et Séville) pour l’astrolabe de gauche. On ne comprend pas que ces noms soient indiqués quand ces astrolabes sont exposés dans le monde entier et disparaissent quand ils sont exposés au Maroc, pays de ces astronomes ! Le musée du Louvre a désigné un commissaire pour cette exposition en la personne de Mme Yannick Lintz. Il serait intéressant de savoir comment le musée du Louvre a pu accepter cet "oubli", qui n'est pas un détail et qui a certainement une signification, dans une exposition qu'il a co-organisée.
    
Pourquoi cet astrolabe serait-il l’un des plus admirés au monde ?
Parce que sa photo fait la couverture de nombreux ouvrages sur l’astronomie comme ‘’Les instruments de l’astronomie ancienne’’ et ‘’L’Astrolabe, histoire, théorie et pratique’’. Dans ce dernier ouvrage, l’auteur Raymond d ’Hollander prend cet astrolabe comme modèle et l’étudie  pièce par pièce, car dit-il, il est particulièrement complet et précis. De plus, il est exposé dans les grands musées du monde.
La visite s’est poursuivie dans le premier étage pour le volet art moderne et contemporain.
On note quand même que les concepteurs de ce musée ont bien donné le nom de certains peintres marocains contemporains à des salles d’exposition : Salle Gharbaoui, salle Charkaoui,  ce dont il faut se féliciter, mais on est forcé de penser que nos astronomes marocains du 13ème siècle, illustres pourtant depuis des siècles à l’étranger, n’ont pas de chance dans le Maroc d’aujourd’hui. 
Le groupe en visite au musée Mohammed VI
  Abdelmalek Terkemani
Chercheur et expert international

Pour plus d'informations sur ces sujets, voir également les articles de ce blog:
  •  L'Exposition "Le Maroc médiéval: Un empire de l'Afrique à l'Espagne". Le patrimoine du Maroc effacé. 
  • Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain du 13ème siècle.        
Pour la totalité de la visite, voir le blog: www.astrokech.blogspot.com

samedi 11 juillet 2015

L'EXPOSITION "Le Maroc médiéval": UN EMPIRE DE L'AFRIQUE A L'ESPAGNE



 Le patrimoine scientifique effacé dans les musées de Rabat

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Il y a quelques mois, le Musée du Louvre a organisé une exposition itinérante sur le Maroc médiéval, l’occasion de découvrir la riche histoire de notre pays du XIème au XVème siècle, considérée comme une époque charnière essentielle dans notre civilisation.
Cette même exposition a commencé le 4 mars au Musée Mohammed VI de Rabat et se prolongera  jusqu’au 1 septembre 2015. Les objets présentés font partie des belles réalisations de cette époque, dans les domaines de l’architecture, du textile, de la céramique ou de la calligraphie.
Mais où se trouve donc  notre riche patrimoine scientifique de cette époque, dans cette exposition ? Qu’a-t-on fait de nos savants qui étaient alors la référence, dans de nombreuses disciplines scientifiques, notamment dans l’astronomie ? Pourquoi voudrait-on présenter le Maroc, en permanence et quelle que soit l’occasion, comme un pays qui n’a jamais rien à offrir, dans les domaines scientifiques ?

Présentation de l'Astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf au centre culturel AGM. Marrakech
J'avais fait publier, par le passé, dans la presse marocaine (l'Opinion) plusieurs articles sur l'astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome de Marrakech et donné plusieurs conférences sur l'astronomie arabe. Quelle ne fût ma détresse de redécouvrir cet astrolabe, que j'ai admiré il y a 50 ans au Musée Paul-Dupuy de Toulouse, à l'exposition" Le Maroc médiéval..." mais cette fois-ci sans le nom de son fabricant qui est pourtant un savant marocain! Cet astrolabe, fabriqué à Marrakech en 613 H/1216-1217, est l'un des plus admirés dans le monde. Sa photo fait la page de couverture de nombreux ouvrages sur l'astronomie. Il voyage, de musée en musée, dans les lieux les plus prestigieux de la Culture avec le nom de son fabricant Abû Bakr Ibn Yûsuf , sauf à Rabat au Maroc où il est exposé de manière anonyme, sans le nom de notre savant marocain Abû Bakr Ibn Yûsuf.  

 « Le Maroc médiéval : un empire de l’Afrique à l’Espagne »
Mais que sont devenus nos savants marocains de cette époque ?

  « Le Maroc médiéval » a d’abord séjourné au musée du Louvre à Paris du 17 octobre 2014 au 19 janvier 2015 avant de s’installer au musée Mohammed VI à Rabat du 5 mars au 1 septembre 2015. Ce passage dans deux musées différents est tout à fait révélateur du savoir-faire de deux organisations qui n’obéissent pas toujours aux mêmes critères.
Naturellement, il faut être indulgent et tenir compte de l’existence durant plus de deux siècles d’un musée avec seulement quelques mois pour l’autre.
L’association de ces deux musées pour organiser la même exposition devait, à l’origine, faciliter le transfert des expériences d’un musée à l’autre. Mais Il n’était pas élégant  que le responsable des musées au Maroc se lançât dans des comparaisons « incongrues », après une semaine de l’exposition de Rabat, en déclarant dans une interview à un journal marocain que les visiteurs apprécient mieux cette exposition dans le musée de Rabat que dans le Louvre !!!
 Mais pourquoi donc souriez-vous?  Voilà pourquoi, certaines fois, il vaut mieux se taire. Ce responsable aurait mieux fait de nous expliquer pourquoi l’exposition de Paris présentait 300 objets au public parisien alors que celle de Rabat ne montre que 220 objets au public marocain qui est plus concerné.
Pour l’exposition à Paris, programmée de longue date, le musée du Louvre a commencé à annoncer cet évènement deux mois avant son ouverture et son site donnait toutes les informations utiles avec le programme détaillé de chaque jour, des conférences et des ateliers sur les sujets les plus divers touchant à la période médiévale concernée. La mise en vente, par internet, du catalogue édité par le Louvre, a commencé bien avant le début de l’exposition. Rien de cela pour le musée de Rabat ; le public marocain apprend l’existence de cette exposition le jour de son inauguration ! Le site officiel du musée de Rabat se contente de quelques citations d’ordre général et ne disait rien sur l’exposition qui devait s’ouvrir le lendemain. Le moindre évènement, artistique ou sportif, qui se déroulerait dans un quartier d’une petite ville marocaine aurait été annoncé longtemps à l’avance. Et d’abord, par respect pour le public.
Après l’inauguration, le site officiel du musée de Rabat ne donne même pas les horaires d’ouverture ou le prix des billets (40 DH). Bien excessif pour un évènement censé présenter la très riche Histoire médiévale du Maroc à un large public marocain. La gratuité, au moins durant l’exposition, aurait été une bonne option.  A Londres où le public a pourtant plus de moyens, l’entrée dans les musées, dont le prestigieux British Museum, est gratuite.
Finalement, c’est bien le journal l’Opinion qui a été le premier et le seul à avoir annoncé ces expositions au mois de septembre 2014, dans des articles sur Abû Bakr Ibn Yûsuf, savant astronome marocain, appartenant, précisément, à cette période médiévale. 
Le patrimoine scientifique marocain occulté

Astrolabe d'Abû Bakr Ibn Yûsuf exposé à Rabat sans le nom du savant marocain
Malheureusement, il n’y a pas que ces quelques bévues dues à un manque flagrant de professionnalisme. Il y a surtout un pan entier du patrimoine scientifique du Maroc médiéval qui est passé sous silence.
Le titre même de l’exposition « Le Maroc médiéval : un empire de l’Afrique à l’Espagne » suggère et confirme qu’à cette époque, l’Espagne musulmane, Al-Andalous était une partie intégrante du Maroc et les Hommes de science de cet espace étaient naturellement marocains.
Ces générations de savants, géographes, mathématiciens, physiciens, astronomes, médecins, architectes, agronomes et chimistes se déplaçaient entre Marrakech et Fès d’une part, Grenade et Cordoue d’autre part, en portant les mêmes valeurs scientifiques. Actuellement, les instances scientifiques internationales considèrent que ces savants ont été pour beaucoup des précurseurs dans leur domaine scientifique respectif et, par leurs travaux, ont consolidé  le socle de base pour  les sciences modernes. A titre d’exemple et en hommage aux savants astronomes musulmans de cette époque, leur nom a été donné à des cratères de la Lune !

Les travaux de ces savants ont été et sont toujours l’objet de recherches approfondies dans des universités européennes et américaines. Nous avons bien au Maroc des hôpitaux  Ibn Rochd (Averroès), des cliniques Ibn Zohr, des lycées /collèges  Al Banna, des Universités Ibn Tofaïl ou Cadi Ayyad, des quartiers et des rues Ibn Battouta ou Al-Idrissi.  Alors à quoi peut bien servir l’exposition « Le Maroc médiéval » si elle ne parle pas aussi de l’apport de ces savants marocains de l’époque médiévale ?
Le public marocain qui fréquente à longueur d’année ces hôpitaux, ces universités, ces lycées, ces cliniques, ces boulevards et ces rues qui portent le nom de ces savants, apprend brutalement, que « le Maroc médiéval » les ignore totalement ! Il ne s’y retrouve plus et il répond... "absent"! C’est  cette manière de faire qui est l'une des causes de la désertification des musées au Maroc.
L’exposition de Rabat, à la différence du Louvre, aurait dû ajouter une note scientifique pour rehausser le prestige de nos savants marocains de cette époque. C’est l’occasion rêvée pour les présenter au public marocain. C’est aussi une exigence de la vérité historique.  A l’extrême limite,  une simple présentation de la liste suivante de ces savants du Maroc médiéval et de  leurs travaux principaux, aurait déjà comblé une partie du néant:

Abû al-Qassim Zahraoui (940-1011): Chirurgien. ‘’La méthode en médecine’’
Al-Bakri (1014-1094) : Géographe, historien. ‘’Livre des routes et des royaumes’’
Al-Bitruji ( ? – 1204) : Astronome, philosophe. ‘’Théorie des orbites planétaires’’
Ibn al-Awwam (12ème siècle) : Agronome. ‘’ Livre de l’agronomie’’
Ibn al Banna  (1185 - ?) : Mathématicien, linguiste. ‘’Sommaires des opérations arithmétiques’’
Al-Idrissi (1100-1165) : Géographe, botaniste. ‘’ Livre de Roger’’
Al-Zarqali (1029 – 1087) : Physicien, astronome. ‘’Tables Tolédanes’’
Ibn Aflah (721 – 815) : Astronome, mathématicien. Appareil de mesure ‘’ Torquetum’’
Ibn al-Baytar (1197-1248) : Botaniste, pharmacologue. ‘’Recueil des remèdes  et aliments simples’’
Ibn Bajja (1085 – 1138) : Philosophe, astronome. ‘’Traités des mélodies’’
 Ibn Battouta (1304-1369) : Géographe. ‘’Voyages. De la Mecque aux steppes russes’’
Ibn al-Fattouh al-Khamayri (13ème siècle) : Astronome. Œuvres exposées en Europe et aux Etats- Unis
Abû Bakr Ibn Yûsuf (12ème-13ème siècle) : Astronome et astrolabiste leader du style ’’maghribi’’
Ibn Firnas (810-887) : Chimiste, précurseur de l’aéronautique. ‘’Conception d’un planétarium’’
Ibn Hazm (974-1064) : Historien, philosophe. ‘’Classement des sciences’’
Ibn Rochd (Averroès. 1126-1198) : Médecin, philosophe. ’’Commentaires sur Aristote’’
Ibn Tofaïl (1100-1185) : Médecin,  philosophe. ’’Examens et Recherches ‘’
Ibn Zohr (1092-1162) : Médecin. ‘’ Livre de la simplification 
concernant la thérapeutique et la diététique’’ 
      Il n’est donné dans cette liste que les savants de l’espace du Maroc médiéval. Ajoutés à ceux des autres espaces géographiques, Moyen-Orient et Asie, ils ont été les artisans de l’Age d’or de la civilisation musulmane et arabe. Et c’est ce trésor civilisationnel, ce bouillon de culture unique dans notre histoire qui ne trouve pas sa place dans l’Exposition ‘’Le Maroc médiéval : Un empire de l’Afrique à l’Espagne’’.
Timbre espagnol. Zarqali et son astrolabe

Pendant que les responsables de notre patrimoine scientifique traitent cette histoire des sciences marocaines avec une belle indifférence teintée d'ignorance, l’Espagne, elle, est fière des savants d’al-Andalous, c’est à dire l’Espagne musulmane qui faisait partie du Maroc médiéval. L’Espagne déploie des efforts continus pour faire connaître les savants arabes de cette époque médiévale et pour la vulgarisation des travaux scientifiques qu’ils ont réalisés. On le voit régulièrement dans la sortie de timbres à l’effigie de ces savants, à l’occasion de certaines commémorations ou de certains congrès.
Un autre exemple de l’intérêt accordé par ce pays à cette époque médiévale est donné par la réalisation à Grenade d’un ‘’Parqué de las Ciencias’’, parc des sciences. Cet ensemble abrite, entre autres, un espace ‘’El pabellon d’Al-Andalous ‘’, le pavillon d’Al-Andalous. Ce lieu est entièrement dédié à l’histoire des arts et des sciences arabes de l’époque médiévale qui nous concerne. De nombreux livres scientifiques, de la liste ci-dessus, y sont exposés. Des ateliers bien équipés sont là pour expliquer le fonctionnement des astrolabes, pour repérer certaines constellations du ciel découvertes et nommées par les Arabes. De même, des modèles réduits ont été construits pour expliquer les mécanismes de l’irrigation introduits par les Arabes en Espagne (encore en fonction de nos jours près de Valence), ainsi que le fonctionnement, très sophistiqué à l’époque, des fontaines du Palais de l’Alhambra,     قصر الحمراء  de Grenade.   

Anonymes !

Toutes ces installations  et ces expériences sont d’un coût dérisoire à l’échelle d’un pays si l’on veut faire connaître son patrimoine scientifique et la seule question qui vaille pour nous au Maroc est la suivante : Y-a-t-il vraiment la volonté de promouvoir l’histoire des sciences marocaines ?
On est en droit d’en douter, quand on se trouve devant la vitrine « scientifique » de l’exposition de Rabat, qui contient trois astrolabes. Il y a un astrolabe quadrant unique en son genre, couvert de peau de gazelle, dit-on, qui vient du musée de Batha de Fès et dont on ignore le nom du fabricant. Mais les deux autres astrolabes planisphériques sont fabriqués par des astronomes/astrolabistes célèbres dans le monde de l’astronomie arabe : le premier (démonté) est fabriqué par Abû Bakr Ibn Yûsuf, un astronome de Marrakech, leader dans le style ’’maghribi’’ et le deuxième est fabriqué par Abû al-Fattouh Al-Khamayri (Marrakech et Séville). Ces deux astrolabes ont été fabriqués le premier en 613 H / 1216-1217 et le deuxième en 614H / 1217-1218. Le problème est que le nom de ces savants est VOLONTAIREMENT omis sur les écriteaux de présentation dans la vitrine. Le plus curieux est que ces noms figuraient bien au musée du Louvre et également au musée Paul-Dupuy de Toulouse, lieu d’exposition habituel de l’astrolabe d’Abû Bakr. Ces deux savants sont également cités avec leur astrolabe dans le Catalogue édité par le Louvre.  De plus, le nom de ces savants est  gravé, en langue arabe, au dos de leur astrolabe…
Mais rien n’y fait ! Le nom de ces savants marocains n’existera pas dans cette exposition !  Comme celui des autres savants, cités plus avant. 
Astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf du musée archéologique de Rabat
A moins de cent mètres de l’exposition ‘’Le Maroc médiéval’’, il y a un autre musée dont, malheureusement, personne ne parle jamais. Ce musée archéologique,  qui présente de très belles pièces de l’art préislamique, a la particularité d’abriter un astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf. Comme dans l’exposition voisine, cette pièce d’une valeur inestimable est exposée comme un vulgaire objet de l’artisanat, sans indication du nom de son fabricant, l’astronome marocain Abû Bakr Ibn Yûsuf, ni de sa date de fabrication. Quelle belle constance dans l’ignorance de nos savants !!

Toutes les tentatives pour convaincre les ministres de la Culture et des musées, ainsi que ceux de l'Education nationale au Maroc de l’authenticité de cet astrolabe sont restées vaines. Et elles ont été nombreuses et renouvelées.  Voilà un astrolabe qui a été reconnu par les experts les plus éminents du monde de l’astronomie arabe : David A KING et Raymond D’HOLLANDER (1918-2013). Ce dernier, ancien directeur de l’Ecole des Sciences géographiques de Paris, a écrit le livre le plus abouti sur l’astrolabe, sa théorie et sa pratique. Et dans ce livre, c’est l’astrolabe d’Abû Bakr Ibn Yûsuf qui est traité comme modèle, car il est ‘’complet et précis’’.
De plus, l’astrolabe du musée archéologique a été répertorié sous le numéro d’inventaire, ≠2709, dans le ‘’Catalogue des Instruments médiévaux de Frankfort’’, comme œuvre de Abû Bakr Ibn Yûsuf. Une indication précise seulement qu’une modification a été apportée à   l’araignée de cet astrolabe par Abû Al Qassim Ibn Ridwan en 776 H / 1374-1375,  sans altérer son authenticité. 
 Faut-il absolument aller à l’étranger pour découvrir que nos savants marocains ont bien existé et sont bien considérés dans le monde des sciences?
On est là face à un problème curieux et rarissime dans l’histoire des sciences, jamais vu dans aucun pays : Les historiens et les experts les plus éminents de l’astronomie arabe affirment dans leurs ouvrages et leurs études que l’astrolabe du musée archéologique de Rabat (initialement au musée des Oudayas) est bien l’œuvre d’Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain ; en réponse, le responsable des musées au Maroc occulte carrément le nom de ce savant dans deux musées et tant pis si le Maroc n’a pas de savant astronome dans son Histoire. Un jour, peut-être, cette personne pourra expliquer au public marocain, comment un astrolabe de grande valeur historique et scientifique porte le nom de son fabricant,  un savant marocain, quand il est exposé en Europe, et se retrouve sans le nom de ce fabricant quand il est exposé au Maroc !
Normalement, quand il y a un litige dans l’attribution d’une œuvre, c’est le pays qui porte aux nues son savant contre vents et marées. Dans le cas présent, il n’y a même pas de litige, les spécialistes mondiaux sont pour Abû Bakr Ibn Yûsuf, alors que ce savant est ignoré par les siens. Et il n’y a pas d’explication. C’est dégradant pour le MAROC  et c’est inacceptable!
Merci INTERNET !
Abû Bakr Ibn Yûsuf, astronome marocain de Marrakech a fabriqué au début du 13ème siècle des astrolabes présentés dans des musées à Rabat, Strasbourg, Toulouse, Madrid et  Londres.
Abû al-Fattouh al-Khamayri, astronome andalou-marocain a construit à la même époque des astrolabes exposés à Fès, Rome, Istanbul, Berlin, Oxford, Chicago et Le Caire.
Ces deux savants, ainsi que tous les autres Hommes de science marocains de l’époque médiévale,  sont ignorés dans le « Maroc médiéval ». Il n’y a donc rien à attendre de ces expositions itinérantes, quant à la promotion de notre patrimoine scientifique.
En attendant, internet constitue une mine inépuisable d’informations sur tous ces savants du ‘’Maroc médiéval’’, cités plus haut, sur leurs œuvres et l’influence qu’ils ont eue, à leur époque, en Occident. Par exemple, il suffit d’afficher abu bakr ibn yusuf sur un moteur de recherche pour avoir accès à tout ce que l’on connait à ce jour sur ce savant de Marrakech. On verra d’ailleurs la photo de l’astrolabe actuellement exposé au ‘’Maroc médiéval’’, de manière anonyme, et qui fait la couverture d’ouvrages étrangers sur l’astronomie arabe. On pourra découvrir, par exemple, comment les archives de l’Université de Strasbourg traitent, avec le plus grand respect, notre savant astronome Abû Bakr Ibn Yûsuf. Le musée de l’Observatoire de Strasbourg abrite, en effet, un astrolabe fabriqué par ce savant. On pourra également lire le livre ‘’Description d’un astrolabe construit à Maroc par Abû Bakr Ibn Yûsuf’’ de Pierre-Frédéric Sarrus (1852). Ce dernier, professeur de mathématiques et ancien doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg, avait consacré 20 ans de sa vie à l’étude de cet astrolabe !!
Malheureusement, ce ne sont pas ces expositions qui nous feront revivre notre belle histoire scientifique passée, celle qui nous portait bien haut dans le concert des nations. Ce ne sont pas elles qui vont donner la motivation et l’inspiration à nos étudiants et à nos chercheurs pour explorer encore notre Age d’or des sciences marocaines. Le responsable de ces musées au Maroc, après les graves problèmes rencontrés avec les artistes et les peintres marocains contemporains, occulte carrément, dans ces musées les savants du ‘’Maroc médiéval’’, qui ont été les phares de la civilisation marocaine à l’époque médiévale.
Les Marocains sont résolument fiers qu’un nouveau musée vienne enrichir et promouvoir l’Art, la Culture et l’Histoire du Maroc. Il est dommage qu’il y ait  cette constance dans l’oubli et l’ignorance des Hommes de science marocains. De ce fait, nos étudiants, nos passionnés de l’Histoire des sciences marocaines, nos chercheurs et le grand public, pour approfondir leur recherche sur nos savants marocains, sont tributaires de l’étranger où ils découvrent avec quels soins, quelle considération et quel respect nos savants de l’époque médiévale, sont  traités et appréciés.


Nota: Cet article est également publié par un blog ami: www.astrokech.blogspot.com 


Abdelmalek TERKEMANI
Chercheur et expert international